Ecrit par Soubha Es-Siari |
Après la loi sur les sûretés mobilières, le projet de loi sur la charte de l’investissement censés améliorer le climat des affaires et, partant, booster le taux d’investissement au Maroc, on s’interroge sur quel autre levier à même d’améliorer la visibilité chez les opérateurs aussi bien nationaux qu’étrangers souhaitant y investir ?
Ce levier n’est autre que le projet de loi cadre 69-19 portant réforme fiscale dont les contours ont été dessinés lors des troisièmes Assises de la fiscalité tenues en mai 2019. Son principal dessein est de permettre aux entreprises d’y voir plus clair et d’avoir un meilleur aperçu des mesures fiscales à venir au Maroc, ce qui véhiculera un supplément de confiance auprès des investisseurs.
A rappeler qu’à la suite des Assises de la fiscalité, le Maroc a identifié les limites de sa fiscalité et s’est engagé à la rendre plus équitable et ce en réduisant la pression fiscale tout en élargissant l’assiette. Les recommandations ont été fixées à l’issue de ces assises, établissant ainsi une feuille de route sur ce qui est à venir.
Dans un contexte de plus en plus contraignant marqué par la succession de deux crises sévères et où le Maroc est appelé à faire avancer ses pions dans l’échiquier mondial, les questions qui se posent d’emblée : où en est le projet de loi cadre 69-19 portant réforme fiscale ? Son état d’avancement ? Quid des recommandations des Assises ? Lesquelles d’entre-elles sont contenues dans le PLF 2023 ? Le gouvernement a-t-il pu honorer ses engagements malgré les difficultés du contexte ?
De prime abord, il faut rappeler que les assises se sont soldées par une foultitude de recommandations qui ont besoin d’être mises en œuvre et opérationnalisées dans la durée. Mais en tout état de cause, les pouvoirs publics se sont donnés 5 années pour que l’ensemble des recommandations considérées comme prioritaires par les uns et les autres soient mises en œuvre dans leur globalité. C’était sans compter le contexte actuel composé non pas d’un mais de plusieurs éléments exceptionnels (Covid-Ukraine, sécheresse…).
Interrogée sur la question une source proche du dossier au sein du ministère de l’Economie et des Finances rappelle à juste titre que le gouvernement veille à appliquer progressivement les recommandations issues des Assises. « Le PLF 2023 a amorcé la réforme globale des taux de l’IS qui s’étalera sur 4 années, pour asseoir 3 taux à terme : le taux normal de droit commun de 20% applicable à toutes les sociétés dont le bénéfice net est inférieur à 100 MDH, un taux de 35% pour toutes les sociétés ayant un bénéfice net égal ou supérieur à 100 MDH et, enfin, le taux de 40% pour les établissements de crédit et organismes assimilés, Bank Al Maghrib, la Caisse de dépôt et de gestion et les entreprises d’assurances et de réassurance ».
Notre source explique dans la foulée que la réforme de l’IS vient mettre en œuvre les objectifs fondamentaux de la loi-cadre portant réforme fiscale votée au Parlement et fruit des recommandations des assises sur la fiscalité de 2019, émises après une large concertation et un consensus entre tous les acteurs politiques et socio-économiques.
Un taux uniforme de 20%, un objectif des Assises de la fiscalité
Appliquer un seul taux uniforme de 20% pour toutes les sociétés, sans aucune distinction entre les secteurs d’activité, le lieu d’implantation ou la taille de l’entreprise répond à l’objectif d’assurer l’équité fiscale, c’est un moyen de mettre un terme aux dysfonctionnements constatés dans la structure de l’IS, soulevés lors des Assises. Notamment, la diversité des taux, la progressivité du barème d’imposition, la forte pression fiscale sur les sociétés productives due au taux marginal de 31% qui dépasse la moyenne mondiale, la problématique de ciblage des PME et TPE qui constituent l’essentiel du tissu économique marocain.
« Un taux uniforme de 20% va permettre d’améliorer l’image de marque du système fiscal marocain et sa compétitivité par rapport aux autres systèmes fiscaux, en termes d’attractivité des investissements directs étrangers, à travers l’affichage d’un taux facial largement inférieur aux taux affichés par plusieurs pays », précise notre source.
Mais ce taux ne risque-t-il pas d’impacter lourdement les TPME, frange importante du tissu économique national, toujours malmenées par les effets dévastateurs de la crise sanitaire ? Notre source n’est pas de cet avis. Et pour cause : selon elle, les TPME ont une contribution très minime dans les recettes fiscales en matière d’IS. Les trois-quarts de ces entreprises déclarent un résultat déficitaire et ne paient que la cotisation minimale sur la base du chiffre d’affaires dont le taux sera réduit, dans le cadre de cette réforme, de 0,4% à 0,25% et par conséquent, ces entreprises ne seront pas impactées par la révision des taux d’IS.
Aussi, les sociétés soumises actuellement aux taux marginal d’IS de 31% vont-elles bénéficier d’une réduction de taux de 11 points, ce qui améliore d’une manière significative leur rentabilité et leur compétitivité. « Cette réduction va profiter également aux entreprises relevant du secteur industriel soumis actuellement au taux de 26% » précise notre source.
Elle enchaîne : « L’application du taux d’IS de 20% parallèlement à la réduction du taux de la RAS sur les dividendes à 10% et la réduction du taux de la cotisation minimale à 0,25% vont se traduire par l’allégement de la charge fiscale des TPME marocaines et l’amélioration de l’attractivité du Maroc en tant que destination privilégiée des investisseurs étrangers ».
Hausse de l’IS à 35%… sous conditions
Le passage du taux d’IS de 31 à 35% pour les grandes entreprises ayant un bénéfice net égal ou supérieur à 100 MDH vise celles exerçant des activités monopolistiques ou oligopolistiques bénéficiant d’une certaine protection liée aux agréments et licences octroyés par l’Etat et dont le nombre ne dépasse pas 143 sociétés. Toutefois afin de maîtriser la pression fiscale sur cette catégorie de sociétés et sauvegarder sa compétitivité, des mesures d’accompagnement ont été instituées par le PLF 2023, dont notamment la réduction du taux de la retenue à la source (RAS) de 15% à 10% sur les dividendes distribués.
Ce que révèle le Benchmark
La comparaison avec d’autres pays est souvent évoquée en fiscalité pour tirer les enseignements nécessaires. A ce sujet notre source nous informe, chiffres à l’appui, que plusieurs pays adoptent la même démarche d’imposition des grandes entreprises exerçant des activités régulées ou en situation de monopole selon un taux élevé par rapport aux taux facial de droit commun appliqué aux autres entreprises, c’est le cas notamment de la Tunisie, l’Egypte, le Bangladesh…
« Généralement, pour les juridictions dont le taux facial est inférieur à celui appliqué par le Maroc, le taux de la RAS sur les dividendes distribués est supérieur à celui appliqué au Maroc qui peut atteindre jusqu’à 30% (Cas de la France, Espagne, USA…) », est-il précisé.
Concernant le cas spécifique de la France, il est rappelé que le taux d’IS de droit commun s’élève actuellement à 25% et que le taux de l’impôt RAS s’élève également à 30%, sans tenir compte de la contribution sociale de l’IS de 3,3%.
Une chose est sûre : le Maroc n’a que deux années pour appliquer les recommandations issues des Assises sur la fiscalité dans leur ensemble pour garantir l’équité tout en allégeant la pression fiscale qui greffe le climat des affaires. Encore faut-il manier l’outil fiscal avec prudence eu égard à la complexité du contexte socio-économique.
Il va sans dire que l’amélioration du rendement du système fiscal, sa modernisation et son adaptation au nouveau contexte nécessite la mise en œuvre de mesures à même d’alléger le fardeau fiscal et sa restructuration dans un sens plus favorable à la compétitivité des entreprises.