Au niveau mondial et pour tous les Etats, la crise de l’emploi constitue un vrai défi et une priorité chez tous les acteurs aussi bien politiques, économiques ou sociaux spécialement après la crise sanitaire Covid-19 qui a eu et a malheureusement toujours un impact désastreux sur le marché de travail.
Au Maroc et selon les derniers chiffres du HCP, la situation de l’emploi n’a pas fait l’exception. En effet, entre le troisième trimestre de 2020 et la même période de 2021, l’économie nationale a créé 642.000 postes d’emploi, contre une perte de 581.000 postes d’emploi une année auparavant et une création annuelle moyenne de 145.000 postes au cours des trois années pré-pandémie.
Le volume de chômage a atteint 1.447.000 personnes au niveau national. Le taux de chômage est ainsi passé de 12,7% à 11,8% au niveau national, de 16,5% à 16% en milieu urbain et de 6,8% à 5,2% en milieu rural. Il reste plus élevé parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans (31%), les diplômés (18,7%) et les femmes (16,5%) ».
Partant et compte tenu des résultats des dernières législatives nationales, le nouveau gouvernement a d’emblée et depuis la campagne électorale, prôné et affiché le slogan d’un mandat à portée et résonance sociale avançant comme épine dorsale de son programme gouvernemental le grand chantier royal de la généralisation de la protection sociale.
Ainsi, et s’agissant de l’emploi, il a été proposé d’adopter deux nouveaux programmes « Awrach » et « Forsa » et mettre de côté, comme à l’accoutumée, la stratégie nationale de l’emploi initiée et lancée par l’ancien gouvernement ainsi que tous les plans d’action de sa mise en œuvre pour ainsi abandonner toutes les années de travail et de réflexion et par conséquent les budgets alloués à cet effet.
Nous essaierons, à travers ce qui suit, d’analyser et essayer de comprendre ce nouveau programme Awrach.
I- AWRACH (Chantiers) : quel contenu pour quels objectifs ?
Initié par le Ministère de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences, le programme AWRACH a pour objectif de créer 250.000 emplois en deux ans (2022 et 2023) pour un budget estimé à 2,25 Mds de DH (ce chiffre nous rappelle étrangement le programme de formation qualifiante du 2ème gouvernement Benkirane qui a été destiné à 25.000 licenciés et qui a coûté 500 MDH mais qui est resté malheureusement et à l’instar de plusieurs programmes sans aucune évaluation).
Les 125.000 emplois qui vont être créés en 2022 sont, a priori, des emplois temporaires destinés aux personnes fortement impactées par la pandémie afin de leur procurer un minimum de revenus. Il s’adresse à toutes catégories confondues, personnes diplômées et non diplômées.
Le programme est scindé en deux principales composantes :
i- Chantiers généraux provisoires :
Cette première composante concerne les citoyens en difficulté d’insertion. Elle a pour objectif de répondre aux besoins en infrastructures, dans le cadre du développement durable (pistes, réhabilitations des monuments, plantations, espaces verts, lutte contre la désertification,…).
ii- Chantiers pour soutenir l’insertion durable :
La deuxième composante cible les personnes ayant perdu leurs emplois à cause de la pandémie ou travaillant dans les entreprises fortement affectées par cette dernière ainsi que les entreprises désirant employer les catégories touchées par la pandémie ou difficilement insérables. Elle sera également destinée, aux services, aux personnes, aux familles et à la société (Alphabétisation, personnes âgées, préscolaire…..).
Selon la déclaration proposée, les avantages et l’architecture institutionnelle de ce programme peuvent être résumés comme suit :
AWRACH, , la Promotion Nationale, l’INDH et Idamj : Quelle articulation ?
Les initiateurs du programme Awrach prétendent qu’il s’agit là d’un nouveau programme et concept alors qu’en réalité ce programme n’est qu’un regroupement de programmes déjà existants.
En premier lieu, la promotion nationale qui existait depuis l’indépendance sous forme de Fonds spécial de Trésor « Financement d’équipement et de lutte contre le chômage » et qui est géré par le ministère de l’Intérieur sous forme de journées de travail dans des chantiers au profit de la population des collectivités territoriales et dont les chiffres ont atteint 3.334.712 journées en 2020.
Le graphique ci-après relate l’évolution des crédits alloués à ce compte et ceux consacrés aux Fonds de Promotion de l’Emploi des Jeunes et ce à partir des données du rapport sur les comptes spéciaux du Trésor accompagnant la Loi des Finances 2022 :
En second lieu, l’INDH, qui a prévu, dans sa 3ème phase, un programme dédié à l’inclusion économique des jeunes. Ce programme a été initialement établi pour contribuer à l’absorption du chômage notamment celui des jeunes surtout avec l’augmentation du nombre des NEETS (Not in Education, Employment or Training, ni en éducation, ni en emploi ou formation). Ainsi sur 6 millions de jeunes de 15 à 24 ans, le taux des jeunes NEET s’est élevé en 2019 à 28,5% soit 1,7 million de jeunes selon le dernier rapport de l’ONDH.
La réalisation de ce programme dans la quasi totalité des provinces a pris la forme de « Plateforme des jeunes », mais la difficulté rencontrée était de trouver des associations intervenant dans le domaine d’insertion des jeunes.
L’exercice étant quasi impossible, la solution trouvée consistait en la création d’association exigée par les notes ministérielles pour répondre aux appels à manifestation d’intérêt pour la gestion desdites plateformes.
Partant de ce qui précède, le programme « Awrach » dont la mise en œuvre sera confiée à la société civile locale, sera confronté à quelques difficultés qui suscitent chez nous plusieurs interrogations :
- Pourquoi a–t-on abandonné le programme « l’emploi dans les associations » qui constitue une niche d’emploi très importante, notamment pour les jeunes et qui permet également l’amélioration du niveau de professionnalisme de notre tissu associatif, comme le démontre l’expérience internationale. De plus, il est à rappeler que le ministère de l’Emploi à travers l’ANAPEC avait déjà finalisé sa conception et s’est même engagé à le mettre en œuvre dans le cadre d’une expérience pilote à l’occasion du Programme de développement des provinces de Sud avec un budget consacré de 70 MDH au niveau de la région Lâayoune Sakia Lhamara. Ne voyons-nous pas là une « renaissance » de ce projet s’agissant de ce prétendu nouveau programme Awrach ?
- Notre tissu associatif actuel, dispose-t-il des capacités, de l’expertise et des moyens nécessaires à ce type de dispositions et mesures ? Ou s’agit-il là d’un rôle inévitablement réduit, à une simple formalité administrative de transfert de crédits et de remplacement du conseil provincial pour ne pas être l’interface avec les bénéficiaires ?
- Comment les services extérieurs comptent-ils mettre à la disposition des associations, les moyens, la matière première, le matériel et les équipements (encore faut-il qu’ils existent) pour réaliser des objectifs qui ne leurs sont pas attribués?
- Ce programme ne représente-t-il pas une concurrence déloyale aux TPE et PME locales dont la raison d’être réside en ces chantiers dits de proximité ?
- Les primes incitatives aux employeurs prévues par le programme Awrach au profit de ceux qui participent à l’insertion pour une période d’au moins 24 mois, seront-elles versées aussi aux employeurs bénéficiaires des autres programmes actifs d’emploi notamment les contrats d’insertion Idmaj gérés par l’ANAPEC ? Si oui, quelles sont les frontières entre les différents mécanismes de soutien ?
- Quant au financement, un simple calcul de débutant pose des questions quant à la crédibilité de la mise en œuvre du programme. A vos calculatrices :
La deuxième composante du programme Awrach « les chantiers d’insertion durable » prévoit une prime incitative de 1.500 DH par bénéficiaire qui représenteront 20% de l’effectif total des bénéficiaires pendant 18 mois, soit un budget de 50000*1500*18= 1,35 Md de DH. Si on y ajoute le salaire de 2.828 DH/bénéficiaire pendant 6 mois en moyenne, à verser aux bénéficiaires de la première composante dudit programme « les chantiers généraux provisoires » qui représente 80% de l’effectif total, nous aurons donc : 200000*2828*6= 3,4 Mds de DH soit donc un total de 4,75 Mds de DH.
Or, le programme prévoit un budget de 2,25 Mds de DH pour la première année, soit un reliquat de 0,25 Md de DH pendant les deux ans qui suivent, sans compter les budgets qui seront alloués à la prise en charge des charges sociales, de la part patronale, des formations et encadrement, ainsi que les frais de gestion du programme…
- Pour les secteurs affectés par la pandémie, le gouvernement n’a-t-il pas continué, jusqu’à une époque récente, à verser l’indemnité compensatrice de 2000,00 DH aux salariés qui ont perdu leurs emploi ? Dans le même sens, faut-il oublier que la raison même d’institution de l’Indemnité pour perte d’Emploi (IPE) depuis 2014 était de faire face à ce genre de risque ?
- Ce nouveau mandat confié au conseil provincial, figura-t-il dans ses prérogatives, attributions et son périmètre d’intervention fixés par la loi organique?
- Enfin ne serait –il pas judicieux de confier une telle mission aux 61 entreprises d’intérim et de travail temporaire autorisées par le ministère de l’Emploi et dont le cœur de métier est le socle du programme Awrach et laisser la société civile jouer son vrai rôle et son métier de base, ce qui permettra à tout le monde de gagner en temps, en qualité et en efficacité ?
De toutes ces interrogations et en partageant avec vous ce modeste diagnostic et constats, j’ai malheureusement peur que la politique menée reflète le proverbe dont la traduction dit : « Nous avons envoyé le cheval pour labourer et l’âne pour courir. Nous avons perdu la récolte et perdu la course ».
Par Mohamed Oueld Lfadel Ezzahou