Parmi les secteurs les plus touchés par la pandémie celui du BTP qui du jour au lendemain a dû mettre en arrêt tous les chantiers. Après une reprise timide, il semble que les moteurs sont remis en marche. Pour David Toledano, président de la Fédération des industries des matériaux de construction (FMC), il faut toutefois une véritable remise à plat de la gestion de la commande publique et une réelle volonté de soutenir l’émergence de champions nationaux.
EcoActu.ma : La pandémie a plongé, depuis plus de quatre mois, le secteur du BTP dans une forte récession avec l’arrêt quasi-total des chantiers. La récente reprise de la consommation de ciment augure-t-elle de la fin du cauchemar et donc d’une reprise de l’activité ?
David Toledano : il est vrai que les chiffres du ciment se consolident bien, ce qui nous rassure. Les performances de novembre confirmeront que l’année se terminera sur une baisse entre 10 et 15% de la consommation alors que nous tablions sur des prévisions plus pessimistes jusqu’à moins 25% de baisse.
Ce qui est une excellente performance bien que les capacités inutilisées soient importantes.
La reprise a-t-elle été tirée par le BTP (infrastructures, équipement…) ou par l’immobilier ?
Ce sont les infrastructures, l’autoconstitution et les revendeurs qui sont à l’origine de cette relance. La reprise d’activité dans les chantiers, pas tous, s’est en effet soldée par une forte demande du ciment. Concernant la promotion immobilière, nous constatons qu’il n’y a malheureusement pas une véritable reprise.
Certes les chantiers ont repris plutôt bien, mais nous attendons une consolidation et une relance nettement plus vigoureuse dans les prochains mois.
Ce qui se fera en fonction des annonces et des prévisions faites par le gouvernement concernant la commande publique, et qui semblent être importantes.
Ce qu’il faut maintenant, c’est d’accélérer le lancement des appels d’offres et des mises en chantiers. Les entreprises doivent retrouver la confiance en reconstituant et en remplissant leur carnet de commande, ce qui pour l’instant tarde à venir.
Les craintes formulées par les opérateurs du BTP suite à l’annonce du gouvernement de la rationalisation des dépenses publiques notamment de la commande publique sont-elles toujours à l’ordre du jour à moins d’un mois de l’échéance de l’exercice 2020 ?
Il faut savoir que chaque année les budgets des marchés publics notamment d’infrastructure et d’équipement sont reportés. Donc ce qui n’a pas été fait cette année sera reporté à 2021. Ceci dit, et comme annoncé par le ministre de l’Economie et des Finances, il y aura certainement une priorisation des projets pour rationaliser les ressources en cette période de crise.
Bien qu’il y ait eu annulation de certains nombres de projets, il est sûr que nous ne sommes pas dans une situation de restriction ou d’austérité de la commande publique. Les chiffres qui ont été annoncés par l’Exécutif à ce propos sont rassurants aussi bien pour le secteur du BTP que l’ensemble de l’économie.
Sans oublier de citer les projets lancés par le ministre de l’Industrie et du Commerce dans le cadre du plan de substitution des importations. La révision des droits de douane et la volonté de booster la préférence nationale redonnent confiance à certains industriels et incitent à la création des projets.
A noter que la mise en en place de « la war-room », cellule chargée d’accompagner les porteurs de projets, par le ministère de l’Industrie permet aujourd’hui de soutenir ces projets.
Dans notre domaine par exemple, plusieurs projets ont émergé aujourd’hui alors que nous n’avions qu’un seul gros projet qui avait été listé sur les cent premiers projets. Ceci explique le regain de confiance qui s’est installé dans l’économie d’une manière générale et dans notre secteur en particulier.
Il faut dire aussi qu’aujourd’hui la voie industrielle est de plus en plus attrayante pour l’investissement vu que la promotion immobilière ne l’est plus autant. A condition que l’Etat mette en place un certain nombre de mesures d’accompagnement, de soutien et d’encouragement.
Plus que jamais, l’Etat semble déterminé à appliquer la préférence nationale pour relancer l’économie et soutenir le tissu économique. Selon vous, quelles sont les prérequis nécessaires pour garantir l’application effective de cette disposition dans la commande publique ?
La préférence nationale est à mettre en œuvre dans toutes les phases d’un projet. D’abord, la conception (ingénierie, architecture…) qui nécessite des études préparatoires. Malheureusement, à l’heure actuelle, la préférence nationale ne trouve toujours pas sa place à ce niveau.
Ensuite il y a les biens et produits. Il est vrai que dans notre domaine nous sommes performants mais il reste toujours des produits qui sont importés de façon « abusive » de certains pays qui sont plus compétitifs.
Il y a également le choix du prestataire (entrepreneur ou entreprise). Dans le cas des grands chantiers PPP par exemple, l’entreprise marocaine n’a pas, dans l’état actuel des choses, la capacité de faire des propositions de sorte à assurer une partie du financement nécessaire à la réalisation du projet.
L’enjeu étant de ramener des projets qui puissent être bancables par l’entreprise marocaine. Une entreprise qui doit se consolider dans un groupe (financier, ingénierie, architecture, industriel…) et ainsi pouvoir participer aux appels d’offre.
Mais dire que seulement 15% seront consacrés à l’entreprise marocaine, cela reste nettement insuffisant.
Dans une dernière circulaire le Chef du gouvernement ne parle plus de seulement 15% de la préférence nationale qui seront réservés aux entreprises marocaines dans la commande publique mais que cela doit devenir la priorité notamment en cette période de crise. Qu’en pensez-vous réellement ?
Sauf que sur le terrain la réalité est tout autre. Dans le cadre des grands chantiers, les commissions chargées de l’ouverture des plis et de l’attribution des marchés ne sont tenues que par les textes de loi, en l’occurrence celui des marchés publics qui stipule les 15%.
Il faut donc trouver concomitamment comment concrétiser cette volonté de prioriser la préférence nationale tout en donnant les moyens adéquats aux entreprises marocaines. Cela passe par des encouragements d’accès au financement, à des avances sur travaux, à des règlements rapides des travaux réalisés…
Certains de ces avantages existaient auparavant mais ont cessé à cause de certains abus. C’est pourquoi aujourd’hui, il faut une véritable remise à plat de la gestion de la commande publique et une réelle volonté d’encourager l’entreprise marocaine et de soutenir l’émergence de champions nationaux.