Cela fait près d’un quart de siècle, en pleine insuffisance de la production électrique, un pionnier écrivait un livre sur un Maroc qui exporterait de l’électricité renouvelable [[i]]. Il y a un peu plus de huit ans, nous recommandions [[ii]] que le Maroc réserve ses futurs excédents d’électricité verte à l’exportation et moins de deux ans que nous annoncions l’arrivée imminente d’une ère où le Maroc exporterait de l’électricité. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Pour mémoire, le Maroc est doté, depuis 1997, d’une ligne électrique Nord sous le Détroit de Gibraltar capable de véhiculer une puissance de 1,4 GW [[iv]] ainsi qu’une autre ligne Est permettant, depuis 1988, l’échange de 0,48 GW avec l’Algérie.
Pleinement commerciale depuis l’adhésion de l’Office National de l’Electricité au marché espagnol de l’électricité en 1999, l’interconnexion avec le voisin du Nord, a joué un rôle multiple :
- contribuer à satisfaire la demande locale en comblant les lacunes de la production électrique du Maroc due aux déficits de production hydroélectrique des années de mauvaise pluviométrie, jusqu’à 2312 GWh/an [[v]] depuis 2005, puisque les barrages sont tenus de laisser une grande partie des réserves pour l’irrigation et l’eau potable,
- approvisionner la Station de Transfert d’Energie de Afourer (STEP) avec 180 à 728GWh/an d’énergie à bon marché pour le pompage nocturne afin que les lâchers d’eau aux heures de pointe de la demande permettent de produire entre 133 et 602 GWh/an par turbinage.
Les échanges avec l’Algérie sont bien moins consistants qu’avec l’Espagne puisque l’utilisation de l’interconnexion avec le voisin de l’Est n’est utilisée que pour l’assistance mutuelle en cas d’incapacité ponctuelle à satisfaire la demande.
La Figure 1 montre l’évolution du solde des échanges internationaux mensuels d’électricité (en bleu et se rapportant à l’échelle de gauche) ainsi que leurs cumuls annuels (en rouge et se rapportant à l’échelle de droite).
On notera que :
- malgré son évolution erratique, le solde mensuel des échanges (en bleu) a commencé à baisser après Novembre – Décembre 2017 jusqu’à devenir négatif (exportateur) depuis décembre 2018,
- de ce fait, le cumul annuel des échanges d’électricité (en rouge), qui a pointé par deux fois autour de 6’000 GWh a commencé à baisser en Décembre 2017 jusqu’à devenir négatif (exportateur), pour la première fois, en Juillet 2019.
Ce passage rapide du statut d’importateur net à celui d’exportateur net d’électricité est dû à la conjonction de la mise en service de trois groupes de centrales électriques :
- les parcs éoliens dont la production a augmenté de près de 1’000 GWh/an en 2018,
- les fermes solaires dont la production a augmenté de 520 GWh/an en 2018,
- la centrale au charbon de Safi dont la capacité de production est de 9’800 GWh/an.
La Figure 2 montre l’évolution du besoin d’électricité à satisfaire au Maroc (courbe continue en rouge) avec la segmentation de la production locale de l’électricité. Le besoin d’électricité à satisfaire est obtenu par l’addition de l’électricité nette appelée aux petits besoins des auxiliaires et compensateurs.
La Figure 2 montre bien :
- la sortie rapide, en 2019, des 21 ans consécutifs de dépendance de la satisfaction de la demande en énergie électrique (hachures rouges) à l’égard des interconnexions avec les voisins,
- que, dès 2019, tous les excédents de la production électrique sont renouvelables et, normalement, devraient bénéficier de tarifs préférentiels sur le marché européen, mais en tous cas, ne surtout pas être taxés comme polluants [[i]].
Il est vrai aussi que l’amplitude du basculement du statut d’importateur vers celui d’exportateur net d’électricité a aussi été favorisée par le ralentissement de la demande [[ii]] par rapport aux prévisions faites en 2008 et qui ont permis de concevoir le plan d’équipement actuellement mis en œuvre. Ces différentes prévisions sont représentées dans la Figure 3 qui montre aussi nos propres prévisions remises à jour au début de 2018
Une révision très récente confirme que le ralentissement sera sans doute encore plus prononcé, c’est-à-dire que l’électricité nette appelée (E.N.A.) pourrait ne même pas dépasser les 50’000 GWh par an.
Au Maroc, la puissance maximale appelée [[i]] est directement corrélée à l’électricité nette appelée. La Figure 4 montre la superposition de la puissance maximale appelée aux puissances effectivement installées ou prévues à l’horizon 2030 selon les informations disponibles sur les futures capacités additionnelles après 2018 :
- 2’280 MW d’installations solaires centralisées sur 17 + 12 sites et 1’060 MW dispersées,
- 1’520 MW sur 13 parcs éoliens,
- 1’200 MW d’une centrale au gaz naturel à cycle combiné à Jorf Lasfar,
- 650 MW de 2 centrales hydroélectriques STEP (Abdelmoumen et Ifahsa),
- 196 MW sur 14 centrales hydroélectriques conventionnelles privées.
On remarquera qu’à compter de 2018, les capacités non-intermittentes [[i]] installées (charbon + gaz naturel + pétrole), deviennent nettement suffisantes pour répondre à la demande de puissance maximale appelée. Ainsi, si le plan d’équipement cité plus haut est réalisé, durant au moins les douze prochaines années, il n’y aura plus aucune obligation de faire appel aux renouvelables pour répondre à la demande locale de puissance maximale appelée. En fait, les premiers chiffres de 2019 semblent même indiquer que la Station de Transfert d’Energie par Pompage (STEP) devrait être substantiellement moins sollicitée qu’en 2018. Le Maroc sera encore en mesure d’exporter de l’électricité d’origine renouvelable (éolienne, solaire ou hydraulique), même aux instants critiques où la demande locale sera la plus élevée… Pour encore quelques temps encore, le spectre de la gestion de la crise de satisfaction de la demande locale s’estomperait au bénéfice d’une gestion rationnelle des excédents exportables.
Par Amin Bennouna, Professeur à l’Université Cadi Ayyad, Marrakech
[i Abdelaziz BENNOUNA, "Vers un Maroc exportateur d'énergie" (titre original "نحو مغرب مصدر للطاقة"), Imprimerie Dar Ennachr Almaghribya (1994), ISBN 9981-9790-07 [ii] Amin BENNOUNA, "Monographie de l’énergie au Maroc", Editions Istichar (2011), ISBN 978-9954-30-099-2, page 111, https://www.researchgate.net/publication/263713974_Monographie_de_l'energie_au_Maroc [iv] 1 GW = 1 gigawatt soit 1 milliard de Watts ou 1'000 MW de puissance. [v] 1 GWh = 1 gigawatt heure d'énergie soit 1 GW de puissance assurée pendant une heure. [vi] Amal Baba Ali, "L'Espagne va taxer l'énergie marocaine", Les Eco 10 Mai 2019, https://www.leseco.ma/maroc/76785-l-espagne-va-taxer-l-energie-marocaine.html [vii] Amin BENNOUNA, "Electricité au Maroc : Pourquoi pas une Stratégie Energétique 2030 version 2.0 ?", EcoActu 13 Janvier 2019, https://www.ecoactu.ma/electricite-au-maroc-pourquoi-pas-une-strategie-energetique-2030-version-2-0/ [viii] La puissance maximale appelée (PMA) est la puissance la plus grande qui est demandée par le réseau électrique au cours d'une année. Les puissances installées doivent permettre d'y répondre pour ne pas avoir à recourir aux délestages (coupures). [ix] Définition de Wikipedia : "Les sources d'énergie intermittentes sont les sources de production d'énergie renouvelable correspondant à des flux naturels qui ne sont pas disponibles en permanence et dont la disponibilité varie fortement sans possibilité de contrôle.", https://fr.wikipedia.org/wiki/Source_d%27%C3%A9nergie_intermittente