Ecrit par Imane Bouhrara |
La commande publique peut être un levier formidable de développement et de croissance au Maroc, l’Etat étant un important client très apprécié des entreprises. Sauf que toutes les entreprises n’en profitent pas, ni l’économie. Pis, 25 % de cette commande publique sont gaspillés faute d’efficacité ou des procédures de passation des marchés publics. Si la réforme ne vient pas de l’intérieur, elle arrivera de l’extérieur.
De 160 Mds de DH en 2011, la commande publique est passée en 2021 à 230 Mds de DH soit +43,75% et passera à 245 Mds de DH en 2022… sans pour autant jouer pleinement son rôle de véritable dynamo de croissance économique, de création de richesse ou d’emplois.
Force est de constater que les réformes engagées, nombreuses et à saluer, depuis près d’un quart de siècle ne sont parvenues à faire sauter les verrous visibles et invisibles puisqu’attelées essentiellement à la conformité procédurale ou à la digitalisation, sans s’intéresser à l’efficacité même et l’efficience économique d’un marché public donné et de son impact aussi pour le citoyen. Pourvu que la procédure soit conforme, que le projet soit utile ou pas qu’il fonctionne ou pas, importe peu.
Qui de nous ne connaît pas une dépense publique ou deux qui ont été plus un gouffre financier qu’un service rendu à la communauté : personnellement, je connais des feux de signalisation installés récemment et qui ne servent à rien depuis des mois et pourtant qui ont certainement coûté un bras à la collectivité locale ou au ministère concerné. Pour ce qui est de la reddition des comptes, merci de repasser !
Mais il n’y a pas que ça. Au moment que les capacités budgétaires se réduisent, chaque année 25 % de la commande publique sont gaspillés. C’est une moyenne mondiale basée sur une estimation de la Banque mondiale, donc ça peut être moins au Maroc, ce qui est fort improbable, comme ça peut être plus, ce qui est fort probable.
Le ralentissement économique mondial compromet la capacité des gouvernements à « reconstruire en mieux » face aux formidables défis posés par la pandémie de COVID-19 et le changement climatique. Les États s’efforcent de relancer leurs économies, mais le fléchissement de la croissance bride les capacités budgétaires tandis que l’endettement, les réductions d’impôts et l’accroissement des inégalités atteignent des niveaux record.
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Au niveau mondial et selon la Banque mondiale, sur 13.000 Milliards de dollars consacrés par les gouvernements à des marchés de biens, services et travaux publics, un quart gaspillé en raison de l’inefficacité ou de la courte vue des pratiques de passation des marchés.
Un petit calcul relève que ce manque à gagner est de 57,5 Mds de DH en 2021 et serait de 61,25 Mds de DH pour le Maroc, de quoi financer largement le chantier de la protection sociale. Voilà donc le coût annuel de l’absence d’une réforme globale de la commande publique et la mise en place de meilleures pratiques assorties d’objectifs quantifiables.
Pourtant, les pistes de réformes possibles existent bel et bien, pour ne citer que l’avis vieux d’une décennie du CESE à ce sujet et qui avait formulé nombre de recommandations restées lettres mortes comme notamment la mise en place d’un Code de la Commande publique qui regroupe tous les textes réglementaires et en assure une harmonisation.
Ou encore le renforcement de la concurrence de sorte à protéger contre l’exclusion des offres pertinentes du fait d’appels d’offres orientés, intentionnellement ou non, et qui auraient tendance à favoriser un produit ou un candidat et assurer une plus grande transparence de même à faire profiter équitablement toutes les entreprises de cette manne qu’est la dépense publique ; et soutenir ainsi des objectifs encore plus larges sur le plan socio-économique qu’une simple transaction commerciale entre l’Etat et une entreprise privée.
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Mieux, une réforme sérieuse permettrait à l’Etat d’effectuer des dépenses rationnelles et efficientes. Une rationalisation ô combien importante au moment où les marges budgétaires s’amenuisent comme neige au soleil et où l’endettement atteint des seuils inquiétants.
Il faut également se rendre à l’évidence que si cette réforme ne se fait pas de l’intérieur, elle arrivera par l’extérieur.
En effet, la Banque mondiale dans son rapport de synthèse sur les marchés publics révèle comment l’actuel embrouillamini des pratiques de marchés publics et l’absence de règles communes pourraient être remplacés par un système mondial répondant plus efficacement aux besoins des citoyens.
Dans ce sens, la Banque mondiale propose la création d’un Partenariat mondial pour les marchés publics. Celui-ci sera principalement chargé d’établir un réseau mondial pour la promotion d’une utilisation stratégique de la commande publique, considérée comme un outil essentiel de planification et de développement de l’économie.
Il recensera les bonnes pratiques mises en œuvre dans le monde afin d’encourager le partage de connaissances et la collaboration. Il définira aussi des principes et des critères jouissant d’une reconnaissance mondiale.
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Le Maroc en tant que client de la Banque mondiale ne peut que s’inscrire dans une telle réforme qui sera nettement plus contraignante que s’il ne l’avait entamé lui-même et bien à l’avance.
En effet, sur le plan national, ce partenariat tel que conceptualisé par la Banque mondiale tend à contribuer à faire en sorte que la passation des marchés s’appuie sur des données probantes, et non plus sur des réseaux d’influences et de privilèges.
Il aidera à susciter l’innovation dans des domaines essentiels, en resserrant les collaborations entre gouvernements et entreprises privées.
Il renforcera la confiance du public en favorisant la prise de responsabilité et l’engagement des citoyens. On ne peut qu’applaudir !