Lors des trois précédents entretiens, l’économiste Omar Bakkou nous a présenté les propositions de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement (CSMD) pour réformer cinq secteurs essentiels, à savoir l’eau, l’énergie, le logement, l’éducation et la santé.
Dans le présent entretien nous interrogerons O. Bakkou sur trois autres secteurs éminemment importants, à savoir les transports, les capitaux et les produits de base.
-Quelles sont les propositions de la CSMD pour réformer le secteur des transports ?
Le secteur des transports se caractérise globalement par une insuffisance de l’offre.
Cette insuffisance touche à la fois le monde rural et celui urbain.
Pour remédier à cette situation, le rapport de la CSMD suggère la mise en place d’une stratégie nationale pour la mobilité.
Cette stratégie aura pour objet d’engager l’ensemble des parties prenantes (État et collectivités territoriales) autour d’une vision commune.
Cette vision doit définir les objectifs et les modalités de leurs mises en œuvre.
-Pourriez-vous nous donner quelques indications sur le contenu de cette stratégie ?
Selon le rapport sur le Nouveau modèle de développement, cette stratégie doit viser, entre autres, les objectifs suivants :
-L’augmentation significative des transports collectifs de qualité parmi les modes de déplacements ;
-L’orientation de l’écosystème de transport urbain vers une mobilité verte en appuyant le positionnement du Maroc dans la chaîne de valeur mondiale liée à la mobilité électrique et hybride ;
-Le renforcement de la gouvernance de la mobilité urbaine , et ce, à travers la consolidation des structures d’accompagnement mises en place récemment au niveau du Ministère de l’intérieur dans l’objectif d’assurer le pilotage stratégique, la réglementation et la standardisation .
-Comment ces réformes seront financées ?
Le financement de ces réformes sera opéré à travers le renforcement du financement public (national et local), autant pour l’investissement initial que pour le fonctionnement opérationnel.
Ce renforcement aura pour objectif de rendre solvable le modèle économique pour les opérateurs privés.
Cet objectif devra être opéré à travers la pérennisation des ressources du Fonds d’accompagnement des réformes du transport urbain et interurbain (FART).
Ce fonds se positionne , pour rappel, comme partenaire financier des collectivités territoriales destiné à répondre aux besoins de mobilité urbaine et métropolitaine .
-Quelles sont les propositions pour améliorer la situation du « marché des capitaux » ?
Le marché marocain des capitaux se caractérise globalement par une insuffisance de l’offre.
Cette insuffisance réside dans ce que ce marché ne permet pas de financer pleinement l’ensemble des besoins de financement de l’économie.
Pour remédier à ladite insuffisance, le rapport de la CSMD a émis plusieurs propositions.
Ces propositions ont pour objet de créer les conditions favorables à une offre optimale de financement sur le marché des capitaux.
– Offre optimale de financement, cela signifie quoi concrètement ?
Un marché des capitaux qui offre un financement optimal pour l’économie est un marché qui permet de mobiliser des ressources financières au moindre coût en faveur du secteur productif, notamment les PME, les activités à fort potentiel, etc.
-Et quelles sont les propositions concrètes pour assurer une offre optimale de financement ?
Ces mesures peuvent être scindées en deux catégories : celles visant le secteur bancaire et celles visant le marché boursier.
-Quelles sont alors les mesures proposées pour développer le secteur bancaire ?
Les mesures proposées pour le développement du secteur bancaire sont les suivantes :
-Le renforcement de la concurrence sur le marché bancaire.
Cet objectif doit être réalisé à travers notamment l’entrée de nouveaux acteurs aussi bien dans les activités financières traditionnelles que les activités plus innovantes, notamment en lien avec la Fintech ;
– La création d’une banque publique d’investissement.
Cette banque doit regrouper l’ensemble des instruments existants d’appui au développement des entreprises .
Ces instruments comprennent les garanties, le financement, l’investissement, l’accompagnement, la promotion, etc.
-La réorientation de la politique monétaire dans un sens qui concilie de manière plus équilibrée les objectifs de croissance et d’inflation.
-Quid des mesures proposées pour développer le secteur boursier ?
Les mesures proposées pour développer le secteur boursier sont les suivantes :
– La restauration de la confiance à l’égard du marché boursier.
Cet objectif doit être réalisé à travers un exercice effectif des fonctions de régulation assurant la sanction forte et impartiale des délits ;
-La mise à niveau du cadre législatif et réglementaire régissant le marché boursier.
Cet objectif doit être réalisé à travers l’accélération du processus de production des textes juridiques prévus en la matière ;
– L’élargissement de la base d’émetteurs et d’investisseurs.
Cet objectif doit être réalisé à travers l’introduction en bourse d’entreprises publiques, la création d’un marché dédié aux matières premières, l’assouplissement des règles applicables à certaines catégories d’entreprises et le développement du marché de la dette privée.
– La dynamisation du marché boursier.
Cet objectif doit être réalisé à travers l’introduction de nouveaux instruments financiers destinés à accroître la liquidité du marché, ainsi que la mise en place des marchés à terme et des produits dérivés, etc.
– Quelles sont les propositions pour améliorer la situation du marché des produits de base ?
Le marché des produits de base (notamment le gaz, le sucre et la farine) se trouve dans une situation que l’on pourrait qualifier « d’insuffisance relative de la demande ».
En effet, les ressources disponibles sur le marché sont relativement chères par rapport aux facultés dépensières d’une partie importante de la population.
Pour ajuster ce déséquilibre potentiel entre l’offre et la demande, l’Etat alloue une partie de son budget pour soutenir la demande de ces produits.
Ce soutien s’opère à travers l’octroi de subventions à la consommation desdits produits.
Ces dépenses budgétaires constituent l’une des principales causes des déséquilibres macroéconomiques enregistrés au Maroc durant les dernières années.
Cette succession de déséquilibres se sont traduits par une aggravation de la situation financière de l’Etat .
En effet, l’encours de la dette publique globale par rapport au PIB est passé d’un taux de 56,8% en 2008 à plus de 90% à fin 2020.
Cette situation a pour cause profonde l’inefficience des dépenses de subvention à la consommation précitées.
En effet, ces dépenses sont accordées aussi bien aux personnes nécessiteuses qu’à celles pourvues de moyens.
Pour remédier à cette situation, le rapport de la CSMD prône d’abandonner la logique de subvention générale au profit d’une politique de ciblage des bénéficiaires.
Ce ciblage devra être opérationnalisé à travers la mise en place du Registre Social Unique.