La présentation du budget exploratoire 2019, a été l’occasion pour le haut-commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi, de s’attarder longuement sur la conjoncture économique, pointer du doigt la passivité face à l’urgence de réformes structurelles et d’appeler à la mise en place d’un plan stratégique.
Le modèle économique du Maroc, si modèle il y a, est insoutenable. Cela fait quelques temps qu’on le répète en boucle mais rien n’y fait. C’est peut-être cette passivité dans la prise en considération sérieuse de cet essoufflement de la politique économique du Maroc, qui a poussé Ahmed Lahlimi Alami à sortir de sa réserve.
La présentation du Budget exploratoire 2019 par le Haut-commissariat au Plan, a été l’occasion de constater de visu le sentiment qui mine le moral de cet économiste et ancien ministre face à la conjoncture économique actuelle. Bien évidemment, le Haut-commissaire au Plan a entamé cette rencontre par la traditionnelle analyse des principaux agrégats économiques.
Et c’est à cœur ouvert que Lahlimi a livré son point de vue sur l’économie marocaine qui, des décennies de libéralisation économique plus tard, peine toujours à trouver la voie d’un développement équilibré et soutenu. La croissance étant prise dans l’étau des caprices du ciel et de la conjoncture mondiale, d’une coté et de l’autre, par le manque de réformes structurelles.
En effet, même si au cours de 2018 et 2019, le Maroc aura, sauf imprévus majeurs, un environnement international favorable et devra en profiter pour mieux valoriser ses atouts et lever ses contraintes de gestion et ses déficits structurels avérés et latents. Mais sans une analyse profonde des maux de notre économie et de réformes structurelles y remédiant, le Maroc maintiendra une performance économique en deçà de son réel potentiel.
Pourtant au plan des équilibres macroéconomiques, le Maroc a accompli d’incontestables efforts au cours des dernières années, même si la vigilance devrait rester de rigueur, de l’aveu même d’Ahmed Lahlimi. L’investissement a renoué avec la vigueur qu’il a connue depuis les années 2000, annonce-t-il non sans insister sur le faible rendement des investissements et leur affectation vers des activités peu rentables.
Le budget exploratoire 2019 nous apprend que la consommation des ménages a maintenu une relative stabilité de son taux de croissance de l’après crise de 2008. Mais Lahlimi s’inquiète du comportement de l’épargne qui trahit une défiance et une hésitation des citoyens malgré les perspectives économique encourageantes. . Même les banques n’y échappent pas, notamment en raison des incidents de paiement en progression mais également à cause des normes IFRS qui imposent des règles d’approvisionnement plus strictes. Lahlimi souligne par ailleurs le rôle limité de la Bourse dans le financement de l’économie.
Quant au taux d’inflation resté plutôt faible, après une période où s’exprimaient des craintes d’une menace déflationniste, le responsable s’interroge sur le sacro-saint seuil de 2% à ne pas dépasser. Le déficit budgétaire a baissé de 6,8% du PIB en 2012 à près de 3,4% en 2017, même s’il devrait connaitre une légère hausse en 2018 et 2019. Le déficit du compte courant de la balance des paiements a, de son côté, baissé de 9,5% du PIB en 2012 à 3,6% en 2017 et 4,1% en 2018. L’endettement public, après une augmentation alarmante entre 2010 et 2014, s’est relativement stabilisé au cours de la période 2015-2018.
Conjoncture économique favorable, mais…
Pour réelles et positives qu’elles soient, ces performances macro-économiques s’inscrivent, cependant, dans le cadre d’une croissance économique plutôt faible soumise encore, même avec un degré moindre, aux aléas pluviométriques avec une offre à faible contenu en technologie et en capacité d’exportation, peu créatrice d’emplois qualifiés et peu contributive à la réduction des inégalités sociales et territoriales, analyse le Haut-commissaire au Plan.
Le Maroc n’a certes pas ménagé ses efforts pour faire face aux exigences d’une croissance plus durable et d’une plus grande employabilité de ses ressources humaines. Il a, depuis les années 2000, su, à cet effet, mobiliser ses ressources propres et celles d’origine extérieure dues à son potentiel économique et à ses atouts géographiques, historiques et institutionnels, et consacrer une part croissante de son PIB à l’investissement, en particulier dans les infrastructures économiques et sociales et l’amélioration des conditions de vie de sa population. La contribution de celle-ci à ces efforts a été, du reste, largement sollicitée, si l’on se réfère en particulier au niveau de la pression fiscale qui reste parmi les plus élevées des pays émergents et en développement et avoisine celle que connaissent les pays développés. La part des cotisations dans le revenu reste, selon les données de la Banque Mondiale, nettement plus élevée en comparaison avec celle des pays à revenu intermédiaire et de l’ensemble des pays de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Ahmed Lahlimi poursuit son analyse en soulignant qu’au regard du niveau de la richesse nationale et du potentiel de mobilisation des ressources qu’elle permet, des efforts fournis par le pays et sa population pourraient donner lieu à un meilleur rendement, « comme nous l’avons pu démontrer en ce qui concerne l’affectation sectorielle et la gestion des programmes d’investissement, ou encore de l’usage des fonds, en particulier publics, affectés au secteur de l’enseignement et de la formation », note-t-il. « Cela ne devrait pas dispenser le pays de prendre la mesure de ses déficits structurels et de l’ardente obligation nationale de réaliser les réformes fondamentales pour en entamer la résorption », martèle-t-il.
Et d’ajouter « Il nous a été donné lors de la présentation des budgets économiques exploratoires et prévisionnels de donner les tendances de baisses structurelles que connaissent, notamment, les volumes de la Formation Brute de Capital Fixe ou encore du rythme de progression des recettes fiscales. Il nous a été, également, donné d’insister sur l’aggravation, en particulier, du déficit structurel de la balance commerciale des biens et services ».
Réformes structurelles et plan stratégique
Pour Lahlimi, seule une analyse, dans une démarche prospective, des données structurelles de la réalité économique et sociale nationale d’une part et celles géoéconomiques et géopolitiques internationales d’autre part devrait fonder la pertinence et la sécurisation des effets de toute décision de réforme à caractère structurel. Il n’hésite pas d’ailleurs à tancer les remèdes miracles des institutions de Bretton Woods « devenues la bible des conseils, voire des injonctions auxquelles sont soumis depuis 50 ans les pays en développement ».
Or, le monde a changé depuis et la révolution permanente des technologies de l’intelligence artificielle, de l’Internet des objets, de l’impression 3D, le développement de l’économie des plateformes, … rendent ces « directives » désuètes. « Les besoins exponentiels de financement que de telles révolutions ne cessent de créer donnent aujourd’hui une dimension nouvelle aux rapports internationaux, dans la course des différentes puissances à s’accaparer le plus d’atouts dans ce domaine. Dans cette compétition effrénée, c’est une nouvelle ère de la mondialisation qui s’annonce. Après avoir remis en échec la circulation libre des personnes, les ensembles européens, les alliances américaines éclatent dans une dynamique de remise en cause de la liberté de circulation des biens et services longtemps soumises à des restrictions douanières qui ne disent pas leur nom », poursuit Lahlimi.
Il fera d’ailleurs référence à la flexibilisation du Dirham en expliquant que l’une des principale leçon qu’il convient de retenir d’une expérience comme celle de la Chine, est que le régime des changes n’est pas une simple variable financière, mais un outil de politique économique. « C’est le point de vue que j’ai dû exprimer le 17 janvier 2018 à l’Agence internationale Reuters en réponse à une question sur la flexibilisation projetée par le gouvernement du régime de change du dirham. Si je m’étais abstenu de commenter cette décision gouvernementale, j’ai en revanche, voulu saisir l’occasion pour interpeller le FMI sur ses récurrentes recommandations aux pays en voie de développement dans ce domaine et sur les résultats des évaluations sur lesquelles elles se basent dans le cas de chaque pays », précise le Haut-commissaire au Plan.
Et de conclure « Je voudrais exprimer ma conviction que, dans le cadre de notre contexte actuel national et international, nous autres marocains nous sommes appelés à un retour à nous-mêmes et sur nous-mêmes dans le cadre de notre ouverture traditionnelle sur le Monde et sur les acquis universels de progrès et de paix et dans le respect de nos valeurs qui fondent la cohésion nationale de notre pays ».
Il a appelé de son vœu de voir le Maroc mettre un plan stratégique lui évitant cette navigation à vue. D’ailleurs, le HCP dispose d’un nombre d’études et d’indicateurs qui permettraient cela, pourvu qu’on prenne le temps d’aller au-delà des chiffres !