Ecrit par Imane Bouhrara |
Depuis la récente série de réunions tenues par le chef du gouvernement sur la vaccination anti-Covid, particulièrement l’administration de la 3ème dose, au sein de la fonction publique, une véritable chasse aux non vaccinés a été enclenchée. Paraît-il pour un retour à la normale et une levée prochaine des restrictions. Sauf que là, la manière n’y est pas du tout, ce qui risque de donner l’effet inverse à celui souhaité.
Personne n’est prêt d’oublier l’une des premières mesures prises par l’actuel exécutif. En effet, après l’euphorie des élections, le gouvernement aussitôt mis en place avait décidé de l’obligation de présenter un pass vaccinal dès le 21 octobre 2021 pour accéder aux administrations, aux agences bancaires, aux transports en commun etc.
Une décision annoncée à la dernière minute, à la veille de vacances et largement décriée puisqu’elle est à l’encontre des droits constitutionnels des citoyens, la vaccination n’étant pas obligatoire et parce la décision du pass vaccinal a été prise dans la précipitation sans préparation, sans concertation, sans oublier le débat sur la force obligatoire que revêt ou pas le communiqué de l’exécutif.
Depuis c’est un véritable bras de fer dans lequel s’est lancé l’exécutif. Pour preuve, il fera un pas en arrière pour revenir plus en force. Rappelez-vous le twitte de la présidente du CNDH le 18 novembre dernier, dans lequel elle avait salué la décision du Gouvernement d’adopter sur sa recommandation, le pass sanitaire au lieu du pass vaccinal.
Aucune communication officielle n’est venue étayée son propos. Mieux, quelques semaines après, le ministre de l’Intérieur a émis un rappel à l’ordre à ses troupes pour veiller au respect méticuleux de la décision du gouvernement.
Une approche plutôt musclée qui donne l’effet inverse de celui souhaité puisque la vaccination a subi un véritable coup de frein, particulièrement la 3ème dose.
Et voilà qu’en ce mois de février, le chef de gouvernement a multiplié les réunions au sujet encore et toujours de la vaccination avec les parties politiques, le patronat, les EEP…
Les droits sociaux, on en fait peu de cas, pour preuve dans sa série de réunion sur le parachèvement du schéma vaccinal, le Chef de Gouvernement a rencontré les syndicats en dernier lieu. D’ailleurs, à l’issue de cette réunion tenue ce 9 février, le communiqué officiel n’informe en rien sur la position des syndicats qui, eux, ont dénoncé les prélèvements injustifiés sur les salaires aussi bien des fonctionnaires que des salariés du secteur privé, non vaccinés ou qui n’ont pas pris la troisième dose. Pire encore, certains sont tout bonnement menacés de perdre leur emploi !
« On ne peut pas certainement pas parler d’abandon de poste lorsque le salarié ou le fonctionnaire est interdit d’accéder à son lieu de travail », précise Miloudi Moukharik, le SG de l’Union marocaine du travail (UMT), contacté par nos soins à l’issue de cette réunion à laquelle les syndicats ont été invités par le Chef du gouvernement.
Il a réitéré une position très claire, il faut la sensibilisation, la persuasion et la progressivité en lieu et place de la force.
« Nous adhérons à l’importance de la vaccination pour atteindre l’immunité collective, mais nous n’avons pas besoin d’une tension sociale que le gouvernement pouvait éviter en adoptant une démarche de concertation dès le début et avant même de décréter une telle décision. Nous ne voulons pas que notre pays adopte cette démarche sécuritaire concernant la vaccination contre le Covid-19. Par ailleurs, nous avons exprimé au chef du gouvernement notre grande disposition à sensibiliser les délégués du personnel, les délégués syndicaux dans tous les secteurs d’activité pour démontrer le bienfondé de la vaccination et d’atteindre cette immunité collective ».
Le syndicaliste a par ailleurs étayé plusieurs pistes pouvant mener à une plus forte adhésion à la vaccination dans une démarche plus globale de promotion de la sécurité et de l’hygiène en milieu professionnel.
« Nous avons fait savoir au chef de gouvernement l’importance de l’existence des comités d’hygiène et de sécurité au sein des entreprises, lesquels comités ont justement pour rôle entre autres de mobiliser les salariés concernant tout ce qui est hygiène et sécurité au sein de l’entreprise », poursuit Miloudi Moukharik.
Il déplore d’ailleurs que peu d’entreprises ont élu ce comité devant être constitué du représentant du chef d’entreprise et des représentants syndicaux et ne coûte pas un centime à l’entreprise alors que c’est un véritable cercle de qualité en matière d’hygiène et de sécurité en milieu professionnel.
« Nous avons également fait savoir au chef du gouvernement l’absence totale de texte, qu’il s’agisse d’une loi ou d’un décret ni même d’une circulaire dans la fonction publique, dans les EEP et les Collectivités locales, relatif à l’institution de ces comités d’hygiène et nous avons demandé à ce que pareil comités soient constitués pour accompagner la sensibilisation des salariés et des fonctionnaires quant à l’importance de la vaccination », soutient-il
En somme, les syndicats ont défendu la progressivité, la sensibilisation, la persuasion, et l’implication outre que le gouvernement de tous les partenaires sociaux vers une démarche plus sereine.
« Le chef de gouvernement a fait montre de beaucoup de compréhension et je crois qu’il va trouver une solution amiable pour aller vers cette immunité collective », estime Miloudi Moukharik.
En attendant, en plus de la circulaire du 2 février, nous avons pu consulter une dizaine de courriers, qui portent en eux des violations aussi bien du droit du travail que celui du secret médical. Selon un avocat du barreau de Casablanca, le problème réside dans l’absence de base légale à la démarche du gouvernement.
« L’exécutif, peut-être sous la pression de la pandémie, a entrepris une démarche inversée. Il aurait fallu mettre progressivement en place le cadre réglementaire pour l’entrée en vigueur du pass vaccinal. D’abord avec une loi claire qui complète les dispositions contenues dans le Code du Travail en matière de force obligatoire mais également de la procédure à suivre en cas de non-respect de la disposition. Nous sommes ainsi en face de violations des dispositions en vigueur dans le code du Travail qui protègent les droits des travailleurs, en dépit de ce que prévoit l’article 24 du Code du travail. Les différentes circulaires n’informent pas sur une procédure conforme à la loi, aussi bien le Code du travail que le statut de la Fonction publique, qu’un employeur doit suivre en cas de persistance de refus après l’écoulement du sursis prévu », explique notre source.
Et d’ajouter, en l’absence de toute base légale à cette décision, cela promet de longues batailles judiciaires en perspectives maintenant que l’exécutif veut aller jusqu’au bout de cette démarche, aussi bien avec les fonctionnaires, salariés, citoyens que des avocats attachés au droit de choisir de se faire vacciner ou pas.
En dépit de cette décision (le bâton), la zone d’ombre qui persiste est de savoir quels sont les nouveaux objectifs de la vaccination et ce que les citoyens gagnent à se faire vacciner (la carotte). Autrement dit, à partir de quel seuil de vaccination, on peut espérer aussi bien la levée des restrictions que la fin de l’état d’urgence sanitaire.
A l’époque (janvier 2021 au démarrage de la campagne de vaccination) le ministre de la santé avait bien précisé l’objectif en terme d’immunité collective, à savoir 80% de la population, mais sans inclure la 3ème dose dont l’impératif s’est imposé ultérieurement.
Certes avec cette pandémie on va de surprise en surprise, en matière de variant, contamination, prévention, etc… Tous les pays ont dû apprendre sur le tas et au fur et à mesure que la pandémie avançait mais au Maroc, depuis l’établissement de l’état d’urgence sanitaire, la prise de décision en plus d’avoir un caractère de dernière minute, n’est ni justifiée ni expliquée, ce qui explique le manque d’adhésion, particulièrement à la troisième dose, prise par à peine 5 millions de personne contre près de 25 Millions pour la 1ère dose et 23 millions pour la deuxième.
Faut-il rappeler, qu’au départ, il s’agissait d’une vaccination volontaire et non obligatoire, à laquelle s’est greffée la troisième dose à prendre après quatre mois après la deuxième.
L’adhésion au parachèvent du schéma vaccinal est d’autant plus difficile dans cette situation très paradoxale au moment du déclin de la vague Omicron mais surtout au moment où les citoyens sont préoccupés par d’autres problèmes pour lesquels ils attendent des solutions à commencer par le surenchérissement du coût de la vie, la hausse du taux de chômage, et surtout la concrétisation de certaines des promesses électorales annoncées bien avant un certain 8 septembre 2021.