Parmi les chantiers que cette crise a accélérés figure celui de l’aide ciblée avec l’adoption du registre social unifié qui permettra sans doute au Maroc de tourner la page de la compensation. Il permettra également de mettre fin à des pratiques de fraude et de malversation dans plusieurs secteurs. Le secteur meunier est parmi ceux qui devront s’adapter au nouveau contexte de décompensation du blé. Pour en savoir davantage, nous avons interpellé Moulay Abdelkader Alaoui, Président de la Fédération Nationale de la Minoterie (FNM).
EcoActu.ma : L’adoption de la loi sur le ciblage des bénéficiaires des programmes d’appui social balise le terrain vers la décompensation des produits qui sont toujours subventionnés par l’Etat à l’instar de la farine de blé tendre. Comment le secteur de la minoterie se prépare-t-il à cette phase ?
Moulay Abdelkader Alaoui : Les professionnels du secteur meunier attendent depuis longtemps, ce registre social unifié, qui constitue une sorte de carte de la pauvreté du Maroc, qui va permettre aux pouvoirs publics de mieux cibler la subvention octroyée, pour la destiner uniquement aux populations nécessiteuses.
Dans le cas de notre secteur, il est concerné par les farines subventionnées en l’occurrence la farine Nationale de blé tendre et la farine spéciale de blé tendre (FNBT et FSBT) dont le contingent a été arrêté en 1988 à 1 million de Tonnes et suite à un processus de décompensation progressive, ce contingent atteint aujourd’hui seulement 625.000 Tonnes.
Il y a lieu de rappeler que plusieurs mesures ont été adoptées par les pouvoirs publics, depuis les années 90, pour engager le secteur progressivement vers le marché libre.
De leur côté, les professionnels sont fin prêts pour gérer ce passage vers ce marché totalement libre, tant attendu, et qui a mis du temps à se concrétiser.
Le ciblage de l’aide devra mettre fin à plusieurs formes de dysfonctionnements (rente, malversations…). Sachant que le secteur a souvent fait l’objet de polémiques liées à ces pratiques, pensez-vous que cette nouvelle approche assainira-t-elle le secteur ?
Tout système de soutien ou de subvention à la consommation, donne lieu à des abus, qui se traduisent à la longue par des dysfonctionnements qui entravent le fonctionnement normal du marché libre, et créent des effets pervers qui menacent et biaisent la performance, voire la pérennité des unités du secteur.
A cet égard, la suppression de ce système, va s’accompagner nécessairement par :
– Un meilleur assainissement et une bonne moralisation du marché,
– La disparition de l’esprit de rente, qui caractérise les unités qui ont fait de la subvention leur fonds de commerce,
– La réhabilitation d’un système concurrentiel loyal et transparent,
– L’amélioration et la diversification de produits fabriqués en misant sur de nouvelles niches.
La réforme du secteur des minoteries traîne depuis bien longtemps. Qu’est-ce qui explique le retard accusé pour la mise à niveau du secteur ?
Le retard enregistré par la réforme du secteur meunier incombe d’abord et surtout aux pouvoirs publics, dont la politique vis-à-vis de la compensation a été marquée par une hésitation et un attentisme lié aux échéances électorales, sachant qu’il s’agit d’un produit hautement sensible pour la sécurité alimentaire du pays et partant pour la protection du pouvoir d’achat des citoyens surtout d’une frange de la population en situation de précarité.
S’agissant de la mise à niveau du secteur, et malgré les contraintes du système actuel de la compensation qui dure sous sa forme actuelle depuis plus de trois décennies, il y a lieu de souligner que de grands efforts d’investissements ont été effectués par de grandes unités, qui se sont intégrées en amont (importation, plateformes de stockage, agrégation) et en aval (pâtes et couscous, biscuiterie, boulangeries) et qui ont abouti à l’émergence de grands groupes, à la recherche d’économie d’échelle et de parts de marchés de plus en plus grandes.
A côté de ces grandes unités, cohabitent de petites unités, dont l’existence reste liée au système de la subvention qui n’encourage nullement leur restructuration. Le secteur reste néanmoins fragilisé par une surcapacité qui le plombe et qui est à l’origine d’une concurrence aveugle.
La pandémie du Covid a remis à l’ordre du jour la question de la sécurité alimentaire du Maroc et sa dépendance à un produit de première nécessité à savoir le blé, ce qui s’est traduit par une importation massive depuis le début de l’état d’urgence sanitaire. Comment expliquez-vous cette situation ? Qu’en est-il de la production nationale ?
La crise sanitaire liée au Covid 19, a fini par révéler certaines faiblesses de notre système actuel, et notamment l’absence d’un stock de sécurité stratégique, dont la constitution incombe de par la loi 12-94 à l’ONICL, mais que les opérateurs ont assumé depuis toujours, à leur propre charge.
Aujourd’hui, les opérateurs n’ont plus les moyens financiers suffisants pour financer ce stock de sécurité, et il appartient à l’Etat en partenariat avec tous les intervenants de la filière céréalière de réfléchir à un système et un mode de gestion de ce stock.
D’ailleurs lors d’une visioconférence avec les opérateurs de la filière présidée par Mr le Ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et forêts, ce sujet a été abordé et le ministre a donné ses instructions aux départements concernés pour se pencher immédiatement après le confinement sur cette problématique.
Concernant la production nationale, elle est et reste au cœur de notre préoccupation. Nous avons réitéré à chaque fois notre engagement à donner la priorité à la collecte et l’utilisation de la production nationale en blés quel que soit le niveau de cette production qui somme toute reste tributaire des caprices du climat et peut aller de 1,6 million de Tonnes en blé tendre, comme ce fût le cas cette année, à plus de 5 millions de Tonnes de blé tendre si les conditions climatiques sont très favorables.
Outre les conditions climatiques, dont la maîtrise échappe aux agriculteurs, il existe d’autres contraintes structurelles liées au statut du foncier, au manque de mécanisation, au non recours de manière systématique à une couverture d’assurance, à la sous utilisation facteurs de productions en particulier de semences sélectionnées et adaptées aux conditions edapho-climatiques de chaque région, etc. d’où un rendement moyen très faible.
Vous avez souligné à plusieurs reprises que le secteur des minoteries est le parent pauvre du Plan Maroc vert. A quoi attribuez-vous ce constat ?
Le plan Maroc vert est conçu et destiné en priorité au monde agricole, et rural, et bien entendu le tissu agro industriel est censé constituer le débouché naturel de la transformation des produits agricoles, et peut même jouer le rôle d’agrégateur pour les producteurs de l’amont. Malheureusement, cette expérience d’agrégation surtout pour le blé tendre, n’a pas bien réussi et n’a pas encore atteint les résultats escomptés. Mais nous avons la conviction qu’avec de nouveaux ajustements, l’agrégation trouvera son chemin et du coup l’instauration d’un véritable partenariat basé sur une logique gagnant-gagnant entre producteurs et utilisateurs.
Il semble que les minoteries artisanales dérangent en quelque sorte les grands industriels. Qu’est-ce qui se passe réellement entre les petits et les géants du secteur ?
Le secteur de la minoterie artisanale constitue une autre contrainte pour le secteur industriel, du fait qu’il ne respecte pas les attributions que lui confère le législateur, à savoir la trituration des céréales pour le compte du consommateur, et va jusqu’à vendre les farines dans des sacs avec même des marques commerciales, en échappant aux contraintes fiscales, et sanitaires.
De ce fait cette pratique, qu’il faut condamner et arrêter coûte que coûte, constitue une concurrence déloyale pour un secteur déjà en surcapacité.