Ecrit par Soubha Es-Siari |
La dangerosité des déficits nous guette. Le spectre du conflit russo-ukrainien plane toujours avec en bandoulière une panoplie de risques pour notre économie. Que ce soient les indicateurs relatifs à la situation des finances publiques ou à la balance commerciale, ils se creusent simultanément et n’augurent rien de bon d’autant que le conflit pourrait ne pas se dissiper d’ici quelques mois.
La situation des finances publiques telle que présentée par la TGR dans son bulletin mensuel du mois de juin présente des signes de fragilité malgré l’évolution positive de certaines composantes de la fiscalité directe et indirecte. L’exécution du budget général de l’Etat fait apparaitre une hausse des recettes ordinaires de 18,7 % au terme des six premiers mois de l’année pour atteindre le montant global de 147,4 Mds de DH contre 124,2 Mds de DH à fin juin 2021.
Cette progression exceptionnelle résulte de la forte reprise des recettes fiscales dont le montant global s’est accru au taux moyen de 22 % au terme des six premiers mois de l’année. L’impôt sur les sociétés a été la composante la plus marquante dans cette évolution avec une augmentation des recettes au titre de l’IS de 56,7% à fin juin comparativement à la même période de l’année précédente.
Le redressement important de l’impôt sur les sociétés témoigne d’une reprise vigoureuse de l’activité dans de nombreux secteurs qui fonctionnaient au régime ralenti durant la phase la plus sévère de la pandémie. L’impôt sur le revenu bien qu’en hausse a suivi une cadence plus modérée avec une hausse cumulée atteignant 5,1 %.
S’agissant des impôts indirects, l’évolution constatée sur les six premiers mois marque une nette reprise qui s’explique essentiellement par les recettes au titre des importations. On remarque à ce propos que la TVA sur les importations dont le montant global s’est établi à 26.932 MDH à fin juin 2022 contre 20.439 MDH à fin juin 2021 soit une hausse de 32,3%.
On note par contre du côté des recettes non fiscales une baisse de 11,1% en raison notamment de la diminution des recettes de monopoles (3.936 MDH contre 5.155 MDH), des recettes en atténuation des dépenses de la dette (311 MDH contre 1.262 MDH) et de la redevance gazoduc (7 MDH contre 377 MDH), conjuguée à la hausse des versements des CST au budget général (4,5 Mds de DH contre 2,9 Mds de DH).
Un déficit estimé à 14,4 Mds de DH
Au plan des dépenses, même si les l’évolution des charges ordinaires du budget considérées globalement s’inscrit dans la tendance moyenne constatée lors des exercices précédents, les dépenses de compensation marquent une nette rupture par rapport à ces tendances. Le montant global affecté à la compensation s’est établi au terme des six premiers mois de l’année à 16,1 Mds de DH, en hausse de 155,2 % par rapport à son niveau à la même période en 2021. Cette explosion des charges de compensation résulte principalement de la hausse des cours des produits bénéficiant encore du soutien de l’Etat.
La montée des tensions géopolitiques avec pour toile de fond la hausse des cours des produits énergétiques s’est fortement répercutée sur le budget de compensation et a absorbé une bonne partie des recettes additionnelles réalisées au titre de la fiscalité.
La programmation de dépenses d’investissement pour un montant dépassant 39 Mds de DH en hausse de 23,7% a puisé sur les mêmes ressources fiscales additionnelles au point de réduire l’avantage escompté du redressement des recettes ordinaires après la crise pandémique. Le déficit global estimé sur la même période à 14,4 Mds de DH pourrait fortement s’aggraver au terme de l’exercice au cas où l’explosion des dépenses de compensation continue.
Et un déficit commercial en hausse de 36,9%
Du côté de la balance commerciale, les indicateurs publiés par l’Office des changes à fin mai 2022 attestent d’un déficit commercial de 116,8 Mds de DH en hausse de 36,9% par rapport à la même période de l’année précédente.
Au titre des cinq premiers mois de l’année 2022, les importations ont progressé de 39,2% à plus de 82,55 Mds de DH, et les exportations ont grimpé de 40,7% à 51,06 Mds de DH.
Mais en dépit de ces évolutions positives aussi bien en ce concerne les exportations que les importations, l’équilibre de la balance commerciale fait apparaître comme signalé un déficit de plus en plus inquiétant.
La prise en compte des transactions portant sur les services ainsi que les flux financiers au titre des voyages et des transferts de la migration permet néanmoins d’atténuer le déséquilibre enregistré au niveau des échanges de marchandises.
Sur les cinq premiers mois de l’année, les transferts MRE ont progressé de 5 % alors que les recettes voyage se sont accrues de 12.889 MDH. Cette évolution positive des flux financiers correspondant aux transactions courantes demeure cependant insuffisante pour infléchir la tendance au creusement du déficit des paiements extérieurs qui s’annonce au terme de l’exercice en cours.
Cette tendance conjuguée à l’orientation actuelle des comptes publics donne toute la mesure des difficultés à venir quant à la gestion des équilibres financiers interne et externe avec le risque des déficits jumeaux, celui du budget et celui de la balance des paiements.
Le Maroc a tout l’intérêt à procéder à la rationalisation des dépenses publiques de consommation dont une grande partie pèse sur les importations. Il doit par ailleurs veiller à une optimisation de ses recettes à travers la bonne gouvernance, la lutte contre la fraude fiscale et l’éradication de l’informel. Et pour conclure, le Maroc doit procéder à une transformation structurelle de notre économie pour réussir la substitution aux importations, un objectif sur lequel l’équipe au pouvoir s’attelle aujourd’hui.
C’est tout le mal que nous lui souhaitons.
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