Au lendemain de la mise en place de l’état d’urgence sanitaire, le ministère de l’Économie et des finances a mis en place des mesures pour remédier un tant soit peu à la problématique des délais de paiement. En attendant leur application, les TPME souffrent le martyre.
Depuis le 31 décembre 2019, le ministre de l’Économie et des Finances n’a plus procédé à une nouvelle publication de la situation des délais de paiement des entreprises et des établissements publics (EEP). Dévoiler les dix premiers mauvais payeurs est pourtant une façon de dissuader ces EEP à allonger davantage les délais de paiement pour des raisons qui n’ont rien à voir avec leur situation financière. Dans un contexte de crise sanitaire, cette publication serait d’une grande importance pour les TPME dont la majorité croule sous la menace d’un sérieux problème de trésorerie à cause d’un arrêt brutal de leur activité.
Bien avant la pandémie au mois de février, la deuxième réunion de l’Observatoire de délais de paiement s’est soldée par un certain nombre de dispositions dont quelques-unes sont à court terme pour ne citer que les intérêts de retard. D’aucuns diront que le moment n’est pas propice pour l’application des intérêts de retard, mais il faut reconnaître que la communication sur les résultats desdites dispositions laisse à désirer. Encore faut-il s’assurer qu’elles soient appliquées.
La riposte Covid
A ce titre et dans le même sillage, il sied de rappeler que quelques jours après l’instauration de l’Etat d’urgence sanitaire soit le 26 mars, le ministère de l’Économie, des Finances et de la Réforme Administrative avait émis une Circulaire à l’attention de tous les départements ministériels, aux directeurs généraux, aux directeurs des Établissements et Entreprises publiques. Le but étant de les inciter à accélérer les processus de paiement au profit des entreprises et ce afin d’apaiser la pression, sur les trésoreries des entreprises notamment la PME, générée par la pandémie Covid-19.
La circulaire rappelle également les incitations royales en la matière à l’égard de toutes les administrations et entreprises publiques pour les pousser à payer leurs dus afin d’éviter la défaillance en cascade des entreprises et la perte d’emplois. M. Benchaâboun exhorte par ailleurs tous les départements à déployer les efforts nécessaires pour liquider toutes les factures et les décomptes au profit des fournisseurs : entreprises, bureaux d’études, d’architectes…
A l’occasion de la dernière réunion du CVE tenue le 21 mai, il a été décidé d’accélérer dans la phase de relance, le paiement des dettes de ces entreprises auprès de certains établissements et entreprises publics impactés par cette pandémie. A ce titre, un nouveau mécanisme est mis en place à travers lequel l’établissement ou l’entreprise publique arrête la liste détaillée des entreprises créancières devant être payées. Pour ce faire, l’État accorde sa garantie pour la levée par l’entité publique concernée d’un emprunt dédié exclusivement au paiement desdites entreprises. Aussi, les banques accordent-elles le crédit tout en prenant en charge directement les paiements des entreprises concernées sur la base des informations communiquées par l’entité publique concernée. Des dispositions très louables et prometteuses, sil elles sont appliquées à bon escient. Néanmoins, elles restent souvent lettre morte si des garde-fous ne sont pas mis en place pour veiller à leur respect.
Gare aux défaillances !
L’impact de ces mesures, les TPME n’y voient que dalle. Nombreuses sont celles qui souffrent, en dépit de la crise sanitaire, de délais de paiement anormalement longs. Des factures datant de 2019 non encore réglées par les EEP sont monnaie courante chez cette frange importante du tissu économique qui risque, faute d’intervention, mettre la clé sous le paillasson. « Le choc d’activité en s’ajoutant aux difficultés structurelles pré-existantes tels que les délais de paiement, risque de mener à une détérioration des conditions de paiement, justifiant une hausse des défaillances au Maroc (17% en 2020) », alerte Allianz Maroc dans une récente étude relative à l’impact du Covid sur la situation économique du Maroc.
Les crédits interentreprises (oscillant autour de 400 Mds de DH), c’est encore plus compliqué. C’est toujours le pot de verre contre le pot de fer. Les TPME n’ont pas la taille suffisante pour imposer leurs conditions contractuelles : au contraire, elles subissent celles de leurs gros clients. L’Etat doit justement s’assurer que les règles s’appliquent à tous.
Même son de cloche chez le président de la Confédération Marocaine de TPE-PME, Abdellah El Fergui qui explique que sur le terrain, la situation est très difficile voire compliquée. Des va et vient incessants pour des signatures qui prennent du temps et du coup retardent le paiement. Il dénonce également la passivité même du Patronat qui pourtant dispose d’un pouvoir de mobilisation important des entreprises privées. Rien ne pourra se faire sans la CGEM sur la question.
Dans un contexte de crise aussi bien sanitaire qu’économique, l’appel est plus à la solidarité. Hormis l’aspect social, la solidarité doit être aussi bien économique. Les entreprises publiques ou privées qui ont encore du cash, se doivent de régler leurs dettes commerciales sans retard, afin d’aider les entreprises les plus fragiles. Aussi, il est impératif que le ministère des Finances soit plus vigilant et veille au respect des dispositions sus mentionnées.
Comme l’a si bien souligné Amine Diouri de Inforisk : « Je propose la création d’une cellule d’urgence sur les délais de paiement, chargée de suivre en temps réel cette problématique. Certes, notre Ministre de l’Économie a invité récemment les entreprises publiques à encore plus respecter les délais de paiement. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que la véritable problématique concerne les retards de paiement entre sociétés privées, pour laquelle l’information en temps réel sur les retards de paiement piétine toujours ». Une véritable prise en otage de l’économie dans ses multiples dimensions.