On ne compte plus depuis une année des déclarations affirmant à profusion que le niveau de 82% atteint par le ratio dette publique/PIB est porteur de risques de graves déséquilibres macroéconomiques. Ces déclarations, qui se réfèrent au principe de seuil de soutenabilité, présupposent que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ce faisant, elles usent d’un stratagème qui s’avère, à l’examen, sans fondement.
Défini en référence à la contrainte budgétaire de l’Etat, le seuil d’endettement a été largement promu, à la faveur des crises des dettes souveraines en Europe, à la fois comme indicateur du lien entre la dynamique de l’emprunt public et les conditions de stabilité et de croissance et comme instrument de gestion des déficits publics. A en juger par les termes du débat suscité par l’étude de Reinhart et Rogoff (2010), force est de souligner que ce critère est inadéquat. Selon cette étude sur l’évolution de la dette publique de 44 pays sur une période allant de 1790 à 2009, la croissance baisse de 1% lorsque le taux d’endettement public excède 90%. Cette conclusion a suscité des réactions dont la plus fameuse est incarnée par une étude de Massachusetts (Hendron et al. 2013) qui a révélé une foule d’erreurs de calcul et mis en doute la définition d’un seuil critique. Il s’en dégage des enseignements d’importance. Les résultats des travaux empiriques varient d’occasion en occasion. Ils sont nécessairement tributaires de la base des données, des modes de leur traitement, comme des variables, des composants théoriques sollicitées et hypothèses essentielles et auxiliaires. Etant ainsi contingents, ils ne peuvent prétendre constituer des énoncés catégoriques ayant une valeur explicative ou prédictive stable. Par conséquent, il n’est pas possible de déterminer les limites de la soutenabilité et, partant, un seuil au-delà duquel l’endettement porte préjudice à la croissance. Privée de justification, la recommandation d’une réduction systématique des déficits publics, qu’implique le critère du seuil, apparaît tout à fait arbitraire. Le chiffre est réduit dans ce contexte à un dispositif de persuasion au service d’une gouvernance qui peut, de surcroît, s’avérer contreproductive. En imposant la rigueur comme impératif, il conduit à des ajustements budgétaires qui compromettent la croissance et entravent le contrôle du déficit aggravant ainsi les risques d’insoutenabilité qu’il est censé limiter.
« Les faits – affirme Henri Poincaré- parlent d’eux-mêmes ! Le malheur, si on les interroge, ils ne parlent même pas ». Il en est ainsi des données chiffrées. Celles-ci sont muettes. Ce sont leurs utilisateurs qui parlent en leur nom. Comme dire c’est faire, ils peuvent inspirer des politiques inopportunes qui détériorent le bien-être collectif. Le débat sur les multiplicateurs budgétaires dans le contexte des austérités fournit à cet égard moult leçons.
Par RédouaneTaouil
Professeur agrégé des universités