- Le gouvernement reste optimiste quant à l’aboutissement du dialogue social.
- Une révision de l’offre gouvernementale n’est d’ailleurs pas exclue pour débloquer la situation.
- Eclairage de Mohamed Yatim, ministre de l’Emploi et de l’Insertion professionnelle sur l’état d’avancement du dialogue social.
EcoActu.ma : Après un gel des négociations, le dialogue social a repris il y a quelques mois donnant naissance à un contrat social. Sauf que ce dernier n’a pas convaincu les différentes parties prenantes principalement les syndicats. Quelle lecture faites-vous des différentes réactions ?
Mohamed Yatim : Le processus du dialogue social a été important et prometteur. Je rappelle à juste titre que la reprise est intervenue après une longue période de rupture (depuis 2016). Dès sa constitution, le gouvernement s’était engagé à reprendre les discussions, à soutenir la négociation collective et à institutionnaliser le dialogue social.
Mais au-delà, le gouvernement vise l’adoption d’une charte sociale qui est un cadre fondamental dictant les règles générales de la relation entre les différents partenaires sociaux. Il est vrai qu’il y a eu des divergences entre le gouvernement, le patronat et les syndicats lors du démarrage des négociations. Il est aussi vrai que les négociations ont été rudes en raison du nombre important des syndicats. Mais l’enjeu aujourd’hui est de rétablir le climat de confiance entre les différentes parties pour pouvoir arriver à un terrain d’entente. Il est question d’instaurer une nouvelle réflexion qui tend vers l’institutionnalisation du dialogue social. Le gouvernement veille à réussir ce pari car il est convaincu de la nécessité d’avoir des partenaires sociaux forts. Nous sommes convaincus que toutes les décisions gouvernementales relatives aux revendications sociales doivent passer par les centrales syndicales.
C’est pourquoi nous nous sommes mis d’accord avec les partenaires sociaux pour entamer le dialogue social dans un premier temps en constituant 3 commissions : La première concerne l’amélioration des revenus, la deuxième est dédiée au secteur privé et une troisième consacrée au secteur public.
La commission tripartite s’était accordée sur un programme de travail pour discuter des questions les plus urgentes. L’objectif était de donner aux travailleurs, en marge du 1ermai, un signal fort de la reprise du climat de confiance entre le gouvernement, la CGEM et les syndicats. Il a été donc question de sortir avec des livrables après le premier round des négociations en avril pour répondre aux revendications les plus urgentes.
Ce que nous avons réussi aujourd’hui c’est de briser le gel du dialogue social, d’établir un agenda clair et de fonder une base solide pour la poursuite des négociations.
Les syndicats ont rejeté en bloc la proposition du gouvernement qu’ils ont jugée faible. Est-il envisageable de revoir cette proposition de sorte à y faire adhérer les différents partenaires ?
Il faut savoir que la proposition gouvernementale coûtera à l’Etat 6 Mds de DH sur 3 ans. Il est vrai qu’elle peut ne pas convaincre les syndicats et qu’elle ne réponde pas à toutes les attentes. Toutefois, comme je disais lorsque j’avais la casquette du syndicat, il faut prendre ce qui est disponible et demander davantage.
Notre démarche a consisté à répondre, dans un premier temps, aux revendications les plus urgentes qui touchent les catégories les plus affectées. C’est pourquoi, les mesures ont concerné les allocations familiales (privé et public), les catégories démunies, les fonctionnaires de l’échelle de 6 à 10, ainsi qu’une augmentation globale de 300 DH pour les fonctionnaires de l’échelle 11. En plus de la compensation du travail dans les zones rurales et enclavées.
Cela dit, cette proposition n’est pas définitive. Il y a toujours la possibilité de revoir certaines choses. D’ailleurs, le Chef du gouvernement dans son discours du 1ermai a déclaré la possibilité de supporter la 4èmetranche des cotisations des employés à la CNSS ainsi que de réduire la durée de la répartition des augmentations de 3 à 2 ans. Le gouvernement est aujourd’hui ouvert à toutes les propositions.
Le dialogue social est un long processus qui s’attèle non seulement sur les revendications d’ordre financier mais s’étale à d’autres paramètres notamment la réduction du chômage, le renforcement de la compétitivité des entreprises…
Face aux nouveaux défis, nous sommes amenés à revoir la législation sociale et à mettre en place une flexibilité à la responsabilité sociale qui requiert un effort collectif et un changement de la culture sociale. C’est n’est qu’ainsi nous pourrons fonder les bases d’un dialogue social serein et responsable.
Pour nombre d’observateurs, le dialogue social au Maroc se résume à des discussions au niveau central sans déclinaison sectorielle ou régionale. Comment expliquez-vous cela ?
Vous avez raison de soulever ce point qui figure parmi nos priorités. Je tiens à préciser que contrairement à ce que les gens pensent, le dialogue social ne se résume pas aux discussions centrales où sont négociées les revendications sociales. Mais il y a d’autres espaces de négociation pour ne citer que les Conseils tripartites où se réunissent les centrales syndicales, la CGEM et les parties gouvernementales pour évaluer les recommandations visant à développer et améliorer la situation sociale. Sans oublier le Conseil économique, social et environnemental et la Chambre des conseillers. Cela dit, le dialogue central est certes fondamental mais nous estimons que le dialogue sectoriel doit devancer celui central.
Quant au dialogue régional, nous travaillons pour combler le vide en mettant en place des conventions collectives régionales ou un cadre régional du dialogue. Car nous estimons que certaines questions doivent être discutées au niveau régional afin d’apporter des réponses adaptées aux spécificités de chaque région. Je donne le cas du Smig, il est insensé que le Smig à Casablanca soit le même dans toutes les régions du Royaume.
Autre point et pas des moindres nous accordons une importance aux conventions collectives aussi bien au niveau des entreprises que sur le plan sectoriel.
La méthode de négociation adoptée depuis plusieurs décennies n’aboutissant pas, ne vous semble-t-il pas pertinent d’abandonner le format actuel et innover pour faire aboutir justement ce dialogue ?
En effet, il faut changer notre culture et adopter un nouveau paradigme car le paradigme actuel est obsolète étant donné qu’il est basé sur une culture du conflit de la relation employeur/employé qui date du 19èmesiècle avant la mondialisation. Aujourd’hui, à travers le monde, il y a de nouveaux modèles qui incluent la dimension sociale. Le développement croissant des systèmes de la couverture sociale, l’évolution du dialogue et des conventions collectives, l’émergence de l’approche participative entre les employés et les employeurs, l’apparition de l’entreprise citoyenne et du syndicat citoyen témoignent de ce changement qui en phase de s’opérer dans les pays développés.
Et c’est la démarche que nous comptons entreprendre. Cela dit, je tiens à souligner que le plus important dans ce processus ce ne sont pas les mécanismes mais la nécessité d’entreprendre ce changement de paradigme. C’est une condition sine qua non pour garantir la survie des partenaires sociaux traditionnels (syndicats) qui jouent un rôle important dans la stabilité de la paix sociale et éviter l’émergence de nouvelles interfaces. C’est pourquoi gouvernement, patronat et syndicats devons ensemble construire un nouveau modèle de partenariat et de dialogue.
Comment l’Etat jugule-t-il entre son rôle de régulateur mais également d’employeur dans ce débat ?
Le gouvernement est un décideur et non pas un régulateur. Toutefois avant de prendre des décisions, il prend le temps d’écouter avant d’agir. La preuve, dans le cadre du dialogue social, le gouvernement a choisi la concertation avec les syndicats avant l’adoption définitive du contrat social. Et malgré le rejet de la proposition gouvernementale par les syndicats, le gouvernement veut toujours croire en la reprise du dialogue. Mais la posture des bras ouverts de l’Etat ne durera pas longtemps.