Contrairement aux apparences, la décision de donner aux associations du consommateur le droit d’ester en justice est plus une contrainte qu’une avancée. Précisions avec Ouadie Madih, Secrétaire général de la fédération nationale des associations du consommateur, au sujet de ce « droit » empoisonné.
La décision conjointe entre le ministère de la Justice et celui de l’Industrie relative à l’application du décret n°2-12-503 pris pour l’application de certaines dispositions de la loi n°31-08 a enfin vu le jour. C’est le 3 mai 2018 que cette décision a été publiée dans le bulletin officiel, soit en pleine période de boycott. Simple coïncidence ou un signal pour apaiser la tension et clamer l’effervescence de la rue ? Une question légitime vue le temps qu’il a fallu, plus de 6 ans, pour arracher ce droit qui donne aux associations non reconnues d’utilité publique, la possibilité de représenter les consommateurs et d’ester en justice les entreprises privées ou des organismes publics de service.
Si à première vue cette décision vise à donner au mouvement consumériste plus de pouvoir pour défendre aux mieux les droits des consommateurs, force et de constater que la guerre est loin d’être gagnée. Comme dit l’adage le diable est dans le détail.
Plus une contrainte qu’une avancée
En effet, la décision renferme une clause qui risque de condamner l’application de cette décision. «Outre les critères d’éligibilité notamment la conformité juridique des associations au dahir de 1958 et notamment à la loi 31-08, cette décision impose d’autres dispositions qui n’ont pas de sens à notre avis», nous explique Ouadie Madih, Secrétaire général de la Fédération nationale des associations du consommateur.
En effet, pour ester en justice une entreprise, l’association est tenue de constituer un dossier et de mentionner le département ministériel de tutelle de l’entreprise en question. Le dossier est par la suite déposé auprès du ministère de la Justice qui se charge de le transmettre dans un délai de 60 jours aux départements ministériels du secteur concerné. Ces derniers ont un délai de 30 jours pour accorder ou de refuser aux associations le droit pour ester en justice une entreprise. Et c’est la où le bât blesse. Pourquoi donner aux ministères un tel pouvoir ? Quels sont les critères sur lesquels vont-ils se baser pour donner ou non cette autorisation ? Autant de questions qui restent en suspens et qui en disent long sur le pouvoir des associations des consommateurs dans notre pays.
En France, pays sur lequel nous nous référons habituellement sur le plan législatif, les associations nationales sont soumises à un agrément qui leur donne le droit d’ester automatiquement en justice.
Cette décision est donc plus un cadeau empoisonné puisque les associations du consommateur auront toujours les mains liées et devront dépendre de la décision d’un ministère. «Nous n’arrivons toujours pas à comprendre la finalité de cette mesure que nous contestons depuis la promulgation de décret, soit depuis 2013. Je tiens également à préciser que les Associations n’ont été associées ni à l’élaboration dudit décret, ni à celle de la décision qui vient d’être actée », nous précise Ouadie Madih. Et d’ajouter que cette disposition est plus une contrainte qu’une avancée puisqu’elle empêche aux associations de jouer pleinement le rôle qui leur incombe, à savoir la protection du consommateur.
Autre contrainte et pas des moindres, pour avoir l’autorisation d’ester en justice, les associations du consommateur doivent avoir une convention avec un cabinet d’avocat. «Et qui dit convention dit moyen financier. Or les ressources financières des associations sont limitées surtout que l’article 160 de la loi 31-08 stipule que si l’association décide de représenter le consommateur elle doit le faire à titre gracieux », explique le SG de la Fédération nationale des associations du consommateur.
C’est pourquoi les associations appellent l’activation de l’article 156 de la loi 31-08 qui prévoit l’institution du Fonds national pour la protection du consommateur en vue de financer les activités et les projets visant la protection du consommateur, à développer la culture consumériste et à soutenir les associations de protection du consommateur constituées conformément aux dispositions de la présente loi. Car sans ce fonds, la mise en œuvre de cette décision restera lettre morte.
Face à ces freins, à l’absence d’une instance de concurrence active et à l’inapplication des lois en vigueur, force est de reconnaître que le grand perdant dans toute l’histoire est le consommateur marocain qui n’a d’autres choix que de se plier aux règles du marché.