L’Etat marocain a réussi une émission obligataire d’un milliard d’euros sur le marché des capitaux international, sur 12 ans à 1,5%. Le timing de cette sortie, les raisons et l’enjeu de cet emprunt, les fichiers projets présentés aux créanciers, la fenêtre de tir, le non recours à la ligne de précaution et de liquidité… autant de questions posées par EcoActu.ma et auxquelles la délégation marocaine, présidée par le Ministre des Finances Mohamed Benchaâboun lors du road show organisé du 14 au 20 novembre dernier dans les principales places financières européennes, a répondu sans ambages.
La présente délégation est composée de Fouzia Zaaboul, Directeur du Trésor, Elhassan Eddez, Adjoint au Directeur chargé du pole dettes et Abdelkrim Jouahri, chef de division du MFI et de la gestion des risques.
EcoActu.ma : Sur le marché financier international (MFI), nous commençons à parler même de taux négatifs. Qu’est-ce qui a empêché le Maroc de bénéficier d’un taux négatif au lieu de 1,5% ? Comparativement à d’autres pays, quelle appréciation faites-vous des conditions globales de l’emprunt ?
Délégation marocaine : De prime à bord, il faut savoir que les taux de rendement des emprunts obligataires émis sur le MFI se composent de deux éléments, un taux de marché calculé le jour de la transaction par rapport à un benchmark (taux de référence) qui est dans notre cas le taux d’intérêt moyen des swaps pour une maturité équivalente, appelé mid swap, auquel est ajouté un spread qui représente la prime de risque devant être payée par l’émetteur d’une obligation par rapport aux taux de marché.
Pour des émetteurs émergents comme le Maroc, l’élément fondamental qui joue sur le niveau du coût de leurs emprunts est la prime de risque (ou spread) demandée par les investisseurs dans la mesure où le taux de référence est déterminé par le marché et sur lequel l’émetteur ne peut avoir aucune influence. Ce spread dépend de la qualité de crédit de l’émetteur. En effet, plus cette qualité de crédit est élevée, moins est élevé ledit spread et vice versa.
Aujourd’hui en Europe, certains taux de référence sont effectivement négatifs et notamment les taux à court terme tel que l’Euribor à 3 et 6 mois. Les taux mid-swap sont négatifs jusqu’à une maturité d’environ 9 ans. Pour des maturités de 10 ans et plus, ce taux est positif.
Actuellement, seuls les pays ayant une notation élevée de la part des agences de notation, c’est-à-dire d’au moins A peuvent lever des fonds en Euro à des taux négatifs (pour des maturités de 10 ans et moins). Il s’agit par exemple de l’Allemagne, la Suisse, le Danemark, les Pays Bas et l’Autriche. Des pays comme le Royaume Uni, l’Italie, l’Espagne ou encore le Portugal empruntent à des taux d’intérêts positifs.
Si on revient à l’émission du Maroc, les deux éléments qui forment le taux d’intérêt ont joué positivement en notre faveur nous permettant de sortir avec un taux exceptionnel de 1,5% jamais réalisé par l’Etat ni sur le marché intérieur ni sur le marché financier international. Ce taux est également le plus bas jamais réalisé par un émetteur souverain en Afrique.
Il y a tout d’abord le taux mid swap qui s’était établi à 0,203% pour une maturité de 12 ans le jour où le Maroc a réalisé son émission, soit le 21 novembre. A titre de comparaison, ce taux était de 1,552% lors de l’émission de 2014 qui a porté sur une maturité de 10 ans pour un montant équivalent de 1 milliard d’Euros.
Mais ce qu’il convient de souligner, c’est la baisse du spread Maroc qui confirme l’appréciation positive du risque Maroc par les investisseurs internationaux. Et c’est le retour unanime de l’ensemble des investisseurs, environ une soixantaine parmi les plus grands investisseurs basés en Europe, rencontrés par la délégation marocaine présidée par le Ministre lors du road show organisé du 14 au 20 novembre dernier dans les principales places financières européennes.
Quelles sont les fiches projets présentées par votre délégation pour convaincre les créanciers ?
L’importance de ce road show est de rencontrer physiquement les investisseurs pour les informer et leur expliquer les principaux atouts de notre pays et particulièrement la stabilité politique dont il jouit et la résilience de son économie dans un environnement régional et international instable. Il était aussi important de partager avec eux la vision de notre pays et les politiques publiques qui seront mises en œuvre afin de les rassurer par rapport aux perspectives d’évolution futures dans les domaines politique, économique et social.
Ainsi, la délégation marocaine a saisi l’occasion de ce road show pour éclairer ces investisseurs sur les récents développements réalisés par notre pays sur les plans des réformes économiques et sociales et la maîtrise des équilibres macroéconomiques, le bilan des principales stratégies sectorielles (Plan d’Accélération industrielle, Plan Maroc Vert…) basées sur le principe d’écosystème ce qui a permis de diversifier notre tissu productif, d’améliorer sa compétitivité et d’assurer son meilleur positionnement dans les chaines de valeur internationales, les efforts fournis pour doter notre pays d’une infrastructure de classe mondiale (Ports, routes et autoroutes, chemins de fer et TGV, aéroports, télécommunication…) qui nous permet aujourd’hui d’attirer de gros investissements étrangers dans divers secteurs tels que l’industrie, la finance, l’immobilier, le tourisme et les énergies renouvelables.
Sur ce dernier point des énergies renouvelables auquel les investisseurs étaient très sensibles, la délégation marocaine a mis en exergue l’engagement du Maroc à l’Accord de Paris sur la réduction des Gaz à effet de serre et qui a été confirmé lors de l’organisation de la COP22 à Marrakech en 2016. Cet engagement a été matérialisé par des investissements importants effectués par notre pays pour réduire sa dépendance vis-à-vis des énergies fossiles et qui se sont traduits par des progrès remarquables dans les programmes d’énergies renouvelables en portant la part de ces énergies à environ 34% de la puissance électrique installée avec des objectifs de 42% pour 2020 et de 52% pour 2030.
Sur un autre plan, la délégation marocaine a relaté les différents programmes et initiatives menés par notre pays pour encourager le secteur privé et notamment les PME et la TPE afin qu’elles contribuent efficacement à la production de la richesse et à la création d’emploi. Elle a aussi met en relief les réformes mises en place pour améliorer le système éducatif marocain et promouvoir la formation professionnelle dans le but de réduire le chômage des jeunes et notamment des jeunes diplômés.
Les investisseurs rencontrés étaient également sensibles à la stratégie de notre pays en matière de régionalisation avancée devant permettre une réduction des disparités spatiales et régionales et une meilleure contribution des régions à l’effort de croissance et de développement de notre pays.
Pourquoi recourir à un tel emprunt qui n’est pas aussi important qu’il paraît, face à l’importance des budgets que nécessitent en général les projets d’investissement, au lieu d’activer la ligne de précaution et de liquidité du FMI ?
A rappeler que depuis 2012 le Maroc a bénéficié de quatre accords LPL de 2 ans chacun. Ces accords ont accompagné les réformes structurelles entreprises par notre pays pour réduire les vulnérabilités liées au contexte international défavorable et reconstituer les marges de manœuvres budgétaires et extérieures, tout en renforçant la confiance des partenaires et investisseurs étrangers.
En décembre 2018, le Maroc a conclu avec le FMI un nouvel accord (le 4ème) au titre de la LPL d’un montant de 3 milliards de $US utilisable sur une période de deux ans, contre 3,5 MM.$US, 5 MM.$US et 6,2 MM.$US, respectivement en 2016, 2014 et 2012. La réduction du montant de cette facilité tient au renforcement des fondamentaux de notre économie et de sa résilience aux chocs exogènes.
Le renouvellement de cet accord constitue toujours une assurance pour notre pays contre d’éventuels risques extérieurs liés, notamment, à la hausse des cours du pétrole, les tensions géopolitiques, le ralentissement de la croissance dans la zone euro, ainsi que l’exacerbation du protectionnisme et le resserrement des conditions de financement. Il contribue également à consolider davantage la confiance des partenaires et investisseurs étrangers.
La réussite de cet emprunt aura-t-il un impact sur les établissements relevant du secteur public et privé en quête de financement à l’international ?
La mobilisation des fonds via le placement d’une émission obligataire auprès des investisseurs internationaux à des conditions favorables traduit la confiance de ces derniers dans la signature du Maroc. Cette émission est donc un benchmark de la qualité du crédit du pays qui servira de référence à d’autres émetteurs des secteurs public et privé dans leur quête de financement à l’international. La LPL ne répond pas à ces objectifs et a donc une autre finalité tel que relaté auparavant.
Dans le même sillage, est-ce que le 1 Md d’euros nécessite une sortie à l’international ou est-ce un moyen pour le Maroc, après une absence de 5 ans, pour mettre en exergue les potentialités de l’économie marocaine et ses fondamentaux auprès des créanciers ?
L’emprunt obligataire d’un milliard d’euros émis sur le MFI permettra de contribuer à financer les besoins du Trésor, de renforcer le niveau des avoirs extérieurs et de renouer le contact avec les investisseurs internationaux pour communiquer sur les réformes et les avancées réalisées par notre pays. Cette émission servira également de référence à d’autres émetteurs des secteurs public et privé dans leur quête de financement à l’international.
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