Financement monétaire, endettement, fiscalisation… les pistes explorées par le Maroc pour financer la relance sont très réduites et sujettes à divergence des points de vue. Dans son rapport d’activité 2019, paru au BO le 17 novembre 2020, le CESE livre son analyse.
Le financement se dresse telle une forteresse entre le Maroc et son ambition de relance économique dans ce contexte de crise. Le sujet a été analysé sous toutes ses coutures par EcoActu.ma notant au passage une divergence des points de vue.
Le clivage est accentué par le retard de certaines réformes, notamment fiscale, ayant empêché le pays à élargir la palette de ses ressources.
Une procrastination qui a privé le pays de disposer de marges confortables qui auraient été fort utiles pour absorber le choc provoqué par la Covid-19.
Face à la rigidité de Bank Al-Maghrib, malgré une politique budgétaire plus accommodante de par le passé, le Maroc recourt à l’endettement et impose une base fiscale déjà réduite et sous pression fiscale.
A ce débat en cours sur les moyens à mobiliser pour relancer la machine économique, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) vient apporter son analyse contenue dans son rapport d’activité pour l’année 2019 dont une large partie a été consacrée à la crise sanitaire et ses retombées aussi bien économiques, financières que sociales.
D’emblée, le CESE souligne l’étroitesse de l’espace budgétaire et de la base fiscale qui a poussé le Maroc à lâcher du lest pour l’endettement externe, d’où l’approbation par le Parlement, du décret-loi n°2.20.320 relatif au dépassement des seuils de financement extérieur.
« Si une telle orientation parait incontournable dans la conjoncture actuelle, il n’en demeure pas moins que le Maroc doit rester très vigilant pour éviter tout recours excessif et prolongé à l’emprunt extérieur qui l’amènerait directement vers une crise d’endettement pénalisante pour sa souveraineté financière et économique », alerte le CESE.
En plus de leur rareté, les sources de financements présentent un certain nombre d’inconvénients.
En premier lieu, il conviendrait d’écarter l’option d’une hausse des taxes ou le recours à des prélèvements généralisés sur les revenus, estime-t-on.
Pour le CESE, une forte imposition ne ferait qu’annuler l’effet de relance escompté et équivaudrait donc à une opération blanche qui ne permettrait pas une reprise de l’économie.
Et de noter que dans la phase postCovid, lorsque l’activité économique sera stabilisée et qu’elle aura repris son rythme, l’élargissement de l’assiette fiscale sera un moyen incontournable pour permettre à la fois, une reconstitution des ressources budgétaires qui serviront à stimuler la croissance en cas de choc, tout en favorisant une répartition équitable de la pression fiscale entre les contribuables.
L’élargissement de la base fiscale passera nécessairement par une révision du système des exonérations et des niches fiscales non justifiées, ainsi que par l’intégration de l’informel et une intensification de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, avec une application stricte de la loi face aux différentes dérives, poursuit le CESE.
Parallèlement, un redéploiement des dépenses publiques vers les rubriques priorisées par la relance ne serait pas non plus suffisant. Pour leur part, certaines sources de financement ne font pas l’unanimité, à l’image des avances non remboursables que les banques centrales peuvent accorder au trésor, exceptionnellement durant la période de crise.
« Cette option risque de se traduire par des problèmes de crédibilité et d’atteinte à l’indépendance de la banque centrale avec, probablement, des effets négatifs sur la valeur de la monnaie nationale. Par conséquent, les options qui restent pour l’Etat sont d’un côté, l’endettement extérieur, tant que le niveau bas des taux d’intérêt et la notation du Maroc le permettent », poursuit le CESE.
L’inconvénient de cette option serait un endettement extérieur excessif en cas de prolongement des effets de la crise.
Quid de la politique monétaire ?
A l’avènement de la crise sanitaire, la Banque centrale a pris de nombreuses décisions dans le sens de soutenir le secteur bancaire dans cette phase délicate, de réduire les besoins en liquidité bancaire, en réduisant le taux directeurs… mais sans actionner le financement monétaire de la relance arguant le risque d’inflation et celui de dévaluation. Des choix qui ne font pas l’unanimité auprès des économistes marocains.
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Pour sa part, le CESE apporte une toute lecture : « Les faits stylisés de l’économie marocaine entre 2009 et 2019, montrent que si une orientation accommodante de la politique monétaire est toujours nécessaire dans une conjoncture difficile, elle reste néanmoins insuffisante pour garantir une réelle reprise de l’économie, en l’absence d’un effort synchrone au niveau des autres politiques économiques ».
Il s’agit en particulier du renforcement de l’intégration industrielle locale pour réduire les « effets de fuite » par l’import ainsi que l’assainissement de l’environnement institutionnel des affaires afin d’atténuer les incertitudes, mettre fin à l’attentisme des investisseurs nationaux et partant augmenter, par conséquent, leur réactivité aux mesures de relance par la politique monétaire.
Par ailleurs, au niveau de la politique de change, si le processus de flexibilisation est théoriquement censé renforcer la compétitivité des exportations en favorisant une dépréciation du dirham en cas de chocs négatifs, il n’en demeure pas moins que cet effet peut être entravé par les caractéristiques intrinsèques à notre économie, notamment la forte dépendance de nombreux secteurs exportateurs de l’importation de demi-produits, d’intrants et de biens d’équipement, précise le CESE.
L’effet additionnel de compétitivité escompté d’une éventuelle dépréciation du dirham est en partie absorbé par le renchérissement des intrants généré par cette même dépréciation.
Ce point de vigilance réitère l’importance d’accélérer le niveau d’intégration industriel local et le développement de l’amont local des secteurs, analyse-t-on.
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Toujours est-il que le CESE précise que son analyse ne doit pas être interprétée comme un argument pour maintenir inchangée l’orientation de la politique monétaire.
Mais plutôt de démontrer que si une orientation accommodante de la politique monétaire est toujours nécessaire dans une conjoncture difficile, elle reste néanmoins insuffisante pour garantir une réelle reprise de l’économie, en l’absence d’un effort synchrone au niveau des autres politiques économiques.
Il s’agit en particulier de la cohérence et synchronie nécessaires entre d’une part, le timing des différentes phases de flexibilisation de change et d’autre part, le rythme des réalisations de la politique industrielle en matière d’intégration locale et de développement de l’amont domestique des différentes branches industrielles.
En plus de l’endettement et le financement monétaire, l’une des options, pour financer la relance, qui commence à prendre forme et qui est également évoquée par le CESE est celle de la mobilisation de l’épargne nationale, notamment via un emprunt national à souscription populaire accessible aux particuliers, MRE et institutionnels.
Le Maroc doit constituer des coussins de sécurité
La crise de la covid-19 ne sera certainement pas la dernière des crises à secouer le monde, ce qui doit inciter le pays à renforcer par anticipation sa marge de manœuvre aux chocs exogènes.
Un avis que développement le CESE avec ce qu’il qualifier de stabilisateurs automatiques.
« Il s’agit de l’ensemble des instruments qui permettent de lisser automatiquement le cycle économique et de réagir rapidement aux chocs, sans nécessiter l’adoption de nouveaux textes juridiques/réglementaires ni le passage par un processus de validation », explique-t-on.
Le rapport du CESE rappelle qu’il faut renforcer l’existant, notamment l’Indemnité pour perte d’emploi (IPE) qui requiert un allégement des conditions contraignantes d’éligibilité afin d’élargir le périmètre des bénéficiaires. Son activation/réactivation qui se fait automatiquement en fonction du cycle permettra à des franges de travailleurs plus larges de faire face aux retournements de conjoncture.
Le deuxième stabilisateur automatique est le niveau de progressivité de l’impôt sur le revenu.
Au Maroc, cette progressivité doit être poussée plus loin, en particulier pour la tranche supérieure qui nécessite d’être ventilée davantage. Cela permettra, toujours selon le CESE, de réduire davantage le taux d’imposition sur les tranches de revenu les plus faibles.
Une telle configuration sera plus efficace en permettant aux travailleurs les plus vulnérables de passer à un taux d’imposition plus bas en cas de choc ou de crise.
Enfin, le CESE propose la mise en place d’un Fonds permanent de stabilisation contre les chocs majeurs, qui servira à mutualiser les risques et sera alimenté sur le long terme par différents canaux notamment, un impôt sur le capital non productif, une proportion des recettes publiques qui pourrait varier selon le taux de croissance de l’activité réalisé durant l’année (règle contracyclique), ou encore un prélèvement sur le chiffre d’affaires des phosphates et dérivés lorsque le prix international dépasse un certain seuil, etc.
La gestion du fonds en question ne doit pas se faire de manière discrétionnaire, mais plutôt obéir à des règles transparentes et strictes de ciblage des dépenses et de déblocage des fonds, en toute indépendance, conclut le Rapport.