Lors de de son intervention dans le Webinaire relatif au Financement de l’éducation organisé ce 5 décembre par la TGR et Fondafip, Said Amzazi n’a pas fait dans la dentelle. Il rappelle la réalité crue de notre système éducatif avec des chiffres édifiants.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, le ministre de l’Education Nationale, de la Formation Professionnelle, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique Said Amzazi a rappelé les enjeux du financement de l’éducation jusqu’à quel point elle est une nécessité impérieuse.
Ses enjeux vont bien au-delà de la lecture et de l’écriture, elle détermine la qualité du capital humain d’une nation.
Les réalités de notre capital humain sont là : les chiffres des indicateurs sociaux édition 2018 du HCP faisaient état d’une réalité préoccupante : plus du tiers de la population marocaine de plus de 25 ans n’a pas dépassé le niveau du collège, seuls 8% sont diplômés du supérieur et surtout près d’un marocain sur 4 n’a pas dépassé le niveau du primaire (23,5%).
La durée moyenne de scolarisation des marocains est estimée à 5 ans et 6 mois, c’est à dire moins que les 6 années du primaire, et moins que la majorité des pays de la région MENA.
Aujourd’hui, fort heureusement avec le vote de la loi cadre 51-17, la durée de scolarité obligatoire sera augmentée de 4 ans, soit un total de 9 à 10 ans en tout. « Mais nous continuons de payer les erreurs du passé : il nous faut aujourd’hui reconnaître en toute humilité qu’il n’y a pas eu, dans notre pays, d’accumulation de capital humain, et un marocain sur 3 demeure analphabète à l’heure du numérique et de la 4ème révolution industrielle », rappelle sans ambages Amzazi. Un taux qui chute fort heureusement à 10 % chez les 15-24 ans, ce qui peut nous laisser raisonnablement espérer que ce problème d’analphabétisme au Maroc fera bientôt partie du passé. « Voilà pourquoi le capital humain du Maroc est perçu comme étant le maillon faible de sa croissance économique, comme le confirme d’ailleurs la récente note de 0.5 attribuée par la banque mondiale dans le cadre de son rapport consacré à l’indice de capital humain 2020, qui, bien qu’en légère progression, reste en dessous de la note moyenne de la région MENA (0.57) », poursuit le ministre.
Pour revenir au financement, il a été annoncé qu’au Maroc, le financement de l’éducation est très majoritairement fourni par l’Etat…Celui-ci lui alloue 22% de son budget soit 7% de son PIB national.
Pour ceux qui considèrent l’éducation comme étant budgétivore, Amzazi souhaite clarifier que l’argent que lui alloue l’état n’en assure que le fonctionnement de base, et ne laisserait au final au ministère qu’une très faible marge de manœuvre pour mener à bien ses réformes et améliorer la qualité du système éducatif. « En effet : 89% de ce budget sont consacrés à la masse salariale, ce qui ne laisse au ministère que 11 % de ce qu’il reçoit pour gérer tout ce qui est chantier pédagogique, accès à la scolarisation (construction, réhabilitation), équipement, digitalisation, la formation des enseignants et une partie de l’appui social destiné aux enfants issus de familles à revenus modestes », indique-t-il. La réalité du terrain est donc là : le ministère ne dispose que de très peu de disponibilité et de flexibilité financière pour réformer et innover.
Dans le financement global de l’éducation, la part qui est assurée par l’état, à laquelle on reproche à tort d’être trop élevée, reste beaucoup plus faible que dans la majorité des pays de l’OCDE : elle représente 68 % du financement global de l’éducation, alors que la moyenne OCDE est de 83,5 %, allant jusqu’à 96% pour la Finlande.
Par contre, la part du financement assurée par les ménages, estimée à 30%, reste quant à elle trop élevée car deux fois plus importante que la moyenne OCDE qui est autour de 16%, ce qui affecte lourdement le budget des ménages marocains, particulièrement ceux de la classe moyenne. Enfin, dans l’écosystème des contributeurs nationaux au secteur de l’éducation nationale, la place des collectivités territoriales est toujours restée, jusqu’à ces dernières années, relativement marginale, et c’est là un véritable manque à gagner quand on sait que la moyenne OCDE de contribution de ces collectivités au financement de l’éducation est de 66%.
Dans les pays asiatiques à la réussite exemplaire en matière d’éducation, les collectivités locales prennent en charge plus de 99.3% du budget de l’enseignement primaire et secondaire.
Toutefois, la loi cadre 51-17 sur l’éducation apporte quelques améliorations notables en ce sens, et des efforts concrets ont déjà été réalisés, car, faut-il le rappeler, notre constitution, prône la déconcentration et la décentralisation administrative. C’est donc aux élus locaux que devrait revenir une partie de la responsabilité du financement, de la réalisation des constructions et de leur maintenance, ou encore la rémunération du personnel non enseignant, à l’image de ce qui est pratiqué dans de nombreux pays.
Le modèle des PPP constitue une alternative stratégique de plus en plus usitée dans le monde pour relever les défis auxquels les systèmes éducatifs se trouvent confrontés. Dans un tel schéma, le ministère concède à un opérateur privé le droit de financer, construire et gérer une infrastructure éducationnelle telle qu’une école publique, un bâtiment ou un hébergement universitaire, en échange d’un loyer qu’il lui verse pour une période donnée, à la suite de laquelle l’infrastructure est transférée à l’Etat.
Bien entendu, dans le souci de l’équité prônée par la charte nationale sur l’éducation, le ministère devra veiller à ce qu’un taux autour de 10 à 15% d’élèves issus de familles à revenus modeste puisse bénéficier de bourses au sein de ce système de partenariat. Cette approche a plus d’un mérite : d’abord de soulager le gouvernement des dépenses colossales que les chantiers de construction et d’entretien des établissements scolaires représentent, mais aussi soulager le ministère d’une part extrêmement lourde d’un travail qui, à bien y réfléchir, n’est pas vraiment de son ressort : la construction, le suivi des chantiers et l’entretien des bâtiments. Ce qui laisserait à ses cadres plus d’opportunité de se consacrer à la gouvernance et au suivi pédagogique du système éducatif, qui restent leurs réelles attributions.
A part le leasback, d’autres modèles existent, qui pourraient venir alimenter le Fonds spécial pour la promotion du système d’éducation et de formation :
Ø Le prélèvement sur la contribution libératoire : cette dernière s’adresse aux personnes domiciliées au Maroc, en infraction avec le règlement fiscal et de change, au titre d’avoirs immobiliers ou financiers détenus illégalement à l’étranger. Une première campagne d’amnistie avait rapporté en 2014 la bagatelle de 2,3 Milliards de de DH. Une nouvelle amnistie est prévue dans le PLF 2021.
Ø La contribution de la disapora marocaine. Vivement préconisé par la banque mondiale et expérimenté avec succès par des pays comme l’Inde et Israël, ce modèle pourrait apporter un soutien non négligeable au financement de l’éducation au Maroc, pays qui compte tout de même près de 5 millions d’expatriés.
Ø Les taxes sur les ressources naturelles : l’exemple du Botswana en la matière est assez édifiant : ce pays, grâce à l’exploitation de minerais (le diamant en particulier), finance l’éducation à plus de 8% de son PIB. Il a ainsi atteint l’éducation primaire pour tous et son taux brut de scolarisation secondaire est de plus de 80%, ce qui représente le double de la moyenne du continent. Le Ghana dispose d’une Loi sur la gestion de ses ressources pétrolières qui oriente 70% des recettes tirées du pétrole vers les secteurs prioritaires dont l’éducation.
Ø Enfin on peut également citer les taxes sur les produits financiers ou encore les micro donations : mécanisme qui consiste à recueillir à très grande échelle, sous des formes diverses, des petits montants sur des transactions financières ou des salaires arrondis, par exemple, à 50 DH.
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