Le traitement fiscal des avances en compte courant d’associés a été modifié par la Loi de Finances 2019. Rien de bien fâcheux si ce n’est que récemment, les experts comptables ont soulevé que ce changement implique en réalité l’instauration de droits d’enregistrement de 1,5% à ces avances. L’Ordre des Experts-comptables a d’ailleurs saisi le ministre des Finances.
Face au choc de la crise de la Covid-19, les financements deviennent une denrée rare et très prisée par les entreprises. Certaines d’entre-elles recourent aux avances en compte courant d’associés pour se financer en raison des avantages qu’offre ce mode de financement. Mais il y a un hic.
Depuis janvier 2019, l’entrée en vigueur de la loi de Finances 2019 a impliqué l’amendement de l’article 127-I-A du CGI, relatif aux conventions obligatoirement soumises aux droits d’enregistrement en introduisant le paragraphe 8 stipulant « obligations, reconnaissances de dettes et cessions de créances ». Depuis, toute avance doit faire l’objet d’une convention.
Cette disposition était comprise par les professionnels du chiffre comme l’instauration d’un droit d’enregistrement de 1,5 % appliqué aux cessions des comptes courants.
Or, après réponse de la DGI, en date du 11 mars 2020, à une question qui lui a été adressée par un contribuable, il s’est avéré que ce droit d’enregistrement s’applique à l’ensemble des avances en compte courant d’associés.
Une petite mauvaise surprise qui a fait réagir vivement les professionnels du chiffre face au changement du traitement fiscal de ces avances.
Une mesure jugée « inadmissible et incohérente surtout que le Maroc va dans la direction de l’encouragement de l’apport de l’actionnaire en supprimant les droits d’enregistrement sur l’apport en capital », déplore S. Y., expert-comptable.
« Lorsque la mesure avait été prise dans la loi de finances de 2019, on était loin de se douter que l’instauration des droits d’enregistrement de 1,5% concernait les avances sur les comptes courants. La lecture du texte de loi laissait comprendre qu’il s’agissait de la cession du compte courant. Or, après une réponse de la DGI à la question d’un contribuable, nous avons été surpris d’apprendre que toute aide financière à court ou à long terme apportée par un associé à son entreprise, devait être taxée à 1,5% », explique A. A. un autre expert-comptable.
Il a appelé d’ailleurs à agir « sans délai dans deux directions pour corriger le tir : D’abord en apportant une clarification au sujet de la disposition de 2019, en excluant de la taxation les avances en comptes courants d’associés, quitte à ce que la cession reste soumise ; et surtout abolir cette disposition dans la prochaine loi de finances pour 2021 ».
Et d’ajouter : « Activer cette disposition, c’est remettre en question le principe de l’avance en compte-courant qui est un droit fondamental dans la gestion des sociétés et cela à travers le monde. Cette décision est contraire au fondement de la liberté entrepreneuriale et à la liberté de financer l’entreprise par ses fondateurs. Son maintien va dégrader le Maroc dans le Doing business et va faire fuir les investisseurs ».
La réaction de l’Ordre des Experts-comptables
Cette vive réaction de la profession a poussé l’Ordre des Experts-comptables (OEC) à réagir.
Le 15 octobre 2020, le Président de l’Ordre des Experts-comptables a adressé par courrier, au Ministre des Finances au sujet de l’assujettissement aux droits d’enregistrement des avances en compte courant d’associés, disposition introduite dans la Loi de Finances 2019, faut-il rappeler.
L’instance ordinale estime dans son courrier que l’imposition aux droits d’enregistrement des avances en compte courant d’associés, qui peuvent, dans la majorité des cas être assimilées à du quasi capital social parce qu’assurant la même fonction que celui-ci, à savoir le financement de l’entreprise et des filiales au sein des groupes, paraît à contre-courant de l’option prise par le Maroc et visant à favoriser l’investissement en facilitant le financement.
Autre argument avancé dans le courrier de l’ordre est que l’imposition des opérations d’avance en compte courant d’associés ne serait pas chose aisée, avec une base d’imposition qui serait aussi fluctuante que les besoins en trésorerie de l’entreprise, et qui obligerait à signer et enregistrer une foultitude d’avenants à la convention d’avances en compte courant.
Cette opération pourrait par ailleurs s’opérer à l’infini pour toutes les avances qui seraient consenties et remboursées à plusieurs reprises.
Par ailleurs, une telle imposition revient à pousser les sociétés à recourir au financement bancaire, ce qui réduirait l’agilité financière des entreprises.
Pour ces raisons et d’autres, l’Ordre estime que pour éviter de priver les entreprises de ce mode de financement, utilisé de par le monde sans contrainte, il faut amender l’article 127-I-A-8 pour rétablir l’exonération des droits d’enregistrement dont bénéficiaient les conventions et opérations de financement par des avances en compte courant d’associés, pour bénéficier du même traitement fiscal pour les conventions et opérations de financement bancaire.
Le courrier adressé par l’OEC au ministre des Finances soulève par ailleurs le fait que la LF 2019 a également soumis aux droits d’enregistrement au taux de 1,5 % la cession des créances en compte courant d’associés qui conditionne souvent la cession d’actions et de parts sociales (exonérée), créant au passage une situation juridique particulière où l’accessoire ne suit pas le principal sans raisons valablement justifiées, relève l’OEC tout en appelant à corriger cette situation.
Plaidoyer en faveur d’un mode de financement moins coûteux et nécessaire à la relance
Interpelé sur la question par nos soins, Mohammed Samir Bennis, le Président de la commission fiscalité du Conseil National de l’Ordre des Experts-comptables explique pourquoi cette disposition entrée en vigueur depuis janvier 2019, n’a surgit que récemment : « C’est la position de l’administration à travers sa réponse datée du 11/03/2020 qui a fait surgir la problématique de soumission aux droits d’enregistrement des avances en compte courant. En effet cette dernière a fait savoir qu’elle considérait que l’opération d’avance en compte courant est soumise aux droits d’enregistrement proportionnels de 1,5% et ce, sur la base de l’article 127 du CGI ».
Et c’est en tant que force de proposition que l’OEC a saisi le ministre des Finances surtout dans le contexte difficile que vit le Maroc et le monde, en quête de relance et qui implique une plus grande fluidification de l’accès au financement, surtout lorsqu’il est plus rapide et moins coûteux tel que le permettent les avances en compte courant pour les entreprises.
« Effectivement l’OEC a adressé un courrier au MEFRA en date du 15/10/2020 lui proposant d’amender l’article 127-I-A-8 du CGI. Il est à préciser que l’OEC agit en tant que force de proposition et que la mesure préconisée s’inscrit parfaitement dans le cadre de la relance de l’économie et précisément la fluidification du financement des entreprises. Quant à la chance d’aboutissement de notre demande, il nous semble que les pouvoirs publics sont mieux placés pour en apprécier l’opportunité », soutient Mohammed Samir Bennis.
Et d’ajouter que « Cette imposition est de nature à compliquer l’accès de l’entreprise à l’une des sources de financement les moins onéreuses voire la priver de ce mode de financement dont ses homologues, à travers le monde, jouissent sans aucune contrainte ce qui risque de réduire systématiquement sa compétitivité. Il est à rappeler que la crise induite par la pandémie COVID 19 doit amener les pouvoirs publics à mettre en place des incitations à même de favoriser le financement des entreprises », conclut-il.
La balle est aujourd’hui dans le camp des pouvoirs publics.