Ecrit par Soubha Es-Siari |
En sus de la réglementation, la protection contre les fluctuations des prix reste conditionnée par une bonne politique de gestion de risque de la part de l’opérateur. Une faille à laquelle les opérateurs sont appelés à remédier.
Les tensions sur les cours des matières premières continuent avec leur lot d’effritement de marges pour les opérateurs toutes catégories confondues. D’aucuns qualifient ce sombre épisode marqué par la flambée des commodities et leur rareté par le revers de la médaille de la globalisation.
Ils corroborent leurs propos par l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui s’est matérialisée par le spectre de l’inflation sur le plan international. Et ce, bien que cette crise ukrainienne ne soit que la goutte qui a fait déborder le vase suite aux méga projets de relance ayant entraîné dans leur sillage une forte demande. Sans oublier les changements climatiques qui ont impacté fortement les plantations et les récoltes dans plusieurs pays.
Certains reprochent même aux banques centrales internationales (BCE, FED…) le fait d’adopter des politiques monétaires laxistes ou de ne pas avoir bien ciblé l’inflation comme il se doit et l’injection des fonds massifs pour la reprise post-covid.
Cela dit, cette situation ne peut être que chaotique pour une économie comme la nôtre fortement importatrice de son énergie et parfois, dans certaines circonstances, massivement des denrées alimentaires notamment les céréales.
Un contexte pareil questionne sur la capacité des opérateurs à se protéger contre cette hausse.
Interrogé sur le degré de gravité de cette flambée, une source au sein de l’Office des changes considère que cette hausse des prix se répercutant sur les équilibres extérieurs est aujourd’hui un phénomène planétaire.
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Instruments de couverture : assouplissements en 2022
Pour le cas du Royaume, notre source rappelle à juste titre qu’en 2021, le Maroc a importé 75 Mds de DH d’énergie, 60 Mds de DH de produits alimentaires dont 14 MDH pour le blé. Des chiffres qui mettent en évidence la prédominance des matières premières dans notre balance commerciale et l’impact d’éventuelles fluctuations sur le déficit commercial.
« Les fluctuations des prix des matières premières voire même des taux de change ou des taux d’intérêt ne datent pas d’aujourd’hui et remontent à plusieurs années. Mais à partir de 2018, date de lancement de la réforme du régime de change flexible, la question a pris de l’importance », explique notre source.
Au lendemain de la réforme, l’Office des changes en concertation avec la Banque Centrale, les banques de la place et la CGEM a mis en place des instruments de couverture (taux de change, taux d’intérêt, matières premières).
Pour les matières premières qui sont aujourd’hui au cœur de l’actualité, la nouvelle réglementation a apporté des nouveautés.
Les opérateurs peuvent trouver quasiment tous les instruments aux fluctuations des cours des matières premières.
Aujourd’hui, selon un instrument de risque établi à l’avance, un opérateur peut recourir à sa banque pour neutraliser le risque de change. Toutefois les opérations doivent être adossées à une opération commerciale ou financière réelle.
La nouveauté en 2022 c’est l’octroi des assouplissements à la fois aux importateurs et aux exportateurs de biens. Ces derniers peuvent faire la demande de couverture sans présenter l’adossement au départ et attendre jusqu’au dénouement. Autre exigence et pas des moindres celle d’avoir une politique de gestion de risques validée par le Conseil d’Administration.
Toutefois, en dehors de la réglementation, la protection contre les fluctuations reste conditionnée par ailleurs par une bonne politique de gestion de risque de la part de l’opérateur. Une faille à laquelle les opérateurs sont appelés à remédier.
Le hic est que les instruments de couvertures sont essentiellement prisés par les grands groupes. Les TPME n’y recourent pas pour des raisons connues. L’Office des changes est conscient de la situation et a procédé à des tournées régionales pour sensibiliser cette frange du tissu économique auxdits instruments.
Pour une sécurité de l’approvisionnement
Si le conflit russo-ukrainien perdure, la situation serait alarmante dans la mesure où l’offre serait inférieure à la demande. A titre d’illustration le cas du blé : le monde produit 800 MT dont 200 MT s’échangent entre les exportateurs et importateurs. Mieux encore 40% sont fournis par l’Ukraine et la Russie. Pour un pays comme le Maroc fortement importateur, la situation est très délicate.
C’est dire que notre pays a grandement besoin de sécuriser son approvisionnement à l’avance en usant des primes et utilisant à bon escient les instruments de couverture pour atténuer le risque sur les prix. Il faut s’adapter à la situation comme ce qui se fait ailleurs pour ne citer que l’Union Européenne qui auparavant importait l’essentiel de son approvisionnement en maïs de la Russie.
Depuis le déclenchement de la crise, l’UE s’est orientée vers le marché sud-américain. Le Maroc qui importait le maïs du marché américain s’est retrouvé du jour au lendemain face à un concurrent de taille et donc il fallait payer le prix qu’il fallait soit plus de 20% (au mois de février).
Dans cette équation à multiples variables, la politique telle que menée par BAM s’invite foncièrement. Le maintien d’un taux directeur à 1,5% ne fait pas l’unanimité notamment chez ceux considérant que dans un contexte inflationniste, le taux directeur est appelé à augmenter et ce conformément aux théories économiques.
Se basant sur le fait que l’inflation n’est que temporaire, Jouahri opte pour le maintien. Or, aujourd’hui, tous les éléments concourent vers une inflation qui risque de perdurer et devenir structurelle.
Globalement la prudence du gouverneur reste appréciée parce qu’elle a permis tout de même d’éviter à notre économie bien des déboires.