La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour absence d’examen individuel des demandes de retour et de contrôle juridictionnel des filles et petits-enfants des requérants détenus dans des camps en Syrie.
Dans son arrêt de Grande Chambre, rendu ce jour dans l’affaire H.F. et autres c. France (requêtes no 24384/19 et n° 44234/20), la Cour européenne des droits de l’homme dit, par quatorze voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 3 § 2 du Protocole n° 4 (« Nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant ») à la Convention européenne des droits de l’homme.
L’affaire concerne le refus opposé à la demande des requérants d’obtenir des autorités françaises le rapatriement de leurs filles et de leurs petits-enfants retenus dans les camps du nord-est de la Syrie administrés par les Forces démocratiques syriennes (FDS). Devant la Cour, ils se plaignaient que ce refus expose leurs proches à des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention et viole le droit d’entrer sur le territoire national découlant de l’article 3 § 2 du Protocole n° 4.
La Cour considère que les proches des requérants ne relèvent pas de la juridiction de la France à l’égard du grief tiré de l’article 3 de la Convention mais qu’il existe des circonstances exceptionnelles propres à établir un lien juridictionnel entre l’État français et ces derniers au sens de l’article 1 de la Convention à l’égard du grief tiré de l’article 3 § 2 du Protocole n° 4.
Sur le fond, la Cour juge tout d’abord que les ressortissantes françaises et leurs enfants ne bénéficient pas d’un droit général au rapatriement au titre du droit d’entrée sur le territoire national garanti par l’article 3 § 2 du Protocole no 4.
Elle précise ensuite que la protection qu’offre cette disposition peut cependant faire naître des obligations positives à la charge de l’État en cas de circonstances exceptionnelles tenant à l’existence d’éléments extraterritoriaux tels que, par exemple, ceux qui mettent en péril l’intégrité physique et la vie des nationaux retenus dans les camps, en particulier celles des enfants.
En présence d’une telle situation, le respect par l’État de son obligation positive de permettre l’exercice effectif du droit d’entrer sur son territoire implique l’existence de garanties appropriées contre le risque d’arbitraire dans la manière dont il s’est acquitté de cette obligation. A ce titre, le rejet d’une demande de retour sur le territoire national, soit que les autorités compétentes aient refusé d’y faire droit, soit qu’elles se soient efforcées d’y donner suite sans résultat, doit pouvoir faire l’objet d’un examen individuel approprié par un organe indépendant chargé d’en contrôler la légalité.
Un tel contrôle doit permettre de prendre connaissance, même sommairement, des motifs de la décision et de vérifier qu’ils reposent sur une base factuelle suffisante et raisonnable et que les justifications tirées de considérations impérieuses d’intérêt public ou de difficultés d’ordre juridique, diplomatique et matériel que les autorités exécutives pourraient légitimement invoquer sont bien dépourvues d’arbitraire.
Lorsque la demande de retour est faite au nom de mineurs, ce contrôle implique une vérification de la prise en compte par les autorités compétentes de l’intérêt supérieur des enfants, de leur particulière vulnérabilité et de leurs besoins spécifiques.
Dans la présente affaire, la Cour, après avoir considéré que la situation des proches des requérants révélait l’existence de circonstances exceptionnelles de nature à déclencher l’obligation d’entourer le processus décisionnel de garanties appropriées contre l’arbitraire, relève qu’en l’absence de toute décision formalisée de la part des autorités exécutives, l’immunité juridictionnelle des refus litigieux à laquelle se sont heurtés les requérants devant les juridictions internes les a privés de toute possibilité de contester utilement les motifs qui ont été retenus par ces autorités et de vérifier que ces refus ne reposaient sur aucun arbitraire.
La Cour en conclut que l’examen des demandes de retour effectuées par les requérants au nom de leurs proches n’a pas été entouré de garanties appropriées contre l’arbitraire et qu’il y a eu violation de l’article 3 § 2 du Protocole n° 4.
En exécution de son arrêt, la Cour précise qu’il incombe au Gouvernement français de reprendre l’examen des demandes des requérants dans les plus brefs délais en l’entourant de garanties appropriées contre l’arbitraire.