Ecrit par Lamiae Boumahrou |
Avec l’arrivĂ©e de 22 millions de Marocains supplĂ©mentaires dans le secteur de santĂ© qui souffre de plusieurs dysfonctionnements notamment l’important dĂ©ficit en ressources humaines, force est de se demander comment la tutelle compte-t-elle rĂ©pondre aux besoins pressants de cette population et garantir une offre de soins de qualitĂ© ? Eclairage.
Le chantier de la gĂ©nĂ©ralisation de lâassurance maladie obligatoire pose avec acuitĂ© la problĂ©matique du dĂ©ficit en ressources humaines de santĂ©. Et pour cause, le Maroc souffre dâune pĂ©nurie aiguĂ« en personnel de santĂ© qui sâest accentuĂ©e avec lâarrivĂ©e de la pandĂ©mie Covid.
Chiffres Ă lâappui, le dĂ©ficit est estimĂ© Ă 32.000 mĂ©decins et 65.000 infirmiers, couplĂ© Ă un dĂ©sĂ©quilibre dans leur affectation dans les rĂ©gions et une disparitĂ© rĂ©gionale de l’offre sanitaire qui ne rĂ©pond pas aux aspirations des citoyens. Avec 0,7 mĂ©decin et 1,1 infirmier et sage-femme par 1.000 habitants, nous sommes bien loin des standards de lâOMS qui prĂ©conise 1,9 mĂ©decin et 4,45  infirmiers par 1.000 habitants. Autre indicateur et pas des moindres, le Maroc compte seulement 222 rĂ©animateurs dans le secteur public et 485 dans le privĂ©.
Le systĂšme de santĂ© sera-t-il au rendez-vous pour accueillir les 22 millions de Marocains supplĂ©mentaires qui Ă©taient exclus du systĂšme ? Une question qui sâimpose eu Ă©gard au dĂ©ficit dont souffre le systĂšme et aux moyens dĂ©ployĂ©s par lâEtat pour y faire face.
Notons que la Loi des Finances 2022 a prĂ©vu une enveloppe budgĂ©taire de 23,5 Mds DH pour le secteur de la santĂ© avec une hausse de 3,7 Mds DH par rapport Ă lâexercice prĂ©cĂ©dent et la crĂ©ation de 5.500 nouveaux postes budgĂ©taires seulement. InterpellĂ© sur cette question lors de son passage dans lâĂ©mission Hiwar, le ministre de la SantĂ© et de la Protection sociale, Khalid AĂŻt Taleb, a rĂ©affirmĂ© l’inquiĂ©tant dĂ©ficit dont souffre le systĂšme de santĂ©.
Le ministre a prĂ©cisĂ© que si le dĂ©ficit relatif aux infirmiers peut ĂȘtre comblĂ© dans les dĂ©lais avec la requalification des laurĂ©ats formĂ©s par lâEtat, lâOFPTT ainsi que le secteur privĂ©, le dĂ©ficit concernant les mĂ©decins risque d’ĂȘtre beaucoup plus long et plus compliquĂ©. Et pour cause, les dĂ©lais de formation mĂ©dicale sont plus longs et le Maroc ne forme pas assez de mĂ©decins. « Nous avons certes 7 facultĂ©s de mĂ©decines, sauf que les initiatives entreprises dans le passĂ© nâont pas donnĂ© les rĂ©sultats escomptĂ©s », a prĂ©cisĂ© le ministre.
A rappeler que le nombre dâinscrits dans les facultĂ©s de mĂ©decine ne dĂ©passe pas 2.200 Ă©tudiants avec un output de seulement 1.300 laurĂ©ats. Pis encore, sur ces 1.300, le Maroc ne retient que 500 mĂ©decins tandis que les 800 autres quittent le Maroc, a dĂ©plorĂ© le ministre. Une rĂ©alitĂ© qui nâest que la rĂ©sultante d’un systĂšme de santĂ© peu attractif pour retenir cette ressource qui devient de plus en plus rare.
« Câest une rĂ©alitĂ© puisque le mĂ©decin occupe aujourdâhui le 28Ăšme rang social alors quâil Ă©tait vers les annĂ©es 70 au 3Ăšme rang », a prĂ©cisĂ© K. AĂŻt Taleb. Il y a donc tout un travail Ă faire pour retenir ces laurĂ©ats mais aussi pour inciter ceux qui ont quittĂ© le Maroc Ă retourner au bercail. Il est Ă noter quâil y a 14.000 mĂ©decins marocains qui exercent Ă lâĂ©tranger. qu’il faudra reconquĂ©rir. Cela passera, selon le ministre, par redonner Ă la fonction sanitaire la place quâelle mĂ©rite par rapport aux besoins du pays.
« Câest un maillon incontournable et indissociable dans cet Ă©chiquier qui permettra de relever le dĂ©fi des ressources humaines, d’accompagner la gĂ©nĂ©ralisation de la couverture mĂ©dicale, de garantir l’accĂšs Ă des soins de qualitĂ© pour recevoir les 22 millions nouveaux assurĂ©s », a tenu Ă prĂ©ciser le ministre.
L’expertise Ă©trangĂšre pour combler le dĂ©ficit ?
 Sauf que la gĂ©nĂ©ralisation de la couverture sanitaire et lâintĂ©gration de 22 millions de Marocains dans le systĂšme de lâAMO dans moins dâun an (soit fin 2022) impliquent un besoin urgent et pressant en ressources mĂ©dicales. DâoĂč la question : le Maroc nâaura-t-il dâautre choix que dâattirer les compĂ©tences Ă©trangĂšres pour pallier au dĂ©ficit et prĂ©parer le systĂšme Ă rĂ©pondre aux besoins pressants de la population ?
InterrogĂ© sur lâouverture du systĂšme aux mĂ©decins non-marocains, le ministre a prĂ©cisĂ© que toutes les solutions sont aujourdâhui bonnes tant que le dĂ©ficit est trĂšs important.
« Si on se rĂ©signe juste Ă la formation actuelle, il nous faudra 25 ans pour rĂ©sorber le dĂ©ficit et ĂȘtre en conformitĂ© avec lâaccompagnement de la couverture sanitaire », a-t-il soulignĂ©.
Parmi les solutions prĂ©conisĂ©es, celles prĂ©vues par la loi n° 33-21 modifiant et complĂ©tant la loi n° 131-13 relative Ă l’exercice de la mĂ©decine qui prĂ©voit une sĂ©rie de mesures facilitant le recrutement des mĂ©decins Ă©trangers.
Cette loi qui avait Ă©tĂ© dĂ©criĂ©e par les mĂ©decins marocains et avait crĂ©Ă© une vive tension entre la tutelle et le corps mĂ©dical avant son entrĂ©e en vigueur en juillet 2021, permettra, selon AĂŻt Taleb, de donner un Ă©lan au systĂšme de la santĂ© en matiĂšre de ressources humaines. « Mais pas que. Câest une expertise qui va hisser le niveau de la santĂ© au Maroc », a-t-il prĂ©cisĂ©.
A condition, que les mĂ©decins Ă©trangers respectent la loi en matiĂšre de zones dâexercice. Car parmi les premiers objectifs de cette loi câest de combattre les dĂ©serts mĂ©dicaux. Rappelons que les ressources de santĂ© sont principalement concentrĂ©es dans les grandes agglomĂ©rations.
Hors, pour le cas des cliniques privĂ©es, on constate clairement que les implantations se font dans les zones oĂč lâoffre de soins est abondante contrairement Ă lâobjectif de la loi 131-13 qui a ouvert les capitaux des cliniques privĂ©es au non-mĂ©decins pour dĂ©senclaver les zones dont le dĂ©ficit dâoffre de soins est important.
InterpellĂ© Ă©galement sur les garde-fous Ă mettre en place pour Ă©viter un afflux des mĂ©decins Ă©trangers dans les zones dĂ©jĂ couvertes, le ministre a soulignĂ© que lâEtat doit jouer son rĂŽle de rĂ©gulateur. Il doit Ă©galement opter pour une politique d’incitation visant Ă retenir ses compĂ©tences dans les Ă©tablissements publics.
A ce moment, le secteur privĂ©, qui fait appel aux professionnels du secteur public, devra se dĂ©brouiller comme il peut pour capter de l’expertise nationale ou Ă©trangĂšre afin de rĂ©pondre Ă ses besoins.