Ecrit par Lamiae Boumahrou |
Parmi ces oubliés de l’Etat lors de la gestion de cette crise sanitaire et économique, le secteur des Hammams traditionnels figure en bonne place. Plus de 140.000 employés se sont retrouvés non pas au chômage mais carrément à la rue sans aucun revenu ni de visibilité sur une reprise du travail. L’Etat est-il satisfait de les avoir relégués aux oubliettes ?
Ce n’est un secret pour personne, l’informel s’accapare une grande partie de l’économie marocaine puisqu’il représente 40 % du PIB. Mais est-ce une raison pour fermer l’œil sur les conditions désastreuses de milliers d’employés travaillant dans l’informel et qui se sont retrouvés du jour au lendemain non pas au chômage mais à la rue ?
Parmi les secteurs dont les employés souffrent en silence depuis le 18 août 2020 sans que cela gêne ou dérange les responsables de ce pays, celui des « hammams traditionnels » ou les bains maures. Un patrimoine culturel marocain qui a été négligé par le gouvernement notamment au niveau de Casablanca où les Hammams sont fermés depuis plusieurs mois sur décision gouvernementale pour limiter la propagation du virus.
Une mesure normale dans le contexte actuel mais qui cache beaucoup de malheurs. Et pour cause, le secteur emploie plus de 140.000 personnes qui se sont retrouvées sans revenus et en raison de leur situation informelle n’ont même pas pu prétendre à l’indemnité forfaitaire durant la période du confinement. Inutile de rappeler que le secteur emploie une frange de la population très défavorisée notamment les veuves, les femmes divorcées, les personnes en situation de précarité extrême…
Qu’est-ce que le gouvernement a prévu pour garantir à cette frange un droit constitutionnel qui est le droit à la vie ?
Rien. Il faut dire qu’en matière de politique de l’autruche, le gouvernement est maître d’art. Les professionnels ont beau espéré que le gouvernement mette en place des mesures spécifiques d’accompagnement pour sauver le secteur. Ça aurait même été l’occasion de faire basculer le secteur de l’informel vers le formel. Malheureusement, le comité de veille économique, qui a récemment tenu réunion, n’a pas inclut ce secteur dans la liste des bénéficiaires de l’aide de l’Etat.
Aujourd’hui, face à la posture incompréhensible du gouvernement, toujours aux abonnés absents, le syndicat national des propriétaires des hammams et douches de Casablanca décide de monter au créneau et dénoncer une situation qui devient insupportable aussi bien pour les propriétaires que les employés du secteur.
Lire également : RESTRICTIONS ANTI-COVID : L’ETAT DÉPASSERAIT-IL SON PÉRIMÈTRE CONSTITUTIONNEL ?
Contacté par nos soins, Abdellah Atrih, secrétaire général du Syndicat, sous l’égide de l’Union générale des entreprises et professions, décrit une situation lamentable voire chaotique d’un secteur qui fait pourtant partie de notre culture et de notre patrimoine.
« Malgré plusieurs courriers adressés au Chef du gouvernement, au ministère de l’Intérieur, au Wali du grand Casablanca et une réunion tenue avec le gouverneur, le secteur n’a obtenu aucune aide. Ce que nous demandons aujourd’hui c’est la levée des restrictions de fermeture des bains traditionnels au niveau de Casablanca », nous a-t-il précisés.
Un droit au travail ou tout simplement à la vie qui est arraché à des milliers de personnes. Le manque à gagner pour le secteur, qui compte 4.000 bains maures se chiffre désormais en millions de dirhams.
Ce que ne comprend pas Abdellah Atrih c’est le fait que cette fermeture des Hammams ne concerne que le territoire Casablancais alors que le virus est partout.
Excédés par cette situation qui risque de se prolonger avec le retard du démarrage de la campagne de vaccination anti-Covid, et face au silence radio du gouvernement, les opérateurs du secteur ont décidé de tenir un sit-in ce jeudi 21 janvier à 11H devant la Wilaya de Casablanca.
« La décision est entre les mains du Chef du gouvernement qui ne semble pas trop se soucier de notre activité. Une négligence qui suscite un sentiment d’injustice et d’inégalité entre les différents opérateurs du secteur », explique Abdellah Atrih.
Et d’ajouter que ce constat prouve l’échec du gouvernement dans la gestion de cette crise économique qui a résulté de la pandémie.
En gros, à voir de près les secteurs soutenus par le gouvernement, on ne retrouve que ceux dans le giron de la CGEM. Et pourtant, les entreprises affiliées à l’organisation patronale ne représentent qu’une partie du tissu économique. Il a fallu, dans une optique d’équité et de justice sociale, prévoir des mécanismes d’accompagnent à tous les secteurs touchés par les décisions gouvernementales de restriction y compris ceux qui opèrent dans l’informel, puisque ce sont les salariés en premier qui paient le prix.
Et comme un malheur ne vient jamais seul, en plus des contraintes de fermeture, les opérateurs du secteur se retrouvent face à des engagements qu’ils ne peuvent plus honorer. Car bien que l’activité soit en arrêt depuis pratiquement le mois de mars, les propriétaires ont été surpris de devoir s’acquitter de leurs impôts, de payer l’eau et l’électricité ainsi que le loyer. Concernant les impôts, il s’agit de l’impôt relatif à la taxe professionnelle pour l’année 2020 dont les propriétaires viennent de recevoir la notification.
« Non seulement l’Etat nous oblige à fermer sans aucune mesure d’accompagnement, mais en plus il nous demande de payer des impôts alors que nous sommes en arrêt total d’activité », déplore Abdellah Atrih.
Pour en savoir davantage sur cette situation inédite nous avons contacté la Direction générale des impôts (DGI) qui nous a affirmés qu’il s’agit d’un impôt qui ne peut être arrêté sans décision gouvernementale. « Sans une disposition légale qui exonère un secteur d’un impôt, la DGI ne peut rien faire », précise notre source.
En d’autres termes, c’est au gouvernement de prendre cette décision en fonction de la situation de chaque secteur. Toutefois, il est à rappeler que la taxe professionnelle n’est pas liée à l’activité et donc pas au chiffre d’affaires comme c’est le cas de l’impôt sur le revenu. Mais il s’agit d’une taxe qui couvre tout l’exercice et constitue donc une charge dans une conjoncture plus que morose.
Autres charges que les propriétaires disent ne plus pouvoir payer celles de l’eau et d’électricité ainsi que des loyers.
« Il y a plusieurs propriétaires de bains qui louent leurs locaux soit du privé soit des Habbous. Aujourd’hui, ils se retrouvent face à des notifications d’expulsion et de paiement de location malgré la fermeture », précise le SG du syndicat.
Autre contrainte et pas des moindres, les propriétaires affirment que la fermeture des bains n’a pas été sans conséquence sur les installations qui nécessitent un entretien particulier eu égard à une particularité du sol. Pour espérer rouvrir les Hammams, les propriétés auront besoin entre 140.000 et 200.000 DH pour réaliser les travaux nécessaires à une mise à niveau du sol, des chaudières, des canalisations…
Malgré cela, les propriétaires n’espèrent qu’une chose la réouverture de ces bains indispensables pour l’hygiène d’une bonne partie des Casablancais qui, en ces temps de froid glacial, ne trouvent plus où se laver à un tarif raisonnable !