Interviewé par Lamiae Boumahrou |
Plafonnement des prix des hydrocarbures, entente sur les prix, renationalisation de la Samir…, autant de dossiers polémiques et stratégiques qui n’avancent quasiment pas et que le gouvernement entoure d’un grand silence laissant en suspens plusieurs questions. Des questions que nous avons posées au ministre de l’Energie, des Mines et de l’Environnement, Aziz Rabbah, qui pour la première fois s’exprime sur cette actualité brûlante.
EcoActu.ma : Bien que le dossier des hydrocarbures soit entre les mains de la commission ad hoc nommée par SM le Roi pour tirer au clair la confusion qui entoure ce dossier et les versions contradictoires présentées par le Conseil de la concurrence, force est de s’interroger sur le silence radio du gouvernement sur ce dossier. La question qui s’impose pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas appliqué l’article 4 de la Loi sur la liberté des prix et de la Concurrence ?
Aziz Rabbah : L’article 4 de la loi 104.12 sur la liberté des prix et de la concurrence permet à l’administration de prendre des mesures temporaires contre des hausses ou des baisses excessives de prix, motivées par des circonstances exceptionnelles. La durée d’application de ces mesures ne peut excéder six (6) mois prorogeables une seule fois par l’administration.
Actuellement, on n’est plus dans ce cas de figure. Je pense qu’il faut attendre les conclusions de la commission ad hoc nommée par SM le Roi sur ce dossier avant que le gouvernement ne statue sur le plafonnement ou non des prix des produits pétroliers liquides.
Par ailleurs, j’ai toujours défendu la nécessité de mettre en place un système de régulation pour tout le secteur des énergies et des mines au Maroc. Nous avons décidé de réguler le secteur de l’électricité mais il est impérieux d’y inclure également le gaz et les hydrocarbures.
Nous avons certes un Conseil de la concurrence qui veille sur le respect des règles de concurrence dans le marché. Néanmoins, une Autorité nationale de régulation de tout le secteur est impérative. Aujourd’hui, il y a un débat sur la reconversion de l’Autorité Nationale de Régulation de l’Electricité (ANRE) en Autorité de régulation de l’énergie d’une manière globale.
D’ailleurs nous avons ajouté dans le projet de loi N°94-17 relative au secteur du gaz naturel la possibilité que ladite Autorité se charge également de la régulation du gaz naturel.
Soumettre les hydrocarbures au dispositif de régulation de l’ANRE permettra d’accompagner ce secteur vers une maturité concurrentielle. L’ANRE pourra veiller notamment sur le partage d’accès aux infrastructures de stockage et de réception moyennant un tarif d’accès qui doit être équitable, non discriminatoire et orienté vers les coûts.
En attendant une décision sur les prix des hydrocarbures, les compagnies pétrolières continuent de réaliser des bénéfices sur la vente des hydrocarbures que beaucoup estiment illégitimes et immorales dépassant le seuil des 38 Mds de DH (compte non tenu des profits réalisés sur le kérosène, le fuel et l’asphalte). Comment expliquez-vous cela ? Le gouvernement n’a-t-il pas cédé aux lobbies des sociétés pétrolières notamment dans le plafonnement des prix ?
Les prix des produits pétroliers sont libres. Chaque société fixe librement son prix de vente selon sa politique commerciale. Le marché des hydrocarbures est un marché qui compte un nombre assez important d’opérateurs laissant indiquer qu’ils fonctionnent de manière concurrentielle.
Cependant des études ont été menées par les institutions nationales qui se sont penchées sur la question que ce soit le Conseil de la concurrence à travers son avis publié en février 2019 ou bien le Parlement à travers la commission parlementaire qui a mené une mission en 2018 concernant les prix des produits pétroliers liquides. Ces instances ont émis un certain nombre de recommandations.
Le ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement a pris en considération ces recommandations et a lancé la mise en œuvre de celles qui incombent à ses prérogatives. Et je peux vous assurer que les impacts positifs sur le secteur commencent à se faire sentir.
Donc je ne cède à aucun lobby dans l’exercice de mes fonctions et je ne sens pas cette pression que vous évoquez.
Preuve en est, nous avons procédé à la simplification des procédures pour encourager de nouveaux opérateurs. Au cours de la période 2018-2020, de nouvelles sociétés ont été autorisées pour l’importation et la distribution.
Nous avons également préparé un projet d’amendement de la loi pour encourager les investissements dans les infrastructures de stockage. Cela permettra aux opérateurs d’accéder au stockage qui figure parmi les barrières d’accès au marché pétrolier intérieur ou international. Et pour cause l’investissement dans ce segment nécessite la mobilisation de ressources financières et logistiques importantes.
Tout cela va contribuer à créer une nouvelle dynamique dans le marché et renforcer davantage le fonctionnement concurrentiel du marché pétrolier au profit du consommateur marocain.
De plus le ministère travaille sur la révision du système de contrôle de qualité et de traçabilité des produits pétroliers pour renforcer la protection des droits économiques du consommateur.
Concernant les opérations et les comportements des opérateurs dans un marché censé être libre, le Conseil de la concurrence est l’institution qui est habilitée d’assurer la transparence et l’équité dans les relations économiques, notamment à travers l’analyse et la régulation de la concurrence sur les marchés, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles et des pratiques commerciales déloyales.
Nonobstant, toute réforme engendre forcément son lot de débats, de discussions et d’échange entre les différents acteurs aussi bien publics que privés.
Une question s’impose et qui a fait l’objet d’un projet de loi présenté par plusieurs partis politiques et syndicats devant le parlement : le retour à la compensation des hydrocarbures est-il envisageable ? Sinon, ne faut-il pas revoir les conditions de cette libéralisation pour plus de transparence et une meilleure régulation du marché ?
Il y a lieu de rappeler qu’avant la levée de la subvention des produits pétroliers liquides en 2014, la charge de la compensation atteignait des niveaux alarmants passant respectivement de près de 4 Mds de DH en 2002, 49 Mds de DH en 2011 et 56 Mds de DH en 2012.
Les produits pétroliers s’accaparaient la plus grande part des dépenses de subvention avec plus de 86% du montant total. La part du budget dédié à la compensation dans le PIB est passée de 1% en 2003 à 6,5% en 2012.
Le plan de réforme du système de compensation, engagé par le gouvernement en 2012, visait la maitrise de l’évolution de la charge de compensation en vue d’alléger son impact sur le Budget de l’Etat tout en générant des ressources financières.
Des ressources qui pourraient être allouées à l’investissement, à la création de l’emploi, au développement des territoires et aux services sociaux, à l’amélioration du système de protection sociale, ainsi qu’à l’accompagnement des secteurs compensés vers une libéralisation.
Cela bien entendu en encourageant la concurrence dans les marchés de ces secteurs, en sauvegardant le pouvoir d’achat des citoyens et en prenant des mesures pour la protection des couches sociales vulnérables.
L’Etat envisage actuellement le soutien direct aux populations, c’est l’objet de la loi créant un registre national unifié et un registre national pour la population dont le but est de définir les groupes cible afin de leur permettre de bénéficier du soutien nécessaire.
En effet, ce projet est supposé être une réponse de l’Etat à la fois à la problématique de ciblage des ménages à faible revenu qui doivent bénéficier des programmes des subventions publiques et à celle de la fragmentation du système de protection sociale, caractérisé par des chevauchements et des dysfonctionnements.
La renationalisation de la Samir a également fait l’objet d’un projet de loi déposé par les partis politiques et les syndicats. Un projet rejeté par le gouvernement le 5 février sans donner aucune explication. Comment justifiez-vous cela ?
La société Samir fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire décidée par le jugement rendu le 21 mars 2016 par le Tribunal de Commerce de Casablanca tout en autorisant la poursuite des activités de la société.
Le Tribunal acte la liquidation judiciaire, le 30 janvier 2017, par la mise en vente des actifs de la SAMIR, y compris les unités de production, autorisant le Syndic à recevoir les offres d’achat de la raffinerie. Lesdites offres doivent inclure toutes les données techniques et financières ainsi que les garanties prévues pour l’exécution de l’offre soumise.
L’aboutissement du dossier SAMIR dépend de la décision du Tribunal de Commerce de Casablanca dans le cadre cette procédure de liquidation.
Par ailleurs, je dois signaler que notre pays dispose de toutes les conditions réglementaires et logistiques pour accueillir tout investissement en raffinage et industrie pétrochimique pour le marché national et l’export.
Je tiens à préciser aussi, que nous avons œuvré pour que les 6 filiales de la Samir puissent continuer à fonctionner.
En juin 2020 le gouvernement avait décidé d’autoriser l’utilisation des réservoirs de La Samir par l’Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM). 7 mois plus tard, le contrat définitif n’a toujours pas été conclu. A quoi attribuez-vous ce retard ?
Pour louer les réservoirs appartenant à la société SAMIR, l’Etat marocain a dû déposer une demande auprès du Tribunal de Commerce de Casablanca. Le but de l’utilisation de ces réservoirs est de renforcer la sécurité d’approvisionnement du pays en rehaussant le niveau des stocks de sécurité en produits pétroliers d’une part, et d’autre part, pour maintenir les activités économiques et commerciales de l’entreprise conformément au jugement de liquidation de la société rendu le 21 mars 2016.
Le juge commissaire a autorisé, en mai 2020, le Syndic désigné dans la procédure de la liquidation de la société SAMIR, à louer les bacs de stockage de l’entreprise à l’Etat marocain ou à celui qui le représente. C’est l’Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM) qui a été désigné comme représentant de l’Etat et par là de conclure le contrat de location desdits bacs.
Toutes les parties prenantes s’activent pour assurer toutes les conditions nécessaires pour la mise en œuvre du jugement relatif à l’utilisation des réservoirs SAMIR. Une consultation juridique est en cours pour bien maitriser tous les éléments de ce projet.
Deux projets de loi relatifs à la cession des actifs de la société La Samir à l’État marocain et l’autre à la régulation des hydrocarbures ont été déposés par certains partis politiques au Parlement. Pensez-vous que ces projets puissent aboutir ?
Après l’arrêt de de la raffinerie Samir en août 2015, le dossier de la société Samir a connu plusieurs rebondissements, jusqu’à ce que le dossier soit transféré devant la justice. Le 21 mars 2016, le Tribunal de Commerce de Casablanca acte la liquidation judiciaire de la société tout en l’autorisant à poursuivre ses activités.
Le 30 janvier 2017, le Tribunal décide la mise en vente des actifs de la Samir, y compris les unités de production, avec autorisation pour Syndic de recevoir des offres d’achat de la raffinerie. Lesdites offres doivent inclure des données relatives à l’activité, au financement, au prix de la cession, un calendrier de réalisation, les perspectives de fonctionnement, et les garanties prévues pour l’exécution de l’offre soumise. Ce processus de liquidation de la société « SAMIR » est en cours. Tout repreneur sera le bienvenu.
Le rôle du gouvernement est de sécuriser l’approvisionnement du marché, garantir la concurrence, encourager l’investissement privé et contrôler la qualité.
2 Commentaires
« Tout repreneur sera le bienvenu ».La renationalisation semble donc bien illusoire.
La nationalisation / renationalisation sur le long terme ne crée que la bureaucratie, les subventions inutiles, la médiocrité de la qualité, le contrôle destructif, la monopolisation…Les exemples sont bien devant nous dans le monde entier et pas loin de nous (Sonatrach). Même les pays pétroliers comme l’Arabie Saoudite, Iraq, Iran, Mexique, le Venezuela,..qui ont nationalisé leur secteur pétrolier depuis des décennies et n’ont qu’une compagnie nationale pour les recherches, l’exploration, la production, raffinage, transport, distribution et vente au détail sont beaucoup moins productifs loin derrière des autres pays qui ne sont même pas pétroliers. N’en parlant pas du gaspillage total et de toute nature. J’en passe pour la qualité et le service de leurs stations…
La concession, la privatisation et ensuite la libéralisation de n’importe quel secteur surtout un secteur stratégique comme les hydrocarbures, l’eau ou l’électricité…sont les meilleurs solutions en général que la monopolisation de l’Etat dans le sens de la minimisation des pertes et des subventions. Bien sur qu’il y a des cas exceptionnels qui peuvent arriver comme celui de la SAMIR, mais dans ce cas précis, on sait très bien les raisons derrières cette situation catastrophique: L’Etat marocain et Amoudi en même temps (moitié-moitié cvd les deux coupables). Tout simplement, l’Etat n’a pas fait son travail honnête et stricte depuis le début de privatisation en 1997 et la libéralisation aussi au moment convenable pour tout le monde. L’Etat a imposé les prix de vente sur la SAMIR, mais il n’a jamais payé ponctuellement la différence entre le prix réel sur le marché et le prix subventionné depuis au moins 2002 jusqu’en 2015 (l’arrêt définitif de la raffinerie). Il a préféré mélanger les comptes, les subventions, les taxes de la douane, l’exonorisation des taxes, l’autorisation des banques nationales pour des crédits à la SAMIR…et toute cette salade durant au moins 1″ ans (2202-2015) a créé de la corruption de toute nature dans cette société.
Au lieu de libérer les prix des hydrocarbures progressivement depuis la vente de la SAMIR en 1997 et le prix du baril n’était qu’avec $12 en 1998 et surtoût depuis 2002, la date de l’incendie de la SAMIR, sinon avant la flambé du prix du pétrole à cause de la deuxième guerre de l’Irak en 2003, et comme le défunt Si Mohamed Ouafa l’a fait entre 2014 et 2015, L’Etat marocain a préféré garder le status quo avec la subvention puisqu’elle n’était pas un montant désastreux à son avis comme en 2008, 2011 et 2012. En fait, entre 2002 et 2014, l’Etat a subventionné les prix des hydrocarbures avec une somme colossale de 320 milliards de dhrs (oui dirhams) d’après ce que le défunt Ouafa a dit en 2015 pour justifier sa libéralisation des prix. 80% de cet argent est allé juste pour la classe riche marocaine qui consomme bien sûr beaucoup plus et de toute nature. Donc, c’était de l’argent perdu et plus de dettes intérieurs et extérieurs sur l’Etat marocain à cause de l’encadrement des prix, une monopolisation indirecte de l’Etat et une subvention pour la classe riche non méritante. Voilà, le résultat final devant nous: Plus de dettes sur l’Etat marocain, une faillite complète et totale d’un des meilleurs bijoux de l’Afrique dans le secteur énergétique qui était parmi les meilleurs en Afrique avec son hydrocracking qui n’existait qu’en Afrique du Sud, l’Egypte et le Maroc. C’est très triste, mais c’est vrai à cause de la corruption entre l’Etat et le holding de Amoudi…
la dernière phase que le ministre a dit résume ce qu’il a fallu faire depuis 1997 et non pas en 2015 où maintenant. Dans les pays avec économie libre et transparente, l’Etat ne doit pas investir, contrôler, encadrer, subventionner le tout et dans n’importe quel secteur. Il doit laisser le secteur privé faire son travail pour encourager l’investissement, la competitivité, la qualité, l’approvisionnement, le capital professionnel. Il doit s’occuper uniquement du passage des lois législatives, leur applications, la transparence, les pénalites, et bien entendu moins de bureaucratie…