Ecrit par Lamiae Boumahrou |
Malgré la décision du ministre de l’Industrie de mettre fin à la pratique anti-concurrentielle des jetons de peinture, certains producteurs résistent. Une résistance qui fait réagir la Fédération nationale des associations du consommateur ainsi que le Syndicat national des commerçants et des professionnels. Décryptage.
Comme annoncé en exclusivité par EcoActu.ma, la pratique des jetons de peinture arrive à sa fin, ou presque. La décision du ministre de l’Industrie et du Commerce Moulay Hafid Elalamy de mettre fin à une pratique anti-concurrentielle, vieille de plus de 20 ans, a fait l’effet d’une bombe pour tous ceux qui en profitent jusqu’à aujourd’hui.
En tapant sur la table, le ministre compte rétablir le principe de la concurrence des prix dictée par la loi n° 104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrence sur le marché et mettre fin à cette pratique qui cache son lot de magouilles. Ce qui n’a pas été du goût des producteurs qui font du jeton leur marque de fabrique au détriment du consommateur qui, au final, paie le coup de cette pratique.
C’est pourquoi la Fédération nationale des associations du consommateur (FNAC) entre en ligne pour dénoncer, pour la nième fois, cette pratique illégale dont les seuls bénéficiaires sont les producteurs et les peintres malhonnêtes, laissant le consommateur à leur merci et à celle d’un marché anti-concurrentiel.
« Nous avons noté avec satisfaction la décision du Ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Economie Verte et Numérique de mettre fin à une pratique décriée pendant plusieurs année par notre fédération et qui impacte directement le consommateur marocain », souligne la Fédération.
Et d’ajouter qu’il s’agit : « d’une pratique illégale au sens de l’article 56 de la loi 31/08 édictant des mesures de protection du consommateur qui stipule que toute vente ou offre à la vente des produits ou des biens, ou toute offre d’une prestation de service au consommateur donnant droit , à titre gratuit, immédiatement ou à terme, à une prime consistant en produits, biens ou services sauf s’ils sont identiques à ceux qui font objet de la vente ou de la prestation… ».
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La Fédération dénonce également le non-respect d’un droit fondamental de la protection du consommateur, un droit considéré comme la clé de voute des droits du consommateur, à savoir « le droit à l’information ».
Un droit que la loi 31-08 a clairement repris dans son article 3 qui oblige le fournisseur de mettre, par tout moyen approprié, le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du produit, et de lui fournir les renseignements susceptibles de lui permettre de faire un choix rationnel compte tenu de ses besoins et ses moyens.
« Nous rappelons à tous les consommateurs d’être vigilants et de clairement s’informer avant de se faire induire en erreur par un conseil calomnieux ou une information douteuse. Nous rappelons aussi que notre réseau des Guichets de Consommateur est à la disposition des consommateurs pour tout conseil, information ou résolution de litige », met en garde la Fédération.
Ce qui est clair, c’est que cette pratique génère une manne financière importante qui circule sur le marché et que le consommateur a payé et continuera de payer tant que cette pratique existe.
Rappelons que rien que Colorado aurait, comme déjà annoncé par EcoActu.ma, affirmé lors de la réunion tenue le 13 mars avec le Conseil de la concurrence, avoir 80 MDH de jetons à récupérer (donc à rembourser aux peintres) sur le marché.
Ce qui explique la résistance de certains producteurs à mettre fin à cette pratique qui leur rapporte gros.
Les producteurs se sont-ils pliés à la décision du ministre d’arrêter la mise sur le marché des jetons à partir du 8 mars ?
Pas tous. C’est ce que nous a confirmés Nabil Nouri, président du Syndicat national des commerçants et des professionnels.
« Après la décision du ministre, nous avons constaté, qu’à ce jour, certaines entreprises ont respecté cette décision en arrêtant la mise sur le marché des jetons tandis que d’autres continuent d’appliquer cette pratique comme si de rien n’était », a-t-il précisé.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela a créé une situation de chaos et de confusion dans le marché. Aujourd’hui, les distributeurs et revendeurs appellent les producteurs à retirer les seaux avec jeton et les remplacer par d’autres sans. Il faudra tout de même que les producteurs compensent l’écart du prix. Car le retrait des jetons impliquera forcément une baisse du prix de la peinture. D’ailleurs, la FNAC appelle à l’application de la loi de l’affichage des prix pour éviter tout dérapage entre revendeurs et peintres mais surtout pour protéger le consommateur.
« Nous demandons une réforme de fond et non pas superficielle pour assainir le marché. Nous estimons que les entreprises qui sont responsables de cette pratique doivent se charger de retirer les sceaux et de les remplacer par d’autres sans jetons », tient à préciser Nabil Nouri.
Si les revendeurs dénoncent également cette pratique c’est parce que le remboursement du jeton leur pose problème. Pour un seau de peinture de 400 DH, la marge de gain est d’entre 15 et 20 DH alors que le revendeur doit rembourser le peintre à hauteur de 80 à 100 DH. Un montant que le revendeur récupère, à son tour, auprès du producteur. Un vrai casse-tête qui n’a pas lieu d’être et qui, en plus, est illégal.
« Je tiens également à préciser que cette pratique non seulement porte préjudice aux revendeurs mais également aux consommateurs puisqu’avec l’arrivée des jetons nous avons constaté une baisse de la qualité de la peinture d’une part et d’autre part cette pratique incite les peintres à demander des quantités de peinture plus importantes pour pouvoir récupérer les jetons et se faire rembourser », déplore le président du Syndicat national des commerçants et des professionnels.
D’où l’impératif de la diffusion éminente de la circulaire que le ministère de l’Industrie s’apprête à sortir pour mettre fin à la pratique et qui définira les modalités de cette décision d’arrêt immédiat des jetons de peinture n’est pas encore sortie. Ce cadre réglementaire veillera à l’application de la loi par tous les producteurs de peinture sans exception.
« Nous sommes dans un pays de loi et donc les entreprises qui ne respectent pas la décision du ministre doivent être sanctionnées. Et le justif qu’avancent ceux à qui la pratique bénéficie qu’il faudra du temps pour tout retirer du marché ne tient pas la route », insiste Nabil Nouri.