A un moment où le Maroc questionne son modèle de développement et où la croissance économique évolue au gré de la clémence du ciel, la directrice générale du Fonds monétaire internationale, Kristalina Georgieva en visite depuis le 17 février au Maroc a indiqué dans une interview accordée à la MAP que le Maroc a bien avancé dans la mise en place de conditions propices à une croissance plus élevée et plus inclusive, en dépit d’un environnement difficile. Des propos qui vont droit au cœur des pouvoirs publics, mais qui restent tout de même à nuancer pour différentes raisons.
Parce que si les conditions d’une croissance inclusive sont bien réunies, pourquoi le Maroc s’acharne-t-il à revoir son modèle de développement qui a justement atteint ses limites à cause des disparités sociales et territoriales qui ne font que se creuser au grand dam de la classe moyenne menacée d’érosion accrue. « Le Maroc reste le pays le plus inégalitaire du Nord de l’Afrique et dans la moitié la plus inégalitaire des pays de la planète. En 2018, trois milliardaires marocains les plus riches détenaient à eux seuls 4,5 milliards de dollars, soit 44 milliards de dirhams. L’augmentation de leur fortune en un an représente autant que la consommation de 375.000 Marocaines parmi les plus pauvres sur la même période », alerte Oxfam dans son rapport.
Pis encore, le Maroc est classé 143e sur 153 pays par rapport à l’indice mondial de disparité entre les sexes, selon le rapport du Forum Economique mondial 2020.
Dans le même entretien, Kristalina Gergieva révèle le renforcement de la résilience de l’économie, et la croissance qui devrait s’accélérer progressivement à moyen terme. De quelle résilience pouvons-nous parler dans un contexte où le déficit de notre balance commerciale ne fait que se détériorer à cause d’une guerre commerciale sino-américaine qui a pu avoir le dernier mot, des IDE en berne, d’une compétitivité en perte de vitesse…? Bref d’une économie qui demeure faiblement positionnée pour tirer profit pleinement d’une économie mondiale même lorsque tout va bien. Une économie qui reste fortement dépendante des exportations de l’industrie primaire (phosphate et produits agricoles), des recettes de la balance des paiements (tourisme et transferts de MRE).
Si jamais résilience il y a, c’est tout simplement parce que l’industrie marocaine est faiblement intégrée dans les échanges internationaux. Ce qui se traduit par moins d’impact des chocs conjoncturels que peut connaître l’économie mondiale. Ceci pourrait expliquer la fameuse « résilience » de l’économie nationale dont se targue aussi l’équipe au pouvoir.
Même le FMI dans le cadre de la récente revue de la ligne de précaution et de liquidité accordée au Maroc a pointé les défaillances de l’économie marocaine. Selon le document du FMI, la croissance économique devrait reculer à 2,8% en 2019, contre 3,0% en 2018, en raison d’une contraction de la production agricole (due à de faibles précipitations), tandis que la croissance non agricole augmenterait à 3,4%, soutenue principalement par les dépenses publiques et la consommation privée (y compris à la suite de l’augmentation des salaires publics).
Le chômage est passé à 9,4% au troisième trimestre 2019 (contre 9,3% au T3-2018), tandis que la participation au marché du travail est tombée à 45,8% (contre 47% au T2-2018). Le chômage reste élevé chez les jeunes et les femmes (26% et 14% en 2018, respectivement).
La réalité rattrape
Fort heureusement que la Directrice générale du FMI a obtempéré dans son entretien avec la MAP en annonçant que le taux actuel de la croissance économique inférieur à 3% n’est pas assez fort pour créer suffisamment d’emplois et réduire les inégalités sociales et régionales. A ce titre, elle s’arrête sur un point crucial à savoir le chômage endémique des jeunes et des femmes qui reste trop élevé. C’est tout l’enjeu du nouveau modèle de développement.
Aussi, le Maroc s’attend-il de cette visite de la Directrice générale à jeter de nouveaux ponts entre le Maroc et le FMI pour parvenir dans les plus brefs délais à une croissance inclusive de qualité. Comme elle l’a d’ailleurs souligné : « Il s’agira aussi, pour y parvenir, d’accélérer les réformes fiscales à la suite des assises nationales 2019 sur la fiscalité, de continuer d’assouplir le régime de change afin de limiter les retombées éventuelles des chocs externes sur l’économie et de continuer d’améliorer la coordination et le ciblage des programmes sociaux ». C’est pour dire que justice ne pourrait être faite sans une équité fiscale et sans la mise en place de programme sociaux bien ciblés où les garde-fous seront mis en place pour que la population cible en soit bénéficiaire. Allusion faite même au programme intégré d’appui et de financement au profit des pans vulnérables de la société qui promet monts et merveilles mais qui reste tout de même conditionné par une mobilisation tout azimuts et le respect d’un minimum de conditions.
Dans le même sillage, l’assemblée annuelle du FMI et de la Banque Mondiale qui se tient l’an prochain, à savoir octobre 2021, à Marrakech se veut une occasion propice pour le Maroc de débattre de questions d’envergure dont justement les politiques fiscales et budgétaires audacieuses à même de sortir l’économie marocaine de sa léthargie. Ce rendez-vous international qui réunit 12.000 personnes, une semaine durant, permettra au Maroc de présenter ses réalisations mais tout en faisant le focus sur ce qui rester à accomplir pour se gagner les rangs de l’émergence.