Répondre à la demande croissante d’infrastructures et de services, construire des villes résilientes sur les plans économique, social et climatique, promouvoir une croissance compétitive et inclusive, générer des opportunités économiques pour la jeunesse, améliorer l’environnement des affaires, réduire la complexité et l’opacité des procédures administratives, favoriser l’émergence d’idées innovantes, les décideurs politiques nationaux et locaux ont un rôle important à jouer pour agir rapidement et façonner l’avenir des territoires avec des choix d’investissement et de modes de gouvernance adaptés à l’importance de ces défis.
Selon une étude récente de la banque mondiale, les villes devront multiplier par cinq leurs dépenses d’investissement afin de répondre aux besoins en infrastructures, équipements et services, évalués à environ 320 milliards de DH sur la période 2017-2027, avec une part de 22 milliards de DH par an qui doit être mobilisée par les villes elles-mêmes.
Ces écarts croissants nécessitent des solutions systémiques nouvelles et impliquent un changement d’échelle drastique dans les volumes de financements à mobiliser pour rattraper, pendant une période courte, les retards et déficits accumulés en matière d’infrastructures et d’équipements, y compris les équipements sociaux (systèmes de transport connectés, parking, distribution d’eau et d’énergie, traitement des eaux usées et des déchets, aménagements urbains, protection contre les catastrophes, équipements socio-éducatifs et culturels, parcs d’attraction, etc).
La complexité de la situation, qui est aggravée par le décalage entre l’ampleur des compétences dévolues aux collectivités territoriales (CT) et les limites de leurs capacités techniques et financières, exige des approches transversales innovantes du développement territorial dans ses dimensions économique et sociale, basées sur une articulation judicieuse des problématiques de services et d’équipements collectifs à celles relatives à la coordination des politiques sectorielles et des investissements entre l’Etat et les CT, la planification stratégique, l’attraction des financements privés, l’utilisation optimale du potentiel fiscal sous-exploité, l’encadrement et la maîtrise de l’endettement, la gestion du patrimoine foncier, etc.
Les limites du système de financement traditionnel de l’investissement local
Les sources traditionnelles de financement provenant des transferts de l’État central, de l’épargne d’exploitation et de l’emprunt sont désormais soumises à plusieurs contraintes. L’État, au nom d’une gestion prudente des finances publiques et la maîtrise des déficits budgétaires, pourra difficilement augmenter les transferts de ressources vers les échelons locaux. Les priorités du budget national sont orientées vers les secteurs sociaux comme l’éducation et la santé dont les besoins sont en forte croissance, ainsi que pour le financement des stratégies sectorielles. Les budgets locaux peinent à financer les investissements destinés à la modernisation, l’extension et le renouvellement des équipements et réseaux collectifs, y compris la mise à niveau, l’entretien et la maintenance des infrastructures existantes.
Quant à l’accès aux ressources d’emprunt, les sources de revenus des CT ne permettent pas d’assurer une capacité d’endettement suffisante pour faire face aux besoins en infrastructures capitalistiques et l’État n’est plus en capacité d’accorder des garanties sur les emprunts afin de ne pas alourdir le poids de la dette publique.
L’objectif de combler ces déficits de financement et de maîtrise d’ouvrage, inconciliables avec les impératifs d’un développement inclusif, peut être réalisé dans le cadre de modèles contractuels et financiers innovants, favorisant le renforcement des capacités d’investissement et d’exécution des projets ainsi que la mobilisation accrue de l’expertise et des financements privés ou mixtes par le recours aux alliances stratégiques avec le secteur privé, en l’occurrence le Partenariat Public-Privé (PPP).
Le PPP : levier de bonne gouvernance et de performance
Solution concevable pour des grands projets complexes requérant d’importantes compétences techniques et managériales, la complémentarité entre le secteur public et privé pourrait constituer une formule d’avenir dans de nombreux domaines, en tant que vecteur de renouveau de l’investissement associant au maitre d’ouvrage public le professionnalisme indispensable à une gestion privée plus efficace, le savoir-faire des métiers et l’innovation technologique et permettant dans le même temps l’apport de financements alternatifs, tout en allégeant les strictes contraintes budgétaires auxquelles sont soumises les dépenses publiques.
Le modèle économique et contractuel du PPP, lorsqu’il est utilisé à bon escient dans un cadre de gouvernance approprié, est censé garantir l’atteinte de meilleures performances des projets grâce à un calendrier de réalisation plus rapide et à l’optimisation de la qualité des ouvrages et des budgets de construction, d’entretien et de maintenance, dans le cadre d’une « approche fondée sur la durée de vie » et le « comparateur du service public« .
Cependant, les projets en PPP nécessitent une taille minimale afin de justifier le coût de la passation de marchés et de favoriser les économies d’échelle nécessaires pour augmenter l’efficience de l’exploitation et de la maintenance. Du fait de leur ampleur, de leur coût élevé et de leur longue durée, les PPP requièrent des évaluations préalables fondées sur des scénarios réalistes en ce qui concerne la demande future et le taux d’utilisation des infrastructures, ainsi qu’une diligence particulière de la part du partenaire privé quant à la levée de fonds de financement suffisants auprès des tiers prêteurs ou investisseurs pour boucler le montage financier.
Une évaluation préalable solide, gage de l’efficience économique et sociale
Au-delà des clivages politiques et des fondements idéologiques des doctrines collectivistes, le PPP est un outil efficace lorsqu’il est appliqué pour des projets hautement prioritaires et urgents qui apportent une valeur socio-économique réelle, avec un partage des risques et des bénéfices approprié, cohérent et efficace, sans que la position des pouvoirs adjudicataires ne soit affaiblie à cause notamment d’un manque de concurrence et que la logique du marché ne prenne le pas sur la dimension de l’intérêt général.
A ce titre, le gouvernement est interpellé pour définir une stratégie claire concernant les PPP, qui définit précisément le rôle que ces derniers doivent jouer dans les politiques nationales et locales d’investissement en infrastructures, afin de recenser les secteurs dans lesquels les PPP sont les plus appropriés et de déterminer dans quelles situations cet outil est l’option la plus indiquée et il peut être approprié de s’engager sur des budgets significatifs à long terme, en optimisant la portée des projets en fonction de besoins réels clairement établis et en garantissant des conditions de concurrence équitables avec les autres procédures de passation des marchés publics.
Outil particulièrement difficile et complexe à manier, le PPP requiert un investissement important, en particulier lors de la phase cruciale d’évaluation préalable comparative apportant la preuve solide que l’option de l’investissement privé est économiquement plus efficiente et permet une meilleure utilisation des ressources que les marchés publics classiques.
Face à des interlocuteurs forts de leur expertise pluridisciplinaire, les collectivités doivent être conseillées sur les plans technique, juridique et financier, tant les enjeux sont considérables, afin d’atteindre l’équilibre optimal entre le transfert des risques et la compensation versée au partenaire privé qui assume les risques liés à la conception, la construction, le financement, la disponibilité et l’exploitation, tout en suscitant son intérêt et en évitant son exposition excessive au risque de faillite.
Sur le registre financier, si l’on convient que le coût du financement privé serait plus élevé que le financement direct par la dette publique assortie de la garantie souveraine de l’Etat, il n’en demeure pas moins que les gains d’efficience pouvant être valablement obtenus par les PPP, grâce un achèvement accéléré des projets et leur potentiel pour réaliser un bon niveau d’exploitation, doivent compenser le surcoût induit par les financements privés.
En revanche, le taux de rémunération du capital-risque du partenaire privé doit refléter raisonnablement les risques supportés par celui-ci, et les bénéfices potentiels des PPP doivent se matérialiser réellement par la livraison de l’ouvrage dans le respect des coûts, des délais et de la qualité et son retour à la personne publique en bon état de maintenance à la fin du contrat.
Par Mohammed BENAHMED expert en développement territorial durable, ingénieur civil de l’EMI, diplômé du cycle supérieur de gestion de l’ISCAE, lauréat du Prix de l’Economiste lors de sa 1e édition de 2005, auteur de plusieurs ouvrages et publications dans les domaines de la gouvernance et le financement des services publics, la décentralisation et la déconcentration, l’urbanisation, le PPP, la gestion déléguée, l’évaluation des politiques publiques, l’économie bleue, les chaines de valeurs agricoles…