L’un des objectifs stratégiques du Boycott qui dure depuis plus d’un mois est non pas uniquement de dénoncer la cherté du prix de certains produits mais également de dénoncer le lien entre pouvoir et business, ouvrant ainsi le feu sur le numéro 1 du Rassemblement national des indépendants, Aziz Akhannouch.
Le mouvement de colère s’étendra graduellement à d’autres ministres du PJD. Le mouvement qui ne faiblit pas aurait-il finalement raison de certains acteurs politiques des deux principales formations politiques de la majorité et reconfigurer la scène politique à la veille des législatives 2021 ?
S’il est connu qu’au Maroc il est difficile de pronostiquer la chose politique et électorale alors que l’échéance de 2021 semble encore hors de vue, quelques éléments permettent une certaine lecture. Un exercice auquel est rompu Younès Dafkir, l’expert en politique et rédacteur en chef d’Al Ahdath Al Maghrebia. Pour lui «Dans la situation actuelle et avec les indicateurs actuels que sont les résultats des législatives de 2016 ou encore la performance de l’action gouvernementale sur près de deux ans et la situation actuelle des partis, il est clair qu’il y a des échauffements en préparatif à l’échéance prochaine. On peut même affirmer que dans le peloton de tête on retrouve toujours le PJD et le RNI. Dans l’arrière-plan figurent le PI et le PAM qui sont à l’affut de la bonne occasion pour sortir des rangs de l’opposition».
Pourtant, on aurait pu croire que le mouvement de boycott qui a pris entre autres pour cible Aziz Akhannouch a pu influencer l’opinion publique de sorte à redistribuer les cartes politiques. Mais selon les observateurs, la situation que traverse le pays actuellement ne laisse pas présager un grand changement dans le paysage politique marocain. «Je ne pense pas qu’en 2021 il y aura une configuration de la scène politique. A la limite, le classement des partis à l’arrivée peut plus ou moins changer. Mais ce seront toujours les huit partis qui composeront réellement l’échiquier politique entre majorité et opposition», analyse Younes Dafkir.
Et d’ajouter : «La véritable compétition pour le leadership se fera entre deux ou trois partis. Et in fine, nous retomberons dans les mêmes alliances ce qui est de nature à replonger le paysage politique dans le même schéma actuel».
Une dualité PJD-RNI mais gare à l’inconnue
Il est vrai que le mouvement de boycott a pris tout le monde de court, perturbant sérieusement certains opérateurs et surtout acculant le gouvernement à revoir sa copie et composer pour calmer la tension actuelle. Mais ce mouvement saura-t-il comme prédisent certaines analyses reconfigurer la scène politique marocaine, en sanctionnant certaines formations ? Surtout que ce sont le RNI dans une large mesure suivi du PJD, à avoir fait le frais de ce mouvement largement suivi par la population.
«J’émet des réserves sur certaines analyses qui estiment que le boycott configurera le paysage politique. Je ne pense pas que ce soit possible, d’abord parce que le boycott ait démarré virtuellement et qu’il a eu des ramifications sectorielles physiques et non politiques ou partisanes. Aussi, il est-il difficile de mesurer l’impact réel du boycott sur la sphère politique et sur les acteurs politiques. Et le plus important est que les élections ont leur propre raisonnement, le temps électoral aussi », note Younès Dafkir.
Puis la machine de mobilisation électorale est considérable comparativement à d’autres mouvements notamment virtuels, Bien que ces derniers aient perturbé les cartes du jeu, ils ne les ont pas redistribuées. «Ces mouvements ont également servi à calmer les ardeurs de certains acteurs politiques. Dans ce sens, l’objectif stratégique de ce mouvement de boycott est de dénoncer la relation entre pouvoir et business», analyse l’expert.
Pour lui, là où les mouvements du Hirak et de Jrada n’ont pas réussi, le Boycott a peut-être fait perdre quelques points à Akhannouch mais pas la partie.
Les effets du boycott se sont même propagés à d’autres ministres du RNI comme Mohamed Boussaid mais aussi du PJD, notamment Lahcen Daoudi et Mohamed Yatim en raison de leurs sorties médiatiques qui ont mis de l’huile sur le feu.
« L’idée à retenir est que le boycott peut accélérer ou ralentir une tendance mais pas la créer. Ce serait exagéré que de le croire. Je ne prévois pas de changement important si ce n’est le classement des principales formations, qui aboutirait pratiquement aux mêmes scénarios face aux limites d’une sphère politique limitée qui ne se réinvente pas ! », déplore Younès Dafkir.
Reste bien évidemment la grande inconnue que constitue le Parti de l’Istiqlal. Le parti à la balance qui a décidé de rejoindre l’opposition tout en soutenant la majorité a opéré un changement de cap depuis l’élection de Nizar Baraka à sa tête. En effet, il semble que le parti historique veut reprendre du poil de la bête et revenir en force sur les devants de la scène politique, aidé en cela par les difficultés que rencontre la majorité actuelle et les problèmes récurrents entre le PJD et le RNI. Un bateau ne pouvant avoir qu’un seul commandant.
Mais surtout que l’Istiqlal est connu pour être une base arrière riche en cadres hautement qualifiés, rompus à la responsabilité politique et au fait de la chose publique et financière.
Pour preuve, le mémorandum soumis par les deux groupes parlementaires du Parti de l’Istiqlal de l’unité et de l’égalitarisme au chef de gouvernement avec mesures à caractère social acculant ainsi le gouvernement à déposer un projet de Loi de finances rectificative dans les plus brefs délais. Le PI ne pouvait rêver meilleur timing d’ailleurs pour recouvrer sa popularité.
Encore faut-il que Nizar Baraka puisse bien gérer l’après Hamid Chabat et souder les rangs pour rétablir la confiance des électeurs.
Les élections de Benabdallah et de Benchamach passent presque inaperçues
Il est nettement exagéré de dire que l’élection de Nabil Benabdallah à la tête du PPS et de Hakim Benchamach à la tête du PAM sont de nature à apporter une quelconque valeur ajoutée à la scène politique nationale ou sur l’action partisane, qui sont actuellement dans un état de morosité et souffrent de maux que nous savons tous. Un avis que partage Younès Dafkir qui estime que ces élections sont beaucoup plus importantes en interne pour ces partis eux-mêmes que pour la sphère politique dans sa globalité. «Nous connaissons tous les conditions dans lesquelles N. Benabdellah a été porté à la tête du PPS ce qui était un véritable examen pour un certain courant au sein de parti qui a fait les frais du séisme politique et qui n’est plus dans une situation confortable au sein de la majorité, comme ce fût le cas lors de l’établissement de son pacte lors du premier mandat de Abdelilah Benkirane », annonce-t-il.
Et d’ajouter «Nous savons par ailleurs que l’élection de Hakim Benchamach vient résoudre la crise de leadership au sein de ce parti après la démission d’Ilyas Omari et la situation de dérive dans laquelle le parti semblait sombrer depuis les élections d’octobre 2016 remportées par le PJD. Situation de désarroi qui a été amplifiée par les évènements du Rif ».
Pour répondre à ces dysfonctionnements et problématiques, les deux partis ont réagi différemment puisque le PAM a fait le pari du changement en élisant Hakim Benchamach alors que le PPS a fait le choix de la continuité en réélisant Nabil Benabdallah pour un troisième mandat. «Ces élections ont un impact limité puisqu’elles rentrent plus dans le cadre des préparatifs internes de ces partis pour les échéances de 2021 qu’il ne s’agit d’une véritable valeur ajoutée pour la scène politique dans son ensemble. Nous sommes donc loin de faits qui peuvent dynamiser la sphère politique dans ce pays », conclut Dafkir.
Mais d’ici 2021, d’autres épreuves attendent aussi bien majorité qu’opposition, notamment des chantiers impopulaires comme la décompensation ou la réforme de la retraite. D’ailleurs Saadeddine El Othmani devrait secouer la Commission nationale des retraites et la sortir de son mutisme ! Autant dire, que la mise à l’épreuve de la classe politique d’ici 2021 ne fait que commencer. Attachez bien vos ceintures !