Longtemps marginalisée en théorie économique, l’entreprise est devenue au cours de la décennie 1970, un sujet d’analyse et de réflexion académique et universitaire à part entière, car elle représente au côté du marché, l’organisation pivot de l’activité économique.
Elle est reconnue aujourd’hui le plus important agent du progrès économique et technique, et s’avère investie d’un rôle crucial pour favoriser la croissance et le développement.
De ce fait, l’entreprise peut être considérée comme une des institutions majeures du capitalisme moderne, voire son institution centrale. D’ailleurs, François Perroux n’a-t-il pas défini le capitalisme comme « une économie d’entreprises ? ».
Toutefois, la théorie économique néoclassique avait réduit la firme à une « boite noire », car sa préoccupation principale était l’étude du marché, et le mécanisme de détermination de prix d’équilibre en fonction de l’offre et de la demande des biens et services produits.
Dans ce cadre, l’entreprise était considérée comme un simple atelier de fabrication, combinant les facteurs de production pour la réalisation d’une quantité d’outputs directement vendus sur le marché.
Ainsi, la conception traditionnelle confère à l’entreprise un rôle de production de richesses. Dans cette approche, le seul impératif de l’entreprise est d’optimiser la combinaison productive en faisant varier les facteurs de production, dans le respect du droit, mais sans se préoccuper des conséquences sociales et environnementales de ses actes.
Cependant, cette théorie a laissé de nombreuses questions en suspens, et ne s’est pas penchée sur la compréhension de la firme dans le cadre de la délimitation de sa structure, son organisation, son fonctionnement interne et de son interaction avec son environnement.
Cette situation va justifier la remise en cause de cette vision de la firme, et le développement de conceptions alternatives de l’entreprise.
En effet, l’environnement de l’entreprise est de plus en plus complexe, marqué par les crises économiques, aujourd’hui sanitaires, les scandales financiers entachant la réputation des entreprises, les problèmes environnementaux récurrents et la fragilisation du tissu social.
Leur activité économique est à la source de progrès énorme en matière de technologie et de sciences. Toutefois, en créant plus de richesse, les entreprises ont usé et usent encore de multiples pratiques socialement irresponsables, car elles sont encouragées à rechercher la rentabilité à n’importe quel prix.
En effet, leur fonctionnement, leur consommation, le cycle de vie des produits qu’elles fabriquent, les services qu’elles proposent, les conditions de travail qu’elles offrent à leurs employés ont des répercussions sociales, environnementales et économiques importantes.
Face à ce dilemme, un nombre croissant de dirigeants estiment que l’objectif de l’entreprise n’est plus seulement de faire du profit, mais qu’elle a une responsabilité résidant dans le contrôle des conséquences de ses activités.
L’entreprise doit alors non seulement se soucier de sa rentabilité et de sa croissance, mais aussi de ses impacts sociaux et environnementaux. Le questionnement sur le rôle de l’entreprise est alors soulevé.
Du reste, l’interrogation sur sa responsabilité a émergé dès la fin du 19ème siècle à travers les débats sur son rôle et la nature de ses obligations, pour se formaliser au début du 20ième siècle, à mesure que le modèle de la grande entreprise à actionnariat dispersé et la figure du dirigeant salarié non propriétaire se généralisait.
Forcément, la naissance de la firme moderne se traduira par une nouvelle conception de la responsabilité des propriétaires, des dirigeants et de la firme à l’égard de la société, et la mise en place de nouveaux systèmes de gouvernance d’entreprise.
Aussi, la déclaration du prix Nobel d’économie Milton Friedman en 1970, « L’unique responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroitre ses profits », récusant la thèse selon laquelle l’entreprise aurait une « conscience sociale » sera bel et bien remise en cause.
Dans ce cadre, les entreprises sont amenées à s’adapter, et à évoluer si elles visent leur pérennité.
Partagée par les milieux académiques, politiques, sociaux ou écologiques, la question essentielle est bien celle de la responsabilité de l’entreprise, depuis que la vision partenariale de la firme se diffuse en sciences de gestion, et dans les milieux managériaux prônant une intégration des partenaires de l’entreprise dans la prise de décision, contrairement à la vision restrictive proposée par les néoclassiques.
En effet, la théorie des parties prenantes déterminera le cadre évolutif du rôle de l’entreprise en redimensionnnant son environnement, pour inclure dans l’analyse stratégique de l’entreprise, l’ensemble des personnes, ou groupes qui sont susceptibles d’affecter ou d’être affectés par le déroulement de sa stratégie.
Dès lors, les managers et dirigeants tendront à penser leur activité, comme la gestion de multiples relations avec des groupes internes et externes, aux intérêts parfois convergents mais souvent en conflits.
L’entreprise est ainsi de moins en moins considérée comme une organisation indépendante poursuivant des buts strictement privés, mais de plus en plus comme un acteur qui, en agissant à l’intérieur d’une collectivité, produit des externalités et doit en assumer la responsabilité vis-à-vis de ses parties prenantes.
Dans ce cadre, notre époque bouleversée par la crise du Covid 19 serait – elle plus que marquée par la réalité d’un nouveau modèle de développement de l’entreprise s’inscrivant dans une dynamique globale de développement durable, soucieux de concilier développement économique et préoccupations écologiques et sociales ?
Par Dr JIHANE BAKKALI, Enseignante-chercheur, Universite Abdelmalek Essaadi