Hatim Benjelloun, Directeur associé du cabinet Pass revient sur un métier encore à l’état embryonnaire dans notre pays à savoir le lobbying. Et pourtant, le lobbying permet d’anticiper le parcours à emprunter et rythmer les actions selon les contraintes et les évolutions politiques, institutionnelles ou économiques du pays.
EcoActu.ma : Activité méconnue du grand public, comment évolue la prise de conscience de l’importance du lobbying au Maroc, notamment économique ?
Hatim Benjelloun : L’évolution est très lente. Le métier souffre d’un déficit d’image de manière générale. Au Maroc, il n’existe aucune réglementation ni reconnaissance officielle du métier. Le Lobbying est perçu comme un simple mouvement d’influence, de protestation ou encore de pression. De plus, au Maroc, nous assistons à une confusion entre Lobbying et Gestion de crise. Il suffit de voir les levées de boucliers et les paniques de dernière minute dès l’apparition du premier jet du PLF. Le Lobbying est une course de fond : il faut anticiper le parcours à emprunter et rythmer ses actions selon les contraintes et les évolutions politiques, institutionnelles ou économiques du pays.
L’activité se professionnalise-t-elle ? Décrivez-nous le quotidien d’un lobbyiste et comment pratique-il son métier au quotidien ?
C’est un marché de niche. Parlons plutôt d’affaires publiques ou de soft lobbying. Aujourd’hui, le Maroc compte très peu de cabinets structurés dans le domaine. Cependant, il existe pas mal de ce que j’appelle des « passe-murailles » : autrement dit, des personnes qui marchandent leur carnet d’adresse. Ce n’est pas ma vision du métier. Le carnet d’adresse est un outil de travail et en aucun cas un service ou un produit que l’on commercialise. Les affaires publiques, c’est d’abord de la méthode, des outils, de l’intelligence terrain et une bonne connaissance des rouages institutionnels et politiques du pays. Et contrairement aux à priori, si vous êtes persévérant et précis dans vos tâches, suffisamment pertinent et juste dans vos demandes, porteur de valeur ajoutée pour le pays, toutes les portes peuvent s’ouvrir, quel que soit votre background. Le circuit décisionnel est beaucoup moins cloisonné qu’il y a une dizaine d’années. L’esprit de concertation devient de plus en plus présent dans la culture de l’administration et des décideurs publics de manière générale.
Comment devient-t-on lobbyiste ou acteur des affaires publiques ? Comment a démarré votre parcours ?
Il n’existe pas de parcours prédéfini. Je dispose d’un Master en science politique spécialisé en sécurité globale et d’un Master spécialisé dans la communication stratégique et l’intelligence économique. Après une expérience dans un cabinet parisien, je souhaitais absolument rentrer au Maroc pour pratiquer le métier. En 2007, j’ai eu la chance d’être repéré par le seul cabinet marocain spécialisé dans le lobbying : Public Affaires & Services (PASS). Je ne l’ai plus quitté depuis.
Un parcours plutôt réussi. De consultant vous êtes passé à actionnaire majoritaire et gérant du cabinet PASS … Quelle a été la clé de votre progression ?
Passion. Audace. Persévérance. Dès que ces trois étoiles s’alignent, la réussite vous sourit. J’ai également eu la chance d’avoir un mentor d’une grande qualité humaine et professionnelle : le fondateur du cabinet et actuellement mon associé, M. Hassan Alaoui. Je ne cesse de le répéter : l’engagement et le sens du travail bien accompli est payant !
Vous devez être très sollicité. Quelle forme prend votre relation avec vos clients ? Je suppose que la confidentialité et la confiance sont extrêmement importantes.
C’est un mariage. Pour travailler dans les meilleures conditions, le client doit se mettre à nu. Du coup, il faut un peu de temps pour que chacun s’approprie l’univers de l’autre. Mais au final, étape par étape, nous finissons par construire une vraie relation de proximité et de confiance avec nos clients. J’aime me décrire comme un orfèvre du métier. Je me rends disponible 24h/24, 7j/7 pour être auprès de mes partenaires, comprendre leur quotidien, leurs défis, traiter les urgences ou préparer des réunions officielles de dernière minute. Finalement, je finis par devenir à la fois l’expert, le conseiller et le confident.
Au-delà de la formation, quel profil faut-il avoir et compétences à développer pour réussir ses missions ? Quelle est la clé de succès ?
Nous sommes à mi-chemin entre un profil de communicant et de consultant-analyste. Les deux expertises combinées est un fait plutôt rare au Maroc. Or, nous devons être maîtres dans l’art de mettre la forme au service du fond. Il est également nécessaire de disposer d’un esprit créatif capable de s’adapter à toutes les situations, aux imprévus mais surtout à un environnement institutionnel erratique et difficilement intelligible. Nous devons être en veille permanente, aussi bien sur des sources ouvertes que sur des sources fermées. Notre activité est également un métier de personne : notre savoir-être déterminera notre capacité à répondre aux exigences des clients et à gagner en crédibilité auprès de l’écosystème institutionnel et politique. Mon portefeuille client est composé majoritairement de clients historiques et fidèles. J’en suis plutôt fier.
Vous avez participé de près aux campagnes électorales de 2015 et 2016, en soutenant un candidat ? Parlez-nous de cette expérience.
D’abord, j’aimerai rappeler que je ne suis partisan d’aucune formation politique. J’ai en effet eu l’occasion d’accompagner l’ancien Maire de Casablanca et actuel Ministre du Tourisme durant les deux campagnes électorales. A l’époque déjà, Mohamed Sajid avait déjà en tête l’idée de créer un Think Tank adossé au parti, réunissant des jeunes talents, pour la plupart de jeunes technocrates. J’ai ainsi été mandaté pour créer cette cellule. Globalement, mon rôle était de soutenir le Secrétaire Général dans le repositionnement de son image auprès de son écosystème institutionnel, mais également lui fournir le contenu nécessaire pour crédibiliser ses actions. Nous avons ainsi lancé de nombreux chantiers plutôt innovants et qui, en soi, constituaient une mini-révolution dans le paysage partisan marocain : création d’un Think Tank, lancement des Jeudis de l’UC, rédaction de communiqués circonstanciés et à fort contenu, rédaction d’une charte plutôt que d’un programme, etc.
Justement vous avez créé le think tank Radius, comment accompagne-t-il les grands chantiers du Royaume ? Et comment se met-il au service des intérêts du pays ?
L’idée est simple : créer un lieu de production d’idées opérationnelles à travers la mobilisation conjointe du public et du privé. Mon ambition est de créer un cadre constructif et participatif de concertation entre l’ensemble des parties prenantes d’un secteur, d’une ville ou d’un programme. Aucun secteur ne doit pouvoir avancer sans surmonter la relation de méfiance/défiance entre le public et le privé. Nous initions ainsi de nombreuses consultations et concertations publiques, de workshops participatifs, de tables rondes avec comme finalité : produire des feuilles de routes opérationnelles. Depuis 2012, nous avons publié près d’une vingtaine de Livres Blancs, de Reflexion & Discussion Paper et d’études stratégiques.