Les retombées de la crise sanitaire, notamment les pertes d’emploi, ne sont pas sans conséquence sur l’accès au soins et aux médicaments et par ricochet sur la santé des Marocains. Comment l’industrie pharmaceutique se porte-t-elle ? Quid des ruptures de stocks ? Quel avenir pour la production nationale ? Le point avec le Président de l’AMIP, Ali Sedrati.
Sans doute, la crise sanitaire a impacté tous les secteurs d’activité. Certains plus que d’autres certes, mais du moment que le pouvoir d’achat a baissé, la consommation a automatiquement reculé impactant ainsi tous les secteurs.
D’après les derniers chiffres du HCP, l’économie marocaine a perdu 581.000 postes d’emploi entre le troisième trimestre de 2019 et la même période de 2020. Ce qui veut dire que 581.000 Marocains n’ont plus de revenus et n’arrivent donc plus à subvenir à leurs besoins les plus élémentaires telles que les dépenses en santé.
Pis encore, la perte d’emploi équivaut à une perte de la couverture sanitaire (pour ceux qui en ont) non pas sans conséquence sur la santé des citoyens.
D’où la question : le secteur du médicament a-t-il été impacté par la crise du Covid ? Certains parlent d’une baisse de la consommation des médicaments en raison de cette crise sociale engendrée par la Covid. Il est vrai que durant le confinement et en raison de la pandémie, les malades ont fui les médecins et les hôpitaux par peur de contracter ce maudit virus. Et par conséquent, hormis les médicaments liés au Covid, les autres ont vu, selon certains professionnels, leurs ventes chuter.
Une information que nous avons vérifiée avec Ali Sedrati, président de l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique (AMIP) qui nous a affirmés qu’en réalité on ne peut pas parler de baisse ou de hausse dans la mesure où le Maroc est déjà au minimum de consommation nationale. « Du coup, même s’il y a des variations en baisse ou en hausse l’impact n’est pas significatif et donc pas très important », a-t-il précisé.
Une consommation annuelle par habitant en deçà des attentes
Faut-il rappeler une réalité notamment celle de la faible consommation annuelle du médicament par Marocain qui est de seulement 450 DH alors que chez nos voisons notamment l’Algérie, elle est à environ 800 DH/habitant/an et en Tunisie à 700 DH/habitant/an.
Le Maroc consomme donc à peine 1 Md d’euros de médicaments par an contre 35 Mds d’euros par la France (avec seulement le double de la population marocaine), 2 Mds d’euros par l’Algérie (2 fois notre consommation). Quant à la Tunisie, elle consomme 80% de ce que nous consommons avec seulement 11 millions d’habitants.
Une réalité que le gouvernement avait cherchée à corriger en baissant le prix de bon nombre de médicaments durant ces dernières années. Sauf que l’objectif escompté n’est pas atteint : la consommation des médicaments ne décolle pas et reste quasiment inchangée.
Chiffres à l’appui, depuis le début du confinement (soit début mars), les ventes ont augmenté d’environ 50% en raison des stocks que les Marocains ont faits craignant une pénurie. En est suivie une baisse de 50 à 60% entre avril et mai pour se stabiliser à partir du mois de mai. « La consommation à fin septembre reste au niveau habituel comparativement à l’année précédente. Même les gens qui ont perdu leur emploi et qui souffrent de maladies chroniques se sont débrouillées pour continuer à acheter leur médicament », précise Ali Sedrati.
Il faut dire que sans la généralisation de la couverture médicale, cette tendance ne risque pas de changer. En effet, aujourd’hui à peine 35 à 40% des Marocains ont accès aux médicaments dont la moitié paie de sa propre poche.
« Il est vrai que le secteur pharmaceutique ne subit pas de choc sévère mais il est en phase de régresser depuis ces 15 et 20 dernières années. Et pourtant le Maroc était le premier pays en Afrique et dans le monde arabe à avoir une industrie pharmaceutique, depuis les années 70, grâce à laquelle le pays arrivait à une consommation nationale de 80% en fabrication locale jusqu’aux années 90 », tient à rappeler Ali Sedrati.
Une régression dont l’impact sur la consommation de la fabrication locale n’est pas négligeable puisqu’elle est passée de 80% dans les années 90 à à peine 50% actuellement. Conséquences, une baisse des investissements dans ce domaine et une baisse de la création d’emplois conjugués à une consommation qui n’a malheureusement pas évolué.
Quid des ruptures de stock ?
Pour le Président de l’AMIP si le secteur résiste aujourd’hui c’est parce qu’il a couvert le minimum de consommation nécessaire pour le minimum de Marocains.
Mais dans ce cas comment expliquer les ruptures de stock de certains médicaments que l’on ne retrouve pas en pharmacie pour ne citer que le valium, le methotrexate, la vitamine C ou encore Zinaskin ?
Interpellé sur cette question le Président de l’AMIP nous a affirmés qu’il s’agit d’une activité industrielle où les ruptures de stock peuvent exister. Et pour cause, cette industrie dépend de beaucoup de paramètres notamment l’approvisionnement de matières premières et d’excipient de l’international, du fonctionnement des machines de production…
« En raison du Covid, il y a eu un premier incident relatif aux baisses d’approvisionnement importantes de matières premières à partir du blocage de la Chine et de l’Inde. Le deuxième incident est relatif au stock que les Marocains ont fait au-dessus de leur besoin pour les produits tels que la vitamine C, le zinc, l’azitromicine … ce qui explique les ruptures de ces produits. Or, dans cette activité industrielle, on ne peut pas produire au-delà de ce qui est permis », a souligné Ali Sedrati.
Il rappelle en l’occurrence que le secteur pharmaceutique est tenu, de par la loi, à assurer 3 mois de stock en médicaments finis. En ce qui concerne les matières premières, les articles de conditionnement et excipients, les industriels pharmaceutiques conscients des contraintes d’accès au marché ont suffisamment de stock de couverture.
« Pour les produits manquants notamment la vitamine C et le zinc, il ne s’agit pas de médicaments indispensables et vitaux dans le cas du Covid mais plutôt de confort et d’accompagnement. D’autant plus qu’il y a environ une quinzaine de produits concurrents qui sont disponibles en pharmacie », tient à préciser A. Sedrati.
Il rappelle en l’occurrence que les médicaments essentiels pour cette maladie qui sont l’hydroxychloroquine, des antibiotiques et certains corticoïdes sont disponibles et n’ont jamais été en rupture.
A noter que le Maroc enregistre actuellement environ une rupture d’environ une centaine de médicaments dont la majorité ont des concurrents sur le marché alors que la France, par exemple, elle est à 2.400 médicaments en rupture.
Aujourd’hui, les enjeux en matière d’accès au médicament et au développement de l’industrie pharmaceutique marocaine sont énormes.
« Nous avons un patrimoine pharmaceutique national important avec une cinquantaine d’usines, 11.000 pharmacies d’officine, plus de 60 grossistes, et nous avons une organisation dans ce domaine dont on ne peut qu’être fiers. Malheureusement, depuis ces dernières années cette industrie est en phase de reculer à cause de l’absence de mesures d’accompagnement réglementaires et administratives », dénonce le président de l’AMIP.
Il fait référence au processus de fixation des prix qui doit être révisé, l’adaptation de la bioéquivalence au même niveau des pays internationaux, l’accélération du développement du générique (seulement 40% de la consommation)…
Des investissements qui permettraient au Maroc de renouer avec les performances des années 90 en matière de consommation de production locale et d’attirer davantage d’investissement (nationaux et internationaux) dans ce secteur.
« Depuis le temps que nous réclamons la préférence nationale en matière de consommation de médicaments mais en vain. Ce qui est fabriqué localement doit être protégé au minimum à hauteur de 15%. Ce qui n’est pas le cas au Maroc contrairement à d’autres pays pour ne citer que l’Algérie, la Tunisie et la Jordanie », déplore A. Sedrati.
C’est dire que la crise du Covid a mis en évidence l’importance du secteur pharmaceutique pour non seulement garantir l’indépendance et la souveraineté d’un pays mais également pour sauver la vie de ses citoyens. Preuve en est, tous les regards sont aujourd’hui rivés sur le pays qui va pouvoir découvrir en premier le vaccin qui va sauver l’humanité.