L’année 2020 s’annonce tumultueuse pour le continent africain. En cause, deux chocs exogènes qui planent et risquent de mettre à mal la croissance économique des pays. Ludovic Subran, Chef Economiste, Directeur de la Recherche Economique du groupe Allianz, livre à l’occasion des Africa Talks Mazars ses pronostics.
EcoActu.ma : Comment s’annonce 2020 pour l’Afrique et quel est votre scénario de croissance ?
Ludovic Subran : L’année 2020 s’annonce compliquée pour l’Afrique parce qu’elle va être soumise à deux chocs d’incertitudes. Le premier concerne le coronavirus parce qu’il va entraîner une baisse de la croissance en Chine et en Europe. Le deuxième est relatif aux élections américaines qui vont se traduire par de la volatilité sur les conditions monétaires et financières. Pour l’Afrique, nous tablons sur une croissance au-dessous de 2% avec certains gros pays notamment l’Afrique du Sud qui vont croître à zéro et les pays exportateurs de matières premières qui vont être particulièrement affectés par le faible prix du baril de pétrole au-dessous de 50 dollars. C’est pour dire que nous avons une année compliquée avec des vents contraires qui soufflent. Mais cela n’empêche pas de dire qu’il y a beaucoup de potentiel.
Derrière ces chocs exogènes, il y a du potentiel pour développer l’infrastructure dont la demande en Afrique est énorme soit 2000 Mds de dollars de besoins en infrastructures, des politiques publiques dans différents pays tels que le programme mis en place au Maroc pour aider les TPE, les programmes d’investissements massifs dans les routes en Côte d’Ivoire… Il y a par ailleurs des élections en Afrique. C’est une année mitigée où vont se poser un bon nombre de questions relatives à la coopération et à la collaboration entre les pays si jamais les chocs se manifestent. 2020 va également révéler les pays les moins endettés, les mieux financés… et les plus agiles.
L’insoutenabilité de la dette publique dans le Continent africain suscite des inquiétudes. Jusqu’à quel niveau, cela pourrait-il affecter la croissance inclusive dans le contexte que vous venez de décrire ?
Sur le continent, la dette publique a doublé passant de 30% à 60%. Cela pose un problème pour les pays qui ont une croissance molle de la soutenabilité de la dette parce qu’ils ont des frais à payer outre la croissance qui n’est pas au rendez-vous. Pour ces pays, la situation risque de se compliquer. Effectivement, actuellement les conditions monétaires sont favorables et l’endettement se fait à des taux faibles mais si les taux remontent, le problème de la soutenabilité va se poser. Pour les deux années qui viennent, on n’aura pas de vrai choc. Le seul choc qui peut survenir est celui de l’appréciation du dollar. Je ne suis pas pessimiste quant à la soutenabilité de la dette dans la mesure où tout est une question de modèle économique. D’aucuns considèrent que le risque est là et qu’il faut s’assoir autour d’une table pour effacer une partie de la dette. L’Afrique a connu cela pendant plusieurs années. Mais je ne pense pas qu’on soit à ce stade aujourd’hui.
Qu’en est-il pour le Maroc et quelle appréciation faites-vous du programme intégré d’appui et de financement des PME ?
Nous prévoyons un taux de 2% de croissance économique pour le Maroc en 2020 et je pense que le programme d’appui aux PME est un très bon programme. La vraie question serait l’accompagnement. Parce qu’il ne suffit pas de donner de crédits mais d’aider les entreprises à se développer. D’une manière générale sur les perspectives et sur les choix économiques, le Maroc doit libéraliser l’économie pour aider les forces vives, accompagner les entreprises à exporter, à investir et à grandir et en même temps à faire de la croissance inclusive et à s’assurer que le pouvoir d’achat de la classe moyenne est préservé et que la mobilité sociale est effective. Le Maroc doit faire des efforts pour l’entreprise sans oublier les ménages pour un partage de la valeur ajoutée.
Le pays a toujours eu un modèle de croissance hybride avec une volonté d’internationalisation, de vouloir être le Singapour de l’Afrique. Ce modèle va être la clé de voûte du succès marocain. Sa volonté d’être un champion de l’export est mise à mal avec la situation actuelle et c’est la l’enjeu de pouvoir rééquilibrer et s’assurer que la classe moyenne a le pouvoir de consommer les produits locaux.
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