Pays non riche, importateur de pétrole, une balance courante négative, le Maroc doit-il craindre une crise latente qui menacerait les pays émergents ? La réponse avec Uri Dadush, senior fellow d’OCP Center Policy.
« S’il est difficile de parler de crise, de fortes inquiétudes planent sur les perspectives de certains pays émergents », c’est ainsi que Uri Dadush, senior fellow d’OCP Center Policy, décrit l’atmosphère actuelle qui règne sur la scène économique mondiale lors de sa présentation « Les marchés émergents sont-ils en crise ». Ce qui atténue cette parenthèse actuelle c’est bien la forte expansion de la croissance mondiale et la forte progression de 5% du commerce international. Il cite également l’évolution des investissements notamment de l’OCDE qui croient de 4%. Aussi, l’envolée des prix du pétrole est une aubaine pour les pays émergents exportateurs, un peu moins pour les pays importateurs… ce sont là autant d’indicateurs de bonne santé de l’économie mondiale, mais la vigilance reste de mise pour les investisseurs qui observent de près les pays émergents et ce qui s’y passe. Notamment en Turquie et en Argentine. Cette dernière a un historique de croissance extrêmement variable, mais ce qui inquiète le plus le consultant est la dégradation de la confiance en ce pays. Et pour cause une mauvaise gestion et une perte de contrôle macroéconomique, avec des problèmes structurels très profonds qui réduisent le potentiel du pays. Les conséquences sont lourdes : Uri Dadush cite à titre d’exemple les exportations du pays qui participaient à hauteur de 24% du PIB, aujourd’hui, elles n’excèdent guère les 9%.
Si d’autres pays émergents ont vu leurs monnaies dévaluées en raison des tensions commerciales internationales, la monnaie argentine a chuté de moitié, pays qui a eu une très mauvaise gestion de sa politique de change, note l’expert. Le consultant évoque même un écoulement des investissements.
Pour Uri Dadush, malgré les efforts du gouvernement installé depuis 2 ans, la situation ne s’inverse pas. Lente consolidation fiscale, brutale augmentation de la dette, creusement de la balance courante… sont autant d’éléments qui contribuent à une véritable crise de confiance. Même avec l’intervention du FMI, avec à la clé 50 milliards de dollars de prêts, la confiance continue de se dégrader.
Autre pays émergent dans la tourmente, la Turquie. Un cas bien différent de l’Argentine avec une croissance plutôt saine qui a connu une reprise très importante avec une forte croissance des exportations et un secteur manufacturier qui se porte bien. D’ailleurs le pays affiche un taux de croissance de 7,4 %, même si le pays avait de par le passé un historique de volatilité de croissance. Mais, l’endettement du secteur privé turc notamment les banques en devises étrangères est un motif d’inquiétude pour le consultant. Couplé au coup militaire de 2016 et la répression qui s’en est suivie, cela n’est pas de nature à renforcer la confiance des investisseurs.
L’une des grandes inquiétudes émane également des taux d’intérêt, notamment des Etats Unis, mais à y voir de plus près, ce taux d’intérêt est de 2% rapporté aux 2% du taux d’inflation, on retombe à zéro. En Union européenne et au Japon, ce taux est de zéro. « Donc, je refuse l’argument qui veut que la hausse des taux d’intérêt soit un grand problème pour les pays émergents », martèle Uri Dadush.
Pas de crise mais la vigilance est de mise
Les turbulences que connaît le marché financier avec des sorties nettes d’investissements de portefeuilles étrangers des marchés émergents qui se sont accélérées en juin face à la persistance des tensions commerciales, à l’augmentation des coûts de financement et à la hausse du dollar… font planer le doute sur les pays émergents. Uri Dadush tempère néanmoins en assurant qu’il ne s’agit pas d’un écoulement du marché financier et ce qui arrive actuellement n’est pas un phénomène nouveau.
L’autre bonne nouvelle est que l’inflation est sous contrôle dans les pays industriels. « Pourquoi est-ce important pour les pays émergents ? Parce que si l’on a une inflation qui augmente fortement notamment dans les pays industriels, sur le plan monétaire, il faut s’attendre à une hausse des taux d’intérêts ! », précise l’intervenant.
Si Uri Dadush ne veut pas inquiéter outre mesure, il insiste qu’il faut rester préoccupé jusqu’à un certain point. Pour avoir des financements extérieurs, les pays émergents doivent maintenir la confiance des investisseurs. Des financements qui sont plus importants pour des pays comme le Maroc qui ne sont pas riches et qui doivent faire face à la hausse des prix du baril.
Mais dans l’ensemble, pour le Maroc comme pour d’autres pays, la croissance est saine dans la mesure où elle est portée par les exportations qui ont progressé de 7 % en 2017. Et l’autre élément de croissance est le maintien des investissements.
Pays non exportateur pétrole, dans un contexte de hausse du baril, pays endetté avec une balance courante négative de – 4%… mais le pays ne va pas nécessairement avoir un grand problème à en croire Uri Dadush. Certes vulnérable, à l’instar des autres pays de la région MENA, surtout avec la décélération de la croissance en Union européenne, client dont on dépend pour beaucoup, mais il a très peu de dettes à court terme et a un contrôle des capitaux et des comptes courants, ce qui rend le système du Maroc plus rigide mais plus stable. Pour le Maroc comme les autres pays de la région, le risque vient plus de l’économie réelle que de l’économie financière. Mais certains pays ont une ligne de liquidité avec le FMI pour faire face à tout choc extérieur, un élément qui rassure en ces temps de doute, comme laisse supposer le consultant.