Ecrit par Lamiae Boumahrou |
Le projet de loi 33-21 relatif aux droits des médecins étrangers à pratiquer au Maroc continue d’attiser la flamme entre la tutelle et le corps médical. Ce dernier compte aller jusqu’au bout pour faire réviser le projet de loi. Un texte qui selon certains aurait été conçu pour pallier l’échec de la loi 131-13 dans le volet relatif à l’ouverture de l’investissement aux non-médecins.
Avec la généralisation de l’assurance maladie obligatoire, le système de santé marocain devra se préparer à accueillir 22 millions de Marocains supplémentaires d’ici 2 ans, soit fin 2022. Un chantier important certes, tant attendu pas les Marocains, mais qui prend au dépourvu un système de santé très fragilisé souffrant de plusieurs maux.
Des dysfonctionnements qu’il traine depuis des années et qu’il ne pourra malheureusement pas surpasser en un laps de temps aussi réduit. Et pourtant pour réussir ce chantier stratégique, il n’est pas seulement question d’assurer un accès équitable à l’AMO pour tous les Marocains mais de leur garantir des soins de qualité.
Et c’est là où le bât blesse. Manque d’infrastructures, déficit des moyens humains, tarification non adaptée… autant de réformes à mettre en place parallèlement au chantier pour relever ce défi ô combien important pour tous les Marocains.
Il est plus qu’évident que dans l’état actuel, l’arrivée de 22 millions nouveaux bénéficiaires mettra davantage le système de santé sous pression. Sans parler du corps médical.
Pour pallier à l’une des défaillances du système, notamment celle du déficit en matière de ressources sanitaires, le ministère de la Santé a opté pour le chemin le plus court, selon le corps médical marocain, en ouvrant l’accès au secteur de santé marocain aux médecins étrangers.
Le projet de loi 33-21 approuvé par le Conseil de gouvernement le 27 mai continue donc d’attiser la flamme entre la tutelle et le corps médical qui dénonce un colmatage qui ne traitera pas le problème dans le fond, bien au contraire cette ouverture est susceptible de donner naissance à de nouveaux maux.
C’est pourquoi le corp médical du secteur privé s’est uni pour faire un blocage à ce projet de loi dans sa mouture actuelle.
Une montée au créneau du corps médical que certains ont qualifié de constitution de lobby pour protéger leur propre intérêt et préserver leur zone de confort. D’autres ont interprété certains amendements déposés par le corps à la Commission des affaires sociales à la Chambre des représentants comme étant des verrous du secteur privé pour conserver sa présence au niveau central notamment l’axe Rabat-Casablanca.
Référence faite à l’amendement de diriger de façon prioritaire le recrutement des étrangers vers le secteur public ou encore orienter les médecins étrangers vers les zones éloignées qui affichent un déficit important en ressources humaines.
Lire également : Exercice des médecins étrangers : les 7 verrous du secteur privé
Des accusations que le corps médical nie en bloc affirmant que la finalité principale de ce combat est la préservation de la santé des Marocains.
Pour éclairer leur position, le Syndicat National des Médecins Spécialistes du Secteur Privé, le Syndicat National des Médecins du Secteur libéral, le Syndicat National de Médecine Générale et l’Association Nationale des Cliniques Privées (ANCP), ont tenu une conférence de presse ce 22 juin.
Ils s’accordent à préciser qu’ils ne sont pas contre le principe d’ouvrir l’exercice de la médecine au Maroc aux médecins étrangers, mais à condition. Des garde-fous sont à mettre en place pour éviter, selon les professionnels marocains, de jouer avec la santé des Marocains.
« Cette ouverture si elle n’est pas bien encadrée, peut entrainer des dérapages non pas sans conséquences sur la santé des Marocains. D’autant plus qu’il faut orienter cette ouverture vers les zones où il y a un réel déficit et vers les spécialités dont le Maroc ne dispose pas », a précisé Dr. My Said Afif, président du Collège syndicat national des médecins spécialistes privés.
Même son de cloche du côté de la FNCP qui dénonce une loi « pas bien réfléchie » et qui ne va pas résoudre le problème du déficit du corps médical au Maroc. « Certes nous avons un déficit mais nous devons le combler avec des compétences médicales très hautement qualifiées et non pas avec des médecins bon marché », a déclaré Dr. Redouane Semlali, président de l’ANCP.
Loi 131-13/projet de loi 33-21 : y’a-t-il une relation de cause à effet ?
L’échec de la loi 131-13 relative à l’exercice de la médecine qui a ouvert l’investissement dans le secteur de la santé aux non médecins serait même à l’origine de cette loi. A en croire certains professionnels du secteur, les médecins n’ont pas suivi les porteurs de capitaux, ce qui explique l’échec de cette loi qui n’a pas atteint ses objectifs.
Selon le président de l’ANCP, en 2020 quelque 44 cliniques ont été ouvertes dont une seule appartenant à des investisseurs non-médecins. L’adoption de la loi 33-21 aurait donc était conçue pour dépasser le blocage et permettre aux investisseurs non-médecins d’investir dans ce domaine en faisant appel à des médecins étrangers.
Une hypothèse qui divise les professionnels de la santé entre ceux qui y croient dur comme fer et ceux qui estiment que les deux problématiques n’ont rien à voir en commun.
Ce qui est certain c’est que le chantier de la généralisation de l’AMO arrive à grand pas et le ministère de la Santé doit trouver des alternatives en urgence. Autrement, le chantier de la généralisation sera vidé de son sens.