Dans la première partie de notre interview sur le nouveau modèle de développement avec l’économiste Omar Bakkou, nous avons traité deux questions fondamentales que le grand public se pose à savoir sa raison d’être et ses objectifs.
Dans cette deuxième partie, nous revenons avec lui sur une autre question non moins importante que certaines analystes avaient soulevée à l’égard de ce projet.
Cette question est la suivante : Avions-nous un ancien modèle de développement pour qu’on puisse espérer implanter un nouveau modèle ?
Plusieurs économistes considèrent que le NMD constitue « une fuite en avant conceptuelle », cela sur la base de l’idée que la mise en place d’un nouveau modèle suppose l’existence d’un ancien modèle. Etes-vous du même avis ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord définir ce qu’est un modèle de développement.
Qu’est- ce qu’un modèle de développement alors ?
A mon avis, un modèle de développement peut être défini comme un grand puzzle constitué de quatre grandes composantes.
Ces composantes sont les suivantes : celle économique, celle sociale, celle institutionnelle et celle relative au système de valeurs.
Vous avez employé le mot puzzle, cela signifie qu’on ne peut définir un modèle de développement qu’après avoir défini chacune de ces pièces ?
Absolument, comme pour le jeu de puzzle, l’image d’un modèle de développement ne peut ressortir qu’après l’identification et l’assemblage de ses composantes.
Quelle serait alors la définition de la composante économique ?
Un modèle économique peut être identifié à travers deux éléments : ses objectifs et les modalités de mise en œuvre desdits objectifs.
La distinction des modèles économiques selon les objectifs permet de les différencier en théorie en deux principaux types de grands modèles : ceux capitalistes et ceux socialistes.
Qu’est-ce qu’un modèle capitaliste ?
Les modèles capitalistes peuvent être définis grossièrement comme ceux ayant pour objectif la réalisation d’une production maximale de valeurs d’essence marchande (nourriture, vêtement, transport, loisirs, éducation, santé, etc.).
Cet objectif se réalise, dans ces modèles, à travers un mécanisme dominant, le marché.
Ce mécanisme signifie la liberté de l’offre, de la demande et des prix.
La liberté de l’offre signifie la liberté d’accès de plusieurs opérateurs privés, nationaux ou étrangers, aux différents secteurs de production de valeurs marchandes.
S’agissant de la liberté de la demande, elle signifie la liberté des citoyens d’acheter les valeurs marchandes qui leur plaisent, d’origine nationale ou étrangère.
Quant à la liberté des prix, elle signifie que ces derniers se déterminent par le jeu de la libre négociation entre les offreurs et les demandeurs.
Quid des modèles socialistes ?
Les modèles socialistes sont ceux ayant pour principal objectif la répartition égalitaire des valeurs marchandes.
Ces modèles peuvent être toutefois différenciés selon les modalités empruntées pour la mise en œuvre de cet objectif.
Ces modalités peuvent être scindées en deux catégories d’instrument : « l’abolition du marché » ou le « le maintien du marché ».
Modèle socialiste fondé sur l’abolition du marché, qu’est-ce que cela signifie au juste ?
L’abolition du mécanisme de marché est le modèle adopté par les pays de l’ex-Union soviétique.
Il s’agit d’un modèle qui consiste à interdire la liberté de l’offre, de la demande et des prix.
L’interdiction de la liberté de l’offre signifie l’abolition de l’initiative privée et de la propriété privée des moyens de production.
Cela a pour corollaire la monopolisation par l’Etat de la quasi-totalité des secteurs de production de valeurs marchandes.
S’agissant de l’abolition de la liberté de la demande, elle signifie que les biens et services consommables sont décidés d’une manière bureaucratique par l’Etat.
Quant à l’abolition de la liberté de fixation des prix, elle signifie que l’Etat offreur et demandeur n’a pas besoin de l’information véhiculée à travers les prix.
Ces derniers ont une fonction purement comptable et n’expriment par conséquent pas la rareté pouvant exister dans un marché donné.
Ce modèle avait pour ambition de couper à la source les facteurs d’inégalités de revenus.
Ces facteurs dépendent pour rappel de la liberté de l’offre qui permet aux détenteurs du capital matériel (les machines) et immatériel (le savoir-faire) de générer des revenus plus importants que ceux dépourvus de ce capital.
Cette ambition de constitution d’un système de répartition égalitaire des richesses s’est transformée, à l’aune des réalités, en « un système de répartition égalitaire de la pénurie » , et ce, comme l’avait à juste titre qualifié l’ex premier ministre du Royaume-Uni ,Winston Churchill.
Quid du modèle socialiste fondé sur le « le maintien du marché » ?
Il s’agit de régimes qui poursuivent le même idéal de répartition égalitaire des richesses, mais qui s’appuient sur le marché en tant que mécanisme de production de valeurs marchandes.
Ce mécanisme est accompagné, en parallèle, par des instruments redistribution des richesses (sécurité sociale, fiscalité, convention collective entre patronats et syndicats).
Ces modèles adoptés par certains pays, tels l’Autriche et les pays scandinaves sont aujourd’hui les meilleurs en termes d’indicateurs de bien-être de la population.
Et le modèle marocain, ou est ce qu’on pourrait le situer parmi ces modèles ?
Si on opère une « observation macroscopique » de l’évolution de l’économie marocaine, de l’indépendance jusqu’à aujourd’hui, on peut considérer que le Maroc est passé par deux principales phases.
La première phase s’étale de l’indépendance jusqu’à 1983, année de l’adoption du programme d’ajustement structurel.
Cette phase se caractérise par l’adoption d’un modèle proche de ceux socialistes.
Quant à la deuxième phase, elle s’étale de 1983 à aujourd’hui.
Cette phase se caractérise par l’adoption d’un modèle proche de ceux capitalistes.
Pourriez-vous nous parler davantage de cette première phase ?
Oui effectivement, on peut considérer que le modèle économique adopté par le Maroc durant cette phase était un modèle proche de ceux socialistes de marché.
En effet, durant cette phase, les principaux secteurs de l’économie étaient gérés directement par l’Etat .
Cette gestion était opérée à travers les instruments suivants : monopole des entreprises publiques dans les secteurs importants, absence de la concurrence notamment celle émanant du marché étranger et fixation des prix par l’Etat.
Quid de la deuxième phase ?
On peut considérer que le modèle économique adopté par le Maroc durant cette deuxième phase était un modèle proche de ceux capitalistes.
En effet, le Maroc a initié durant cette phase, plus exactement en 1983 avec l’avènement du Programme d’Ajustement Structurel lancé en 1983, un ensemble de mesures libérales de marché.
Ces mesures consistent dans la privatisation des entreprises publiques, l’amélioration de la concurrentialité de plusieurs secteurs économiques, la libéralisation des importations, libéralisation des prix, etc.
Ces mesures visaient à réduire la gestion directe par l’Etat des différents secteurs de l’économie en faveur d’une gestion par les mécanismes de marché .
Lire également : NMD : le quoi et le pourquoi avec Omar Bakkou (1ère partie du Guide )