Vigeo Eiris, qui vient d’actualiser son rating des risques de responsabilité sociale des entreprises cotées à Casablanca, a été absorbée le 15 avril dernier par l’américain Moody’s, deuxième grand mondial du rating. Créée en France, Vigeo avait racheté l’agence belge Ethibel, l’italienne Avanzi, puis l’anglaise Eiris. Elle était la dernière agence européenne indépendante spécialisée dans la notation des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cette évolution pose la question du statut futur des dimensions sociales, écologiques et territoriales dans la fixation des coûts d’assurance et d’accès au crédit et aux capitaux pour les entreprises, notamment dans les pays en développement. Et surtout pose la question de la pertinence de créer une agence marocaine de notation ?
Le passage de Vigeo Eiris sous pavillon américain signe le leadership américain sur le marché de l’analyse des risques. Faut-il y voir le triomphe de l’approche purement financière et de court terme des risques RSE ? L’analyse de Vigeo Eiris sera-t-elle abandonnée alors qu’elle s’était imposée comme une référence en valorisant comme des facteurs de risques matériels des sujets longtemps ignorés par la finance comme les droits humains et sociaux, l’éthique des affaires, ou la protection de l’environnement ? Fouad Benseddik, directeur des méthodes et fondateur de Vigeo aux côtés de Nicole Notat, se veut rassurant : « Les dirigeants mondiaux de Moody’s sont convaincus de l’importance des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance ; le marché a besoin de la double notation, celle du risque crédit que Moody’s a inventée depuis le milieu du 19ème siècle et la notation du risque de durabilité que Vigeo Eiris a fait grandir au cours des 15 dernières années ». Moody’s apportera à Vigeo Eiris, la puissance d’un géant de l’analyse des risques. L’agence américaine a pris soin de rassurer sur ses intentions : Vigeo Eiris reste basée en France et sa méthode restera autonome. Sa succursale marocaine, créée en 2004, compte déjà près de 100 analystes.
Cette alliance illustre en tout cas le changement de regard des analystes, des investisseurs et des banques sur les risques environnementaux, sociaux, éthiques et de gouvernance. Le mouvement concerne aussi les banques centrales qui ont, elles aussi, adopté des engagements forts en faveur de la durabilité. La banque européenne d’investissement va pour sa part devenir la banque de financement des projets pour le climat.
Quid du Maroc ? Il faut signaler que Bank Al Maghrib a adopté sa charte de responsabilité sociale en 2018. Que ce soit pour accéder aux capitaux et au crédit, ou pour éviter d’être reléguées par la concurrence, pour éviter les campagnes de boycott ou les poursuites judiciaires ou pour attirer les talents, les entreprises ont pris conscience de l’impératif de rendre compte de la maîtrise de leurs risques et leurs performances de responsabilité sociale face à un public marocain conscient de son poids et de son pouvoir.
L’intégration euro-méditerranéenne et euro-africaine renforcera le besoin de notation des risques crédit et des risques de durabilité dans une région encore peu familiarisée avec ce type d’analyse. Pour le Maroc, qui ambitionne de devenir un hub financier, la présence d’une plateforme de notation portée par la filiale d’une enseigne comme Moody’s est un atout. Mais, faudrait-il dans ce contexte que le pays développe son agence de notation, avec son référentiel propre et une vocation africaine ? « Ce n’est pas la nationalité des actionnaires d’une agence de rating qui garantit la valeur de ses opinions », rétorque Fouad Benseddik, « mais la rigueur de ses méthodes et son indépendance. Il ne faut surtout pas succomber au culturalisme dans l’analyse des risques de durabilité, ils concernent des sujets universels, encadrés par des normes internationales ».
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