Interviewé par Lamiae Boumahrou |
2ème locomotive économique du pays, la région Tanger-Tétouane-Al Hoceima regorge de potentialité et d’attractivité. Toutefois plusieurs défis restent à relever sur le plan social et économique mais aussi pour garantir plus d’équité territoriale. Omar Moro nouveau président de la région Tanger-Tétouane-Al Hoceima nous livre son modus operandi pour hisser la région au rang des grandes métropoles mondiales.
EcoActu.ma : Après une expérience de plusieurs années à la tête de la Chambre de commerce de Tanger, vous présidez aujourd’hui la région Tanger- Tétouane-Al Hoceima la 2ème locomotive économique du pays. Quelles sont vos priorités pour hisser cette région qui regorge de potentialités au rang des métropoles internationales ?
Omar Moro : Vous avez bien fait de le souligner. C’est vrai, nous avons eu cet honneur, depuis 2015, d’accompagner le passage des chambres de commerce, d’industrie et de service de l’échelle provinciale à celui des 12 régions, dans le cadre du grand projet de la régionalisation avancée, orchestré et mené par SM le roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste.
Cette riche expérience nous a permis, entre autres, de mieux connaître la région à laquelle nous appartenons et que nous aimons. Elle a permis aussi de mieux connaître les atouts, les faiblesses, les opportunités et les menaces auxquels est confrontée la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Elle nous a donné aussi l’occasion de traiter et de composer avec les autres parties prenantes qui contribuent à la création de la richesse dans cette région.
Comme vous le savez, la région TTA représente plus de 10 % de la population marocaine. Elle pèse aussi un peu plus de 10 % du PNB national. C’est aussi une région très diverse et variée, sur tous les niveaux naturels, culturels et économiques. Elle est très riche par son histoire et son patrimoine. C’est aussi un modèle et une fierté nationale, pour ce qui est de l’intégration dans l’économie mondiale.
Notre volonté est grande pour hisser l’ensemble de la région, et non seulement la ville de Tanger, au niveau des régions mondiales. Nous comptons pour cela sur notre expérience, au sein de la CCISTTA, sur les atouts et les vocations territoriales et sur l’ensemble des parties prenantes : services déconcentrés, collectivités territoriales, secteur privé, secteur de la formation et de la recherche scientifique, les associations …
Nous devons travailler tous, mains dans la main, pour créer des synergies capables de perdurer la compétitivité et l’attractivité de notre territoire envers les capitaux, la technologie et le savoir.
La région TTA avait adopté en janvier 2021, soit avant votre nomination, le Schéma régional d’aménagement du territoire (SRAT) 2021-2046 ainsi que le contrat-programme avec l’État pour la mise en œuvre des projets prioritaires. Quel sera votre modus operandi pour l’exécution de ces programmes ?
Notre pays, sous la gouvernance de SM le Roi, s’est bien doté en documents et en référentiels de développement. Depuis 2004 déjà, nous disposons d’un Schéma National d’Aménagement de Territoire (SNAT) qui a donné l’architecture des grands projets nationaux en matière d’infrastructures et des grands équipements. Ceux-là mêmes qui ont permis à notre pays d’améliorer sa compétitivité et son attractivité à l’échelle internationale.
Le SRAT de la région TTA, qui a été approuvé par le conseil précédent en janvier 2021, représente le référentiel régional en matière de développement et d’investissement. Ce sont au total 376 projets qui ont été proposés par ce document pour un investissement total de 291,6 Mds de DH, sur l’ensemble de la période allant de 2021-2045.
Nous comptons nous servir de cette base de projets pour l’élaboration de notre propre Plan de Développement Régional (PDR) pour la période 2022-2027. Les choix vont se faire dans le cadre de la concertation, de la gouvernance et de la convergence, selon les priorités régionales et nationales, en accord avec les recommandations du rapport du nouveau modèle de développement et en harmonie avec la politique gouvernementale en matière de la création de l’emploi, de la couverture sociale, du bien-être social, de la promotion des territoires …
L’un des défis sur lequel vous êtes attendus est celui de la gouvernance territoriale. Comment comptez-vous veiller au respect du principe de l’équité territoriale et à la réduction des disparités ?
C’est vrai, je peux même dire qu’il ne peut y avoir d’équité sociale que si l’équité spatiale est réalisée. Je suis, même, convaincu que le coût, à long terme, des disparités spéciales/sociales est beaucoup plus consistant que celui de la réalisation de l’équité, à travers la réduction des disparités.
Seule la démocratisation des équipements sociaux, des infrastructures, des opportunités d’investissements, de l’accès aux soins, de l’enseignement, de l’emploi, du bien-être social…, est en mesure de fixer les populations dans leurs territoires, pour créer les jalons de développement inclusif et durable. C’est aussi la seule façon réaliste pour arrêter le poids qui commence d’ores et déjà à se faire sentir sur les deux grandes métropoles de la région (grande Tanger et grande Tétouan).
L’équité sociale, dans ce sens, arrête le processus de contre compétitivité dans ces grandes métropoles (congestion, pollution, criminalité, précarité …) et créé des environnements propices pour le reploiement et la délocalisation des activités qui deviennent avec le temps non-compétitive dans ces deux premiers chefs-lieux.
Qu’en est-il de l’investissement, comment envisagez-vous renforcer l’attractivité de la région pour attirer davantage d’investisseurs toute en respectant la vocation de chaque province ?
Vous savez très bien que la compétitivité et l’attractivité des territoires changent avec le temps et avec l’évolution technique. La vocation territoriale change aussi, à son tour, avec le changement du contexte économique, géostratégique, culturel… Avec le COVID-19, et les conséquences qu’il a imposées, plusieurs secteurs et territoires ont perdu, subitement, leur attractivité et leurs avantages compétitifs au profit d’autres régions plus inventives et plus créatives.
« Le premier forum sur l’investissement, l’emploi et la formation » organisé par le conseil de la région TTA, le 24 novembre 2021, a discuté de l’ensemble des questions relatives à cette problématique et il a préconisé, parmi d’autres, la création d’un observatoire régional de veille stratégique et d’intelligence territoriale et sectorielle. Cet observatoire aura pour vocation d’anticiper et de guider les politiques publiques, dans lesquelles la région sera impliquée, en vue de saisir les occasions et d’éviter les menaces qui pourront peser sur notre économie régionale, par le changement stratégique, technologique, économique, géostratégique…
Il veillera aussi à renforcer les facteurs de localisation des investissements pour un développement durable et inclusif de tous les espaces de la région.
Parmi les projets phares de la région et plus précisément de Tanger, le projet de la cité Mohammed VI Tanger Tech. Qu’est-ce qui reste à faire pour finaliser ce projet ?
L’exemple que vous avez cité est un bon projet qui reflète un nouvel état d’esprit du leadership régional, aujourd’hui. C’est à la fois un modèle et un symbole, dans le sens où la Région est en train de devenir un vrai catalyseur de développement territorial, par des associations gagnant-gagnant, et non simplement une simple caisse à financement. D’autres projets, du même type, vont bientôt voir le jour, comme le technopôle de Larache à titre d’exemple, qui va instaurer un vrai développement durable et inclusif dans l’ensemble de la région du Loukous et forgera ainsi, une image de marque supplémentaire à notre région.
Pour ce qui est de la nouvelle ville, l’institution régionale s’est associée aux autres parties prenantes du secteur privé (national et international) et du secteur public pour investir durablement dans le territoire, en vue de créer un nouvel écosystème, en mesure de forger de nouvelles spécialisations économiques pour se positionner dans l’économie du savoir par le transfert de la technologie, des capitaux et du savoir.
Ce projet sera intrinsèquement lié aux autres projets dans lesquelles notre région est impliquée : la cité des métiers et des compétences, le complexe industrialo- portuaire Tanger-Med, le complexe commercial de Fnidaq, l’acropole de Larache …
Le projet est sur la bonne voie, que ce soit sur le volet des infrastructures que de la promotion.
Dans le cadre du processus de mise en œuvre de la régionalisation avancée, pensez-vous que vous avez le pouvoir nécessaire pour exercer le rôle qui vous est octroyé par la loi organique n°111-14 relative aux régions ? Quels sont les verrous à faire sauter pour accélérer la mise en place de ce chantier stratégique ?
La région Tanger-Tétouan Al Hoceima compte bien accomplir pleinement le rôle que lui a attribué la constitution de 2011 et la loi organique 111-14, auxquelles vous faites allusion, pour devenir la locomotive incontournable du développement territorial, économique et social.
Beaucoup de chemin a été parcouru sur la voie de la promulgation des lois relatives à la régionalisation avancée. L’actuel gouvernement a affirmé, à maintes reprises, sa volonté d’accélérer le processus de la régionalisation. Nous sommes très confiants. Nous sommes aussi convaincus que ce chantier arrivera bientôt à son terme, avec le nouveau processus envisagé, de transfert de compétences de l’État vers les régions. Nous avons eu récemment (12 présidents des régions) une réunion avec le ministre de l’intérieur, pour débattre de la nature que prendront ces transferts qui renforceront nos capacités. Je peux vous assurer que beaucoup de bons signes nous ont été donnés, lors de cette réunion et on attend avec impatience leur concrétisation.
Je crois personnellement que la classe politique locale et régionale a beaucoup mûri, pendant ces années de pratique de démocratie locale, dans ce qui est de la gestion et de la gouvernance. De ce fait, je crois qu’il est temps de lui donner plus de marge et d’autonomie, pour concevoir, avec sa population, les projets et lui donner la possibilité de les mener à terme à travers les moyens humains et financiers qui s’imposent.
Le fait que toutes les régions soient gérées aujourd’hui par les mêmes partis, qui composent le gouvernement, joue en faveur de régions disposant de vrais pouvoirs et accomplissant à fond leur rôle constitutionnel.
Bras exécutif des régions, l’Agence régionale d’exécution des projets (AREP) de la région TTA ne joue pas pleinement le rôle qui lui incombe. Quels sont les freins qui entravent son fonctionnement ? Et comment comptez-vous y remédier ?
Le meilleur indicateur pour évaluer une expérience est celui de la réalisation des objectifs programmés. Si on se fie à ce critère, je crois que vous avez raison, concernant ce que vous avez avancé dans votre question.
Vous savez que l’AREP, dans son essence, est l’organe (exécutif) qui doit mener à terme la stratégie du conseil régional. Mais, si le conseil n’a pas de stratégie, on ne peut pas blâmer l’agence, par la suite, de ne pas réussir sa mission.
L’actuel conseil est très conscient de ce dilemme, c’est pourquoi il a pris le temps qu’il faut pour mieux comprendre le contexte, à travers des journées d’étude, des consultations, des concertations et en cherchant avec les partenaires (université, académie, chambres professionnelles, associations professionnelles, secteur privé régional) des objectifs réalistes et réalisables, que l’agence concrétisera dans des programmes et des projets concrets.
Le prochain PDR sera plus pragmatique et plus réaliste, par ce qu’il sera conçu dans le cadre de la gouvernance, de la convergence et de la proximité. De cette façon, on aura la garantie que ses projets seront réalisables et auront l’impact souhaité sur les deux plans économique et social. Nous avons déjà commencé des campagnes de formation au profit des élus et des fonctionnaires, en matière de réalisation de ce document, pour disposer de décideurs savants et intelligents.
On a aussi commencé à élaborer des termes de références plus précises et plus claires, pour baliser le travail des équipes qui vont élaborer ce document. Nous comptons aussi nous rendre, très prochainement, dans les provinces qui composent notre région pour voir comment combiner et intégrer leurs projets à ceux de la région.