Professeur Khalid Aït Taleb, l’homme à abattre ? En tout cas le ministre de la Santé, sans appartenance politique, fait l’objet depuis plusieurs semaines de critiques très virulentes (orchestrées ou à raison ?). A-t-il failli à sa mission dans la gestion de la pandémie du Coronavirus ou bien est-il la victime collatérale d’une querelle « fratricide » au sein de l’Exécutif ?
Six heures, c’est le temps qu’a duré la réunion de la commission des secteurs sociaux organisée le 17 septembre, en présence du ministre de la Santé, Pf Khalid Aït Taleb, pour discuter de la gestion de la crise sanitaire du Coronavirus. Un moment de débat départi de toute langue de bois pendant lequel les députés se sont « lâchés » !
Une séance très attendue en raison de la faible interaction dudit ministère aussi bien avec les médias qu’avec les représentants de la nation qui s’inquiètent de la recrudescence du nombre de nouveaux cas et de la hausse tragique du nombre des victimes du Coronavirus.
L’échafaud était donc dressé avant même que le ministre n’ait encore eu droit à la parole. Il faut croire que les récents développements inquiétants de la situation épidémiologique y sont pour beaucoup. Mais un autre sujet avait chauffé l’opinion publique à blanc, celui du marché public des tests sérologiques passé dès que l’OMS avait déclaré le Coronavirus pandémie mondiale.
Un sujet dont la presse a fait largement l’écho et qui était entouré de plusieurs zones d’ombre, notamment si ce marché avait été mené dans la transparence et la rigueur nécessaires, et le ministre était appelé à élucider. Mais également un sujet qui divisait visiblement les députés, certains laissant entendre qu’il s’agissait d’une chasse à l’homme sous couvert puisque d’autres instances comme l’inspection générale des finances ou la cour des comptes étaient plus habilitées à contrôler ce genre de question. Le parlement étant là pour contrôler l’action politique de l’exécutif.
Ce qui explique d’ailleurs que les débats étaient assez houleux parsemés de joutes entre députés, notamment Abdellatif Benyakoub du Groupe Parlementaire du PJD et Addi Bouarfa du Groupe parlementaire du PAM et secrétaire général de la CDT.
Egalement à l’ordre du jour, la gestion des ressources humaines au sein du ministère et la vague de démissions de leurs fonctions de nombre de responsables de santé. Et enfin, la grogne du corps soignant en attente d’une révision de l’indemnisation sur les risques professionnels et d’une amélioration des conditions de travail dans un contexte risqué en raison de la pandémie. Une fronde dont la tête de pont est la Fédération nationale de la Santé (relevant de l’UNMT pro-PJD).
Venons-en aux faits…
Il faut d’emblée souligner que beaucoup d’éléments jouent en la défaveur de Khalid Aït Taleb. Il est nommé ministre en octobre dernier à la surprise générale puisque ce portefeuille est convoité par toutes les formations politiques. Sans appartenance politique pour assurer ses arrières, Khalid Aït Taleb était certainement loin de se douter que le pire était devant lui. En moins de 5 mois à la tête du ministère de la Santé, il est face à une pandémie planétaire qui prend de vitesse tous les pays même ceux qui ont les systèmes de santé les plus performants. Que dire avec un écosystème de soins aussi vulnérable (et encore c’est un euphémisme) que le nôtre ?
Depuis, le ministère est sous les projecteurs et toutes ses décisions sont épiées par l’ensemble de la population en panique face au Coronavirus. Et c’est pratiquement dans cette période (avril) que le ministère passe un marché pour acquérir des tests de sérologie.
Ce marché fera couler beaucoup d’encre aussi bien pour les conditions de passation, la société adjudicataire, le coût du marché et la date de péremption de ces tests.
D’ailleurs, la quasi majorité des questions des députés ce 17 septembre soulève une zone d’ombre qui a accompagné ce marché, bien que deux ou trois députés ne comprenaient pas l’acharnement de leurs collègues sur cette question précise, sachant que le ministère a, des années durant, passé des marchés sans que personne ne s’y intéresse. Le député du PPS va encore plus loin en avançant que 90% des marchés publics des collectivités locales connaitraient des irrégularités sans que personne ne trouve rien à redire. Il appelle même à revoir le cadre réglementaire qui régit les marchés publics dans son ensemble pour couper court à des pratiques douteuses.
Khalid Aït Taleb présente ses comptes et ouvre une brèche dans les rangs des députés
Imperturbable, Khalid Aït Taleb est resté de marbre face à la déferlante parlementaire, particulièrement du PAM et de l’USFP, dont la députée Ibtissam Merras n’y est pas allée de main morte.
Le ministre a d’abord rappelé que depuis l’état d’urgence sanitaire, et afin de simplifier les procédures d’achat des médicaments et d’équipement, les marchés passés sont soumis aux dispositions du décret n°2.20.270 publié dans le bulletin officiel en date du 16 mars relatif aux procédures d’exécution des dépenses.
Pour le cas qui intéressait tellement les députés, le ministre assure avoir reçu deux offres en avril dernier et qu’une commission technique s’est penchée sur les dossiers des deux sociétés avant de choisir celle qui offrait les meilleurs résultats et qui soit en conformité avec les normes internationales (américaines FDA et européennes SCE) adoptées par le Maroc.
Par ailleurs, le ministre décrit le contexte de l’époque marqué par une course contre la montre (et contre d’autres pays en quête de tests sérologiques) dans un contexte exceptionnel qui ne tolère pas de passer un marché dans les conditions habituelles ce qui retarderait l’acquisition de ces tests.
Le ministre a par ailleurs détaillé les 1,9 Md de DH d’équipements et de médicaments (faisant l’objet de 247 marchés passés avec 98 sociétés dont une trentaine qui conclut pour la première fois un marché avec le ministère) acquis dans le cadre de la gestion de crise et a assuré qu’il était prêt à une déclaration de patrimoine après la crise, répondant ainsi indirectement à ceux qui le pointent du doigt.
Par ailleurs, il explique le changement majeur qui s’opère au niveau du ministère à travers les marchés négociés qui permettent au ministère un gain de 20% des ressources puisqu’il n’achète que ce qu’il consomme contrairement à ce qui se faisait précédemment.
Dans ce sillage, le député Hicham El Mhajri appelle le ministre à creuser dans les marchés antérieurs à son mandat, le secteur de la santé étant considéré comme une vache à lait pour les lobbys « qui sont plus forts que vous et moi », lance-t-il.
Quant à la pertinence de lancer un marché pour les tests sérologiques autant dire que le ministre était sur son terrain de chasse, de par son parcours professionnel, puisque il avance l’importance des tests sérologiques pour le ciblage avant de décider de faire ou pas le test PCR.
De même pour mesurer la séroprévalence pour juger de la pertinence d’une vaccination… de quoi perdre son latin lorsqu’on n’est pas du domaine.
Epinglé sur la date de péremption des tests, le ministre souligne que la première commande de 100.000 tests a été entièrement utilisée avant sa péremption en août dernier alors que la deuxième commande de 900.000 tests n’expire qu’en avril 2021.
Et si ce marché n’avait pas été passé ? Le ministre renvoie la question aux députés pour défendre la pertinence de la décision prise par le ministère avec la commission scientifique qui a évité au pays le fameux scénario catastrophe de 6.000 nouveaux cas et 200 décès par jour, soutient-il.
Durant cette réunion marathonienne, le ministre a pu compter sur une aide inattendue d’Addi Bouarfa qui a clashé nombre de députés au passage.
En effet, A. Bouarfa qui a précisé qu’il s’exprimait en son nom et non pas au nom du parti qu’il représente, s’est étonné que des députés de la majorité s’en prennent aussi sèchement au ministre de la santé qui ne fait qu’appliquer une politique de gouvernement discutée et votée.
Le député qui lâchera des perles croustillantes et qui connaît très bien le secteur de la santé rappelle qu’Aït Taleb a fait face dès sa nomination à des blocages pour constituer sa propre équipe.
Le député laisse au passage entendre que le ministre est otage de calculs politiciens qui convoitent certains postes de responsabilité.
Un autre député, Dr Mostapha Chennaoui du PSU bat en brèche les accusations proférées contre le ministre d’avoir injustement révoqué des responsables du ministère. « Je trouve que ce n’est pas assez », fustige le député. Sur les 59 personnes qui auraient été démises de leurs fonctions, le ministre a expliqué que 14 personnes avaient formulé une demande pour quitter leurs postes, 5 personnes ont été réaffectées, 8 personnes ont rejoint l’INH et seules 29 personnes ont fait l’objet de sanction suite au rapport de l’inspection générale de la Santé.
Aussi, le député Chennaoui estime-il qu’au lieu de faire le procès à Aït Taleb, il faut cesser le double langage. « Je peux comprendre que des députés de l’opposition critiquent le travail d’un membre du gouvernement, qui ne fait qu’appliquer la politique du gouvernement, mais que la majorité critique le travail du gouvernement… », explique-t-il.
Le député estime que le pays récolte les fruits des politiques publiques menées depuis l’indépendance et souligne que même la Constitution de 2011 n’évoque pas le droit à la santé dans son article 31.
Il impute également la situation actuelle au gouvernement Benkirane qui a amorcé la privatisation du secteur de la santé alors que le CESE mettait en garde sur les conséquences fâcheuses d’une telle démarche.
Un secteur qui souffre de budget réduit et même si depuis la crise, le discours officiel érige la santé en priorité mais dans la LFR il n’en est rien.
Les indemnités du corps soignant dans le pipe
Tous les équipements du monde ne feront pas l’efficacité d’un système de soins sans ressources humaines en nombre, qualifiées et motivées. Depuis le début de la crise sanitaire, le corps soignant du public est sur le pied de guerre sans relâche. Près d’un millier de personnes de ce corps médical a contracté la maladie. Certains en ont perdu la vie.
Pour autant, l’indemnisation pour risques professionnels tarde à atterrir dans les comptes de ces soldats en blouse blanche ?
Interpellé sur le sujet, le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, a assuré que l’élaboration des indemnités exceptionnelles au profit de tous les professionnels du secteur pour leurs efforts déployés est actuellement en cours.
Ça ne suffit pas au corps médical qui multiplie les sit-in et c’est surtout contreproductif puisque ces femmes et hommes devront rester mobilisés pour longtemps encore.
Malgré ce contexte de crise, le ministère devra mettre les bouchées doubles pour poursuivre la mise en œuvre du programme d’efficacité de la performance du ministère 2020, particulièrement l’indemnité sur le rendement, la revalorisation des indemnités de permanence et la mise en place d’un programme national pour la santé et la sécurité dans les lieux de travail… et l’indemnité pour les professionnels qui servent dans les zones éloignées.
Le maintien de la fête du sacrifice, une erreur dont le gouvernement doit assumer les conséquences
Bien qu’il ne le reconnaisse pas mais implicitement, pour expliquer la recrudescence de la pandémie, le ministre de la Santé révèle que le mois d’août a enregistré à lui seul 60% des cas cumulés à ce jour, soit 37.077 contaminations. Depuis les foyers ont pris le relais pour atteindre à ce jour 1.121 foyers dont les plus difficiles ne sont pas les clusters professionnels mais bien familiaux difficiles à circonscrire.
Résultats des courses, une moyenne quotidienne de 2.000 nouveaux cas de coronavirus, une trentaine de décès et le risque de confinement si les choses ne s’améliorent pas.
Mais le maintien de la fête du sacrifice est une décision collégiale que tout le gouvernement doit assumer. D’autant que cette décision n’a pas été soumise à l’avis du parlement censé contrôler l’action de l’exécutif. Les députés ont d’ailleurs déplorés des prémices non démocratiques dans la gestion de la crise sanitaire.
Khalid Aït Taleb s’obstine à défendre des indicateurs inférieurs à la moyenne internationale notamment une létalité de 1,8 % contre 3,4% dans le monde et un taux de guérison de 79 % contre une moyenne mondiale de 72%.
Une réponse qui ne fait pas l’unanimité auprès des députés, particulièrement Saida Aït Bouali, qui a eu à déplorer sa mère et son beau-frère dans des conditions chaotiques à Marrakech qu’elle a décrit avec beaucoup d’émotion.
Des unités en ordre de bataille, un manque d’interlocuteurs, le numéro spécial saturé et surtout la tragédie des familles des victimes auxquelles l’hôpital a demandé de ramener les pains de glace pour éviter la décomposition des dépouilles.
Pis, bien que le ministre se targue aujourd’hui que de 2.000 tests nous sommes passés à 24.000 par jour et de 47 hôpitaux à 72 équipés pour accueillir les malades du Coronavirus avec 13.400 lits de réanimation dédiés, il n’a pas donné de réponse fiable au drame des malades chroniques qui ne peuvent plus accéder aux soins à cause de la pandémie. Une situation qui ne peut plus durer.
Aussi, le ministre est très attendu dans la suite des événements dans un contexte qui n’augure rien de bon : près de 3.000 nouveaux cas cette fin de semaine et une quarantaine de morts.
Au bout de six heures de débat, le ministre a été très cohérent dans ses réponses et reconnaît même qu’il y a des défaillances mais pas autant qu’on veuille le faire croire à l’opinion publique.
Aït Taleb est-t-il la victime d’une vendetta pour être sacrifié sur l’autel de la crise à l’approche des législatives de 2021 ou juste d’une crise sanitaire exceptionnelle qui dépasse l’entendement ?
La question demeure posée.
2 Commentaires
Le problème n’est pas le marché des tests serologiques, mais la pertinence d’acheter ces tests. Contrairement à ce qu’on voudrait faire croire aux députés et à l’opinion oublique, ces tests ne servent ni au diagnostic ni au depistage. Pour s’en assurer, il n’y a qu’à faire une petite recherche sur internet (sites des US CDC, santé publuque France, OMS, European CDC ….etc). Ces tests ont uniquement un interet de santé publique. Et dans ce cas, les besoins ne depasseraient pas (en étant tres indulgent) les 100.000 tests. C’est à dire que, sans accuser quiconque de quoi que ce soit, il y a eu, au mieux, de mauvais choix.
Incroyable qu’on agite la menace d’un reconfinement, alors qu’on reconnait que la contamination est incontrôlable et qu’on n’est plus aux clusters professionnels mais familiaux. D’autant plus qu’en bon professeur de médecine le ministre devrait être au courant du fait que si les maladies infectieuses respiratoires se multiplient durant la saison froide, c’est justement parce que les gens restent plus souvent en intérieur, ce qui favorise le contact rapproché, et la température en intérieur favorable au virus ainsi que le manque de soleil aidant, c’est ce qui devrait expliquer la recrudescence des cas, et rendre la pseudo-solution du confinement totalement absurde puisqu’elle encourage justement la diffusion du virus.
Et puis, à quoi a servi le 1er confinement qui a duré plus que de raison, si on en est là aujourd’hui ? preuve si besoin en est que c’est une erreur monumentale et non un moyen de lutter contre le virus. Rien que cela devrait remettre sérieusement en question la compétence de ce ministre.
Pour finir, il faut admettre en mettant sa fierté de marocain de côté, que ces erreurs ne sont que le reflet du suivisme du Maroc des politiques de la France. Ce pays là tout comme nombre de ces voisins ne sont en aucun cas des exemples à suivre en matière de lutte contre la pandémie, ils l’ont largement prouvé et continuent de la faire. Le seul cas où un confinement est efficace, justifié, c’est à la chinoise ou à la sud coréenne : Dès l’apparition des 1ers cas, on circonscrit ainsi le virus à condition qu’au même moment on lance une campagne de dépistage massive, tout en investissant dans des hôpitaux de fortune, dont les militaires, partout où l’épidémie se propage. Hors de cette stratégie, point de salut. Une fois le virus partout, (merci l’aïd) c’est trop tard. Ce qu’on fait là c’est juste des réactions de panique aux conséquences très lourdes sur le long terme, pour donner l’illusion que les responsables politiques agissent et leur éviter l’accusation plus tard de passivité face à la menace.