A l’heure où les partis politiques voient leur rôle de mobilisation collective érodé en faveur d’autres mécanismes politiques non conventionnels, la Fondation marocaine pour la bonne gouvernance a questionné l’importance du programme électoral comme élément d’instauration de la confiance avec les électeurs.
Partant du principe de rompre les idées reçues selon lesquelles il serait vain de s’attarder sur les programmes électoraux en raison du manque voire de l’absence d’instruction et de compétence politique de l’électeur, les panélistes ont exploré aussi bien la dimension politique que citoyenne du programme électoral.
Principe fondamental de la démocratie et du libre choix de ses dirigeants, le programme électoral peut renforcer cette compétence citoyenne qui présidera au choix des élus et des partis et les porter aux commandes.
Lisibilité, compréhension et surtout fidèle application de ce programme électoral comme gage de confiance sont autant de thématiques débattues lors de cette rencontre tenue le 23 janvier à l’école HEM Casablanca et organisée en partenariat avec Ecoactu.ma.
Karim Ghellab, membre du Comité exécutif de l’Istiqlal a rappelé que le programme électoral, qu’il soit national, local ou régional est une sorte de contrat moral entre l’électeur et l’élu puisqu’il referme les engagements du parti au moment des élections qu’il est tenu de concrétiser une fois porté par les urnes.
« Le programme électoral est un élément du cycle démocratique. Et c’est une ineptie que de dire qu’il n’a aucun intérêt même s’il est insuffisamment lu, même s’il est insuffisamment pris en compte dans l’acte électoral, il est fondamental de lui accorder tout l’intérêt nécessaire pour induire l’engagement des citoyens et créer la confiance », souligne Karim Ghellab.
Ce programme doit être l’émanation des besoins sociaux, culturels, économiques et politiques des citoyens, d’où l’importance pour les partis d’avoir des remontées d’informations pour déterminer les mesures et les promesses qui doivent être contenues dedans. Mais la connaissance du terrain n’est qu’un élément qui entre dans l’acte d’élaboration du programme électoral qui doit être l’expression de l’identité du parti et de sa vision stratégique, estime pour sa part Tarik El Malki, économiste et membre du bureau politique de l’USFP.
« C’est là où le bât blesse pour un pays comme le Maroc dont le référentiel idéologique des partis doit être l’émanation du programme. Chaque parti doit avoir un socle idéologique à travers lequel il définit son rôle par rapport à celui de l’Etat, par rapport au fonctionnement de l’économie, son rapport aux institutions, son rapport à la jeunesse… afin que son programme électoral en soit la déclinaison sur le terrain », explique-t-il ajoutant que le programme est un outil d’accompagnement et non pas la panacée.
Au moment d’élaborer ce contrat moral entre le parti et l’électorat, se pose la question de moyens d’expertise et la connaissance pour être le plus proche de la population et proposer des actions réalistes dont on peut mesurer l’impact et rendre des comptes. Il insiste d’ailleurs sur un élément fondamental qu’est le choix des candidats qui porteront ce programme.
Encore faut-il qu’il y ait suffisamment de communication sur ces programmes électoraux pour chaque parti.
Or, en l’absence de débats politiques comme il en existe sur les chaînes étrangères lors des campagnes électorales, au Maroc, les partis essayent souvent de partager leurs idées par voie de presse également. Mais pour Abdennabi Aboulaarab, analyste économique et politique, membre du PJD, le meilleur moyen pour expliciter un programme électoral est le terrain au contact direct des électeurs. Encore faut-il avoir les capacités de couvrir tous les territoires. « Plus le parti a de candidats ,plus il saura largement communiquer sur son programme et son projet de société. Aussi, si sur le périmètre urbain on peut faire usage de moyens de communication modernes, il n’en demeure pas moins que les campagnes se déroulent de manière classique avec du One-to-One. C’est à se poser la question si l’électeur décide sur la base du programme ? Et je peux vous dire qu’en général on décide sur la proximité d’un candidat avec la population, sur sa personnalité, le crédit au parti… Il faut également dénoncer la corruption qui réduit l’importance du programme » révèle Abdennabi Aboulaarab.
Crise de compétence politique de l’électeur ou crise de confiance ?
La compétence des électeurs à lire un programme, le comprendre et faire un choix raisonné et rationnel d’un parti au lieu d’un autre est un élément fondamental du jeu démocratique et de l’exercice par l’électeur de son rôle de principal acteur politique.
Or les chiffres montrent clairement non pas une désaffection mais le risque d’une renonciation des électeurs à ce droit de pratiquer leur rôle d’acteur politique par les voies conventionnelles. Encore faut-il avoir de la data politique ! Younès Benmoumen, président du centre de recherche Tafra, a d’ailleurs rappelé que l’absence de sondage d’opinion contrairement à d’autres pays ne permet pas de suivre l’évolution de l’opinion publique et l’électorat marocains, distinguant par ailleurs entre l’activité politique et celle électorale d’un citoyen.
En effet, il a évoqué la montée en puissance des autres voies de mobilisation en dehors de celles conventionnelles des élections, notamment les manifestations, les pétitions…. « On participe politiquement plus mais pas nécessairement en votant… ceci est corrélé avec la perte de confiance dans les institutions », soutient le président de Tafra.
Il est utile d’ailleurs de reprendre à ce niveau quelques éléments du dernier « Indice de confiance et de qualité institutionnelle » réalisé par l’Institut marocain d’analyse des politiques (MIPA). Sur un échantillon de 1.000 personnes, 69 % ont déclaré leur défiance vis-à-vis des partis politiques, alors que les institutions souveraines non élues jouissent d’un taux de confiance beaucoup plus élevé. C’est juste paradoxal dans un exercice démocratique ! En principe, l’on doit avoir plus confiance dans les personnes de notre choix que le contraire.
Justement, Ali Lahrichi, Docteur en droit public et enseignant des sciences politiques rappelle que « C’est une science que de débattre de la compétence politique. L’électeur a-t-il une compétence politique comme disait Bourdieu pour produire une opinion afin de choisir une personne qui va le représenter à travers ce programme électoral ? Au Maroc, le point est qu’il y a une ressemblance entre tous les programmes de partis qu’on ne peut remettre en cause la compétence politique du Marocain à choisir. Il n’y a pas d’élément distinctif ou de différenciation qui permet à l’électeur de choisir concrètement sur la base d’un programme électoral, qui doit être un véritable projet de société. Autre élément est que le programme électoral doit être suffisamment lisible, chiffré et structuré comme une déclaration de gouvernement, pour permettre une traçabilité des engagements et promesses une fois le parti choisi au pouvoir ».
L’objectif est de faciliter pour l’électeur, qui au fil des élections, devient politiquement compètent, de demander des comptes et par conséquent construire ses choix suivants, devenant par la force du temps un électeur rationnel, rajoute-t-il. « Or, contrairement aux démocraties représentatives, il n’y a pas de reddition des comptes des partis politiques à l’issue des mandats au Maroc ce qui implicitement nourrit le phénomène d’abstention politique des mécanismes conventionnels… ».
De quelle représentation parle-t-on, et pas que pour les citoyens lambda mais également du haut sommet de l’Etat puisque la mise en place d’une commission spéciale sur le modèle de développement est l’illustration sanglante du vœu d’échec des partis politiques, conclut Ali Lahrichi.