Ecrit par Imane Bouhrara |
A l’approche du deuxième conseil de Bank Al-Maghrib pour l’année 2022, les spéculations vont bon train sur la décision qui en émanera dans quelques jours concernant le taux directeur, inchangé depuis juin 2020. Plusieurs facteurs plaident en faveur du maintien du taux inchangé. Les explications avec l’économiste Omar Bakkou.
En mars dernier, le Wali de BAM avait argumenté la décision du Conseil de la Banque centrale de maintenir le taux directeur et poursuivre une politique monétaire accommodante dans un contexte marqué par une croissance en décélération et un taux d’inflation élevé.
Et alors que les incertitudes planent sur les perspectives de croissance en 2022, l’inflation, elle, continue d’évoluer à un niveau élevé, s’établissant à 5,9% en avril contre 5,3% en mars portant sa moyenne au cours des quatre premiers mois de 2022 à 4,5%.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le scénario le plus plausible est de continuer à soutenir une politique accommodante, rassurer les entreprises et les investisseurs, etc. Et maintenir également le ratio de réserves obligatoires à 0% pour maintenir un rythme soutenu d’octroi de crédits par le secteur bancaire en cette période de relance malheureusement assombrie par la guerre en Ukraine.
Sauf que cela ne peut omettre la mission (mais elle n’est pas seule responsable) de la banque centrale à maitriser l’inflation galopante et stabiliser les prix.
D’ailleurs, son rythme de croissance est tellement élevé de par le monde, que la Banque centrale européenne également inscrite sur une politique accommodante, a changé son fusil d’épaule en annonçant une hausse de 0,25 point du taux directeur en juillet et 0,25 ou 0,5 point en septembre, emboitant ainsi le pas à la FED.
Une mesure prise pour faire face à la hausse fulgurante de l’inflation et jugée tardive par des économistes européens qui jugent cette décision sans réel impact sur l’inflation.
Un revirement qui laisse présager que d’autres banques centrales pourraient lui emboiter le pas pour tenter de rompre le cycle vicieux de l’inflation et réduire sa pression sur le pouvoir d’achat des ménages et dont la persistance renforce la hausse des prix des matières premières non sans conséquences pour les entreprises.
Dans un scénario où l’inflation dépasse les prévisions mêmes les plus alarmistes, que décidera le Conseil de Bank Al-Maghrib qui doit se réunir en principe ce 23 juin à Rabat ?
Le Maroc s’est épargné l’effet boomerang de la planche à billets
L’économiste Omar Bakkou rassure d’emblée que les contraintes qui pèsent sur la FED ne sont pas les mêmes que celles sur la BCE, encore moins celles qui pèsent sur BAM et qui président au choix de la politique monétaire de chaque banque centrale. Il s’agit là d’un premier point qu’il faut prendre en ligne de compte.
D’ailleurs, certaines banques centrales avaient adopté des politiques monétaires très laxistes pour juguler les effets de la pandémie, et elles sont responsables quelque part de ce dérèglement monétaire dont l’un des effets est la hausse de l’inflation, soutient Omar Bakkou.
En effet, l’assouplissement monétaire marqué par le recours à la planche à billets ou la création de monnaie, a contribué à la hausse des prix puisque la planche à billets. Un effet boomerang qui oblige ces banques centrales à renverser la vapeur.
« Pour le cas de Bank Al-Maghrib, nous sommes dans une configuration différente puisque même pendant le summum de la crise Covid-19, la banque centrale n’a pas fait le choix d’une politique laxiste. Ne pas actionner la planche à billets s’est avérée être une décision pertinente et sage découlant de la réalité marocaine », estime l’économiste.
Dans un monde ouvert, et tirant les leçons du passé, le Maroc a une monnaie à protéger par une politique monétaire très prudente pour éviter les effets néfastes tels que le risque de fuite des capitaux, l’incapacité de l’Etat à se financer sur le marché international à des taux ou encore la dégringolade de la notation du Maroc par les agences internationales, argumente Omar Bakkou.
Un argument également revenu en boucle lors des conférences de presse à l’issue de chaque conseil de BAM et pendant lesquelles, Abdellatif Jouahri, le Wali de BAM, a toujours opposé un niet à la suggestion de faire tourner la planche à billets. Et justement l’un des arguments est d’éviter une forte dépréciation du DH aux conséquences lourdes.
Comme l’explique Omar Bakkou si la FED ou la BCE peuvent recourir à des politiques monétaires laxistes c’est que leurs monnaies, le Dollar et l’Euro, jouissent d’une confiance au niveau mondial auprès des acteurs économiques puisque ces monnaies restent des valeurs refuges, donc s’imposent au reste du monde.
Bien évidemment, comme pour chaque conseil de BAM, les contextes national et international sont scrutés et analysés par ses membres, pour une décision concertée.
Plusieurs facteurs plaident en faveur d’un statu quo
Au moment où l’activité économique affiche grise mine et reste sujette à un contexte incertain en raison des chocs extérieur, où le gouvernement dispose d’une marge de manœuvre qui s’amenuise comme neige au soleil et que le pouvoir d’achat des ménages se réduit comme une peau de chagrin, les membres du conseil de BAM devront procéder à une analyse coût-avantage et après à une analyse discrétionnaire pour prendre leur décision, souligne Omar Bakkou.
Et ce sont là autant d’éléments qui plaident en faveur du maintien du taux directeur inchangé. En effet, une hausse dans le contexte actuel risque de déprimer davantage l’activité, renchérir l’accès des citoyens, des entreprises et de l’Etat au crédit… autrement peser négativement sur tous les agents économiques.
L’économie nationale peut-elle supporter une augmentation du taux directeur au moment de la demande du crédit est essentiellement tirée par les facilités de trésorerie ? Pour Omar Bakkou l’idée d’augmenter le taux s’impose en général afin de juguler la hausse de la demande de crédit ce qui n’est pas le cas actuellement.
Si la demande en tendance baissière, une hausse du taux aggrave la baisse. Donc on risque de se retrouver dans un schéma de baisse de la masse monétaire de manière automatique. Pourquoi dès lors enfoncer le clou ? s’interroge Omar Bakkou.
L’autre élément soulevé par l’économiste et qui verse en faveur du maintien du taux directeur inchangé est celui des facteurs autonomes de liquidité.
Ainsi que ce soit le solde des opérations avec l’extérieur ou excédent de la balance des paiements ou encore les dépôts à vue, ces deux facteurs qui agissent positivement sur la liquidité bancaire, ont reçu un coup impactant les ressources pour les banques. Dès lors une augmentation du taux directeur peut aggraver cette situation.
Pour Omar Bakkou deux questions s’imposent : qui de la politique monétaire ou budgétaire est sensée prendre la responsabilité l’inflation et la stabilité des prix ?
Mais encore, la banque centrale maintiendra-t-elle cette philosophie de prendre en considération dans sa décision le contexte économique et maintenir une politique monétaire ou au contraire, fera-t-elle le choix de la rigidité en appliquant les dispositions du statut de banque centrale en tant qu’institution indépendante ?
D’autant que cette instabilité des prix et l’inflation sont les résultantes de facteurs exogènes et non d’un choix de politique monétaire, ajoute Omar Bakkou.
Pour lui, certes la banque centrale peut faire valoir le principe de la neutralité monétaire mais elle n’agit pas seulement en tant qu’agent technique avec des décisions mécaniques en appuyant sur le levier monétaire au risque de déprimer davantage les agents économiques.
Il est sûr qu’actuellement il faut laisser la latitude au tissu économique de reprendre ses esprits face à la succession des chocs, pandémie et guerre en Ukraine, pour s’inscrire sur une dynamique de croissance plus soutenue que ce qu’elle ne sera en 2022.