Ecrit par Imane Bouhrara |
Comment prémunir le dirham face au resserrement monétaire mondial, que ce soit sa valeur externe qu’interne ? Quelles interventions sur le marché des changes ou pour les flux de capitaux pour éviter toute volatilité de la monnaie nationale ? Un flottement total du dirham aurait-il mené à un scénario catastrophe ? La réponse avec l’économiste Omar Bakkou.
La bonne santé du dirham cristallise l’opinion publique nationale, surtout depuis le bug de Google qui a créé une onde de choc au niveau national mais également international.
Hormis cet incident, la stabilité et la valeur du dirham se posent dans le contexte actuel où la Banque centrale abandonne graduellement sa politique monétaire accommodante en relevant le taux directeur à deux reprises en 2022 mais aussi à un durcissement des politiques monétaires mondiales, particulièrement par la FED et la BCE, le dirham étant indexé à un panier de référence en devises principalement l’euro et le dollar, à 60% et à 40% respectivement .
D’autant que le rachat inédit des bons du Trésor par la Banque centrale dans le marché secondaire a créé un précédent qui interpelle également à plus d’un titre, notamment sur les conditions de financement du Trésor.
D’autant que ce mercredi et jeudi, interviennent les réunions de la FED et de la BCE qui augurent davantage de resserrement monétaire au niveau mondial et par conséquent des effets encore plus à interroger sur les systèmes financiers et les économies du monde.
Pour planter le décor, l’économiste Omar Bakkou rappelle que le monde s’achemine actuellement vers des politiques monétaires plus restrictives dans le sens où les principales banques centrales, principalement celles émettrices des monnaies internationales, le dollar et l’euro, procèdent à des augmentations des taux directeurs et par conséquent, un renchérissement du coût de l’argent.
Quid du Maroc, économie importatrice nette avec une monnaie nationale qui est le dirham ? Concernant la valeur externe de la devise nationale, c’est-à-dire un le taux de change, il est contrôlé de sorte qu’il ne fluctue pas au gré du marché dans la mesure où il est amarré à un système de panier qui permet de fixer le taux de change effectif du dirham pour stabiliser la valeur du taux de change moyen avec lequel le pays réalise ses échanges, explique Omar Bakkou. Certes, il y a cette bande de fluctuation qui permet une certaine variation du taux de change, en fonction de nos réserves de change recettes et dépenses en devises.
« On peut dire que finalement le taux de change du dirham est quelque part protégé, par rapport aux fluctuations des taux de change au niveau mondial », affirme l’économiste.
S’agissant de la valeur interne du dirham, c’est-à-dire du pouvoir d’achat de notre monnaie à l’intérieur du pays, on la gère à travers une politique monétaire laquelle dernièrement, en raison de la hausse du taux d’inflation, opère une nouvelle trajectoire moins accommodante à travers des relèvements légers du taux d’intérêt directeur.
« Ces relèvements demeurent nettement inférieurs ou moindres par rapport à ce qu’il faudrait pour cibler l’inflation », précise Omar Bakkou.
Resserrement monétaire mondial : BAM au chevet du Trésor ?
Ce rappel fait, la question demeure, quel impact de ce resserrement monétaire mondial sur le dirham, les flux de capitaux ou encore le financement du Trésor ?
D’abord il faut prendre en considération un élément fondamental c’est que nous ne sommes pas soumis aux même contraintes que les autres banques centrales, notamment la BCE où ou la FED, dans la mesure où notre marché des capitaux n’est pas totalement intégré au marché des capitaux mondial, souligne Omar Bakkou.
C’est-à-dire que quand le taux d’intérêt directeur augmente par exemple aux Etats-Unis, on n’aura pas une migration des capitaux vers les Etats-Unis, parce que nous recevons moins de flux d’investissements de portefeuille étranger, le marché restant globalement domestique.
« Mais, nous avons un canal de transmission, celui des MRE qui ont un volume de dépôt à terme assez important au Maroc et certainement dans leur arbitrage, ils prennent en considération les taux d’intérêt créditeur. Ceci concernant l’impact sur ce resserrement monétaire sur les flux de capitaux », relève-t-il.
Deuxième facteur à prendre en considération celui du financement du Trésor, dans la mesure où c’est principalement l’Etat qui emprunte sur le marché financier international, surtout dans un contexte de marges budgétaires serrées.
Il y a lieu de rappeler qu’un emprunt à l’international a été programmé l’année dernière et n’a finalement pas eu lieu, et cette année aussi. Il y a lieu de souligner que les politiques monétaires restrictives menées par la BCE ou la FED agissent sur l’offre de financement et les bailleurs de fonds sont plus regardants et plus sévères au regard du prix du financement, demandant un coût élevé de financement avec une prime de risque en hausse, au regard de la durée des échéances ou carrément, peuvent refuser de financer.
Dans ces trois scénarii, les conditions de financement du Trésor sont globalement défavorables.
Une contrainte en appelant une autre, cet aspect-là va impacter par ricochet la politique monétaire, c’est ce qui s’est produit dernièrement avec le rachat de bons de trésor sur le marché secondaire.
BAM en tant que régulateur veille conformément aux dispositions de ses statuts à la stabilité du marché financier national, notamment celle de la monnaie et en ciblant l’inflation.
Ainsi, la Banque centrale, après avoir relevé son taux directeur, a fait un pas en arrière en menant une politique monétaire expansionniste avec cette opération en injectant des liquidités sur le marché des capitaux, avec comme finalité de faciliter les conditions de financement du Trésor sur le marché financier domestique, face à des banques nationales demandant des taux d’intérêt plus élevés, notamment pour les longues maturités, précise Omar Bakkou.
Faut-il pour autant s’en inquiéter outre mesure ?
Pour l’économiste, il est clair qu’on ne peut pas dire que nous sommes dans une situation confortable dans la mesure où le taux d’endettement de l’Etat au-delà de 60% constitue un handicap sur le marché financier international au regard des critères de Maastricht, scrutés par les agences de notation et des bailleurs de fonds.
Cette situation a été quelque peu masquée par la présence de liquidité sur le marché international et la prépondérance d’offres de financement, les bailleurs de fonds internationaux étaient moins regardants sur la situation financière des demandeurs.
Avec le durcissement monétaire et le resserrement de liquidités, les bailleurs seront très sélectifs sur les capacités de remboursement des demandeurs évalués sous le prisme du taux d’endettement. Et c’est là où le bât blesse pour le Maroc, qui boucle son budget par l’endettement.
Flexibilité du dirham : a-t-on évité le scénario catastrophe ?
Bien que la Banque centrale ait formellement démenti une dépréciation du dirham après le bug de Google, cela n’a pas empêché la propagation d’un sentiment d’inquiétude, chacun y allant de sa propre analyse.
De là a germé l’idée d’un scénario catastrophe si le Maroc avait opéré un flottement total de sa monnaie.
Omar Bakkou n’adhère pas à cette théorie. Il rappelle que si le taux de change dépend de la balance des paiements, donc des recettes et des dépenses en devises, quand on regarde de près le marché des changes au Maroc, on constate qu’il dépend essentiellement du compte courant. Le marché des capitaux dans la balance des paiements est encore faible au Maroc, de sorte que si l’on fait le sigma des investissements étrangers au Maroc ou des emprunts extérieurs, cela représente moins de 10% de la balance courante. Donc le taux de change reste déterminé par les transactions commerciales, donc du compte courant.
Donc, même dans une situation de flexibilité totale, il n’y aurait pas eu un grand effet sur la monnaie, sachant que même dans le cadre d’un régime de flottement, il sera accompagné d’un système de ciblage de l’inflation qui réside aussi se traduira inéluctablement , dans le cas d’une économie comme le Maroc, dans par un le ciblage du taux de change.
Ainsi, même dans un système de flottement total, la Banque centrale aura toute la légitimité de continuer à intervenir pour que le taux de change ne baisse pas en deçà d’un certain niveau au dessous duquel la valeur interne du dirham serait en danger.