La première édition des rencontres scientifiques de la CMR se veut une première étape vers la création d’un concept fédérateur mutualisant les ressources et les moyens.
Depuis les années 2000, le Maroc s’est engagé dans un vaste chantier de réformes de son système de sécurité sociale. Ce chantier s’est caractérisé principalement par la mise en place de l’assurance maladie obligatoire pour les secteurs public et privé et par l’initiation du processus de réforme du système des retraites. Cette dynamique a été confirmée par l’adoption de la constitution de 2011 qui stipule dans son article 31 que l’Etat, les établissements publics, les collectivités locales oeuvrent à la mobilisation de tous les moyens pour favoriser l’accès des citoyens et citoyennes de manière égalitaire aux conditions leur permettant de jouir des droits aux soins de santé, à la protection sociale et à la couverture médicale.
Une responsabilité qui ne semble pas être une tâche aisée eu égard aux mutations rapides que connaît l’environnement. Dans un pareil contexte, les institutions de sécurité sociale sont amenées à analyser en continu leur environnement aussi bien interne qu’externe, diagnostiquer les défis auxquels elles doivent faire face à court, moyen et long terme tout en mettant en place les moyens et les solutions idoines pour les relever.
Pour résumer les enjeux liés à la protection sociale, Lotfi Boujendar, le Directeur de la Caisse Marocaine des Retraites, explique : « L’un des principaux défis de la sécurité sociale aujourd’hui consiste à trouver l’équilibre idoine entre ce qui devrait relever des régimes contributifs où les affiliés auront à cotiser pour bénéficier des droits et prestations et des régimes non contributifs financés par l’impôt. Afin de garantir l’adéquation, l’efficience, l’équité et la viabilité des programmes de protection de sécurité sociale ».
Et de rappeler : « Dans son discours du Trône du 29 juillet 2018, le Souverain a invité le gouvernement et tous les acteurs concernés à entreprendre une restructuration globale et profonde de l’ensemble des programmes et des politiques nationales d’appui et de protection sociale ».
Même son de cloche chez Anass Karine, responsable à la CMR qui rappelle à juste titre que le premier enjeu est d’assurer une couverture universelle représentée par deux dimensions : horizontale pour couvrir toutes les catégories qui ne bénéficient pas de la couverture et une verticale pour se prémunir contre les différents risques sociaux. Il est utile de rappeler que le Maroc souffre d’un taux de couverture faible. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le pays a un taux de couverture maladie de 55% vs 61% dans le monde et un taux de couverture de vieillesse de l’ordre de 41% vs 67% au monde. Autres chiffres édifiants : Sur une population occupée de 11 millions, seuls 3,70 millions d’individus sont déclarés parmi les salariés vs 1,30 million qui ne sont pas déclarés. Une bonne partie de la population active occupée non couverte n’est pas déclarée par les employeurs ou opère dans le secteur informel. Le constat est sans appel.
L’autre défi à relever est lié au vieillissement de la population avec toutes les retombées sur les équilibres financiers des systèmes et du marché du travail. Ce qui se traduit par une réduction des cotisations face à un accroissement continu des prestations servies. En l’espace de 60 ans, le Maroc a gagné 34 ans à raison de six mois par an. Ce qu’a gagné l’Europe en l’espace d’un siècle. L’espérance de vie est passée de 42,5 en 1955 à 77 ans en 2017.
D’où le rôle que sont appelées à jouer les Nouvelles technologies de l’information. Elles se veulent un levier stratégique pour la bonne gouvernance de la protection sociale en profitant des opportunités qu’offrent la technologie mobile, le Big data…
L’insoutenabilité des régimes constitue aussi un défi. Elle se caractérise par un amenuisement des fonds de réserves qui servent à combler le déficit entre les cotisations et les prestations pour le cas des régimes par répartition.
L’étude réalisée par la CGEM évalue le manque à gagner à 40 Mds de DH. En vue d’y remédier, il faut réfléchir à concevoir des solutions innovantes pour réussir l’extension, scinder les catégories et hiérarchiser les besoins de couverture de ces catégories, tenir compte de leurs capacités contributives, s’inspirer de bonnes pratiques à l’international et développer les mesures incitatives pour réduire l’économie informelle.
Toutefois, d’après Lotfi Boujendar, l’innovation ne doit pas se limiter aux sciences exactes, mais transcender pour aborder les sciences humaines et sociales. Cela passe par l’échange de données entre le monde académique et professionnel, la réalisation conjointe des études et le partage des solutions innovatrices et de bonnes pratiques.
Quid de la profession actuarielle ?
Etablir des ponts entre le domaine de la recherche et le secteur de la retraite ne peut être que bénéfique pour le système de protection évoluant dans un environnement empreint d’incertitudes. La relation pourrait se matérialiser par une collaboration entre la profession actuarielle et les chercheurs pour l’exploitation d’une manne d’informations et de données démographiques (sexe, âge, CSP…). Et ce tout en veillant à la protection des données personnelles.
Comme annoncé par Mohamed Amrani, président de l’Association marocaine des actuaires, dans son intervention lors de cette première rencontre scientifique, cette collaboration relève d’une recommandation phare de la Cour des Comptes dans son rapport de 2013 sur les systèmes de retraite : « Cela inclut les représentants des actifs,… des employeurs, des pouvoirs publics et même des professionnels du domaine de la prévoyance sociale, de la finance ou des membres de la communauté scientifique ».
En faisant focus sur les hypothèses actuarielles, l’actuaire rappelle que le rapport de la Cour des comptes constitue une mine de sujets actuariels de recherche dont : les tables de mortalité, les notions d’équité et de neutralité actuarielles, les hypothèses actuarielles, le basculement des modes de fonctionnement des régimes et leurs modalités actuarielles.