Ecrit par Imane Bouhrara |
Le discours royal du 29 juillet 2020 a marquĂ© un tournant au Maroc, dĂ©voilant ainsi les grandes lignes du chantier titanesque de lâĂ©largissement de la protection sociale avec comme corollaire la gĂ©nĂ©ralisation de la couverture mĂ©dicale, lâAMO en lâoccurrence. PrĂšs de deux ans aprĂšs le dĂ©marrage du chantier dĂ©but 2021, lâheure est au bilan dâĂ©tape. Changement dĂ©mographique, panier de soins, reste Ă payer, pĂ©rennitĂ© financiĂšre, gouvernance, capacitĂ© de traitement⊠sont autant dâĂ©lĂ©ments en dĂ©bat.
La pandĂ©mie du Covid-19 a rappelĂ© une fois de plus lâimportance du renforcement des filets sociaux au Maroc tablant sur la solidaritĂ© au service de lâĂ©quitĂ© sociale, notamment dans lâaccĂšs aux soins. La pandĂ©mie a montrĂ© Ă©galement que lâexpĂ©rience du Maroc en la matiĂšre, avec la mise en place de lâAssurance Maladie Obligatoire (AMO) et le RĂ©gime d’Assistance MĂ©dicale (Ramed) ont largement atteint leurs limites.
Face Ă cet Ă©tat de faits, le discours du Roi Mohammed VI du 29 juillet 2020 Ă lâoccasion du 21Ăš anniversaire de la FĂȘte du TrĂŽne a Ă©tĂ© disruptif dans ce sens oĂč il nâa pas seulement indiquĂ© les grandes lignes de transformation du modĂšle de sĂ©curitĂ© sociale, mais en Ă©tablissant un calendrier prĂ©cis (5 ans) dâĂ©largissement de la protection sociale et de gĂ©nĂ©ralisation de la couverture mĂ©dicale.
A commencĂ© dĂšs lors un vĂ©ritable challenge transformationnel de lâensemble de lâĂ©cosystĂšme qui depuis janvier 2021 est en ordre de bataille pour rĂ©aliser les objectifs assignĂ©s dans les dĂ©lais fixĂ©s.
Il faut rappeler que ce chantier est scindĂ© en deux principales phases :  GĂ©nĂ©ralisation de lâAMO et des allocations familiales (2021- 2023), gĂ©nĂ©ralisation de la retraite Ă toutes les personnes et lâindemnitĂ© pour perte dâemploi Ă lâensemble de la population active (2024- 2025).Â
PrĂšs de deux ans aprĂšs le dĂ©marrage du chantier dĂ©but 2021, lâheure est au bilan dâĂ©tape. Changement dĂ©mographique, panier de soins, reste Ă payer, pĂ©rennitĂ© financiĂšre, gouvernance, capacitĂ© de traitement, allocations familiales, inclusion financiĂšre, digitalisation, rĂ©forme rĂ©glementaire⊠sont autant dâĂ©lĂ©ments de dĂ©bat ayant rythmĂ© le Colloque international sur la protection sociale organisĂ© les 26 et 27 juillet Ă Skhirat par lâAssociation des Membres de lâInspection GĂ©nĂ©rale des Finances (AMIF) et le MinistĂšre de lâEconomie et des Finances sous thĂšme : « la protection sociale: un chantier de rĂšgne ».
LâAMO pour soigner les maux
Le panel tenu dans la matinĂ©e du 27 juillet autour de la thĂ©matique « La gĂ©nĂ©ralisation de lâAMO, gage de solidaritĂ© sociale », a Ă©tĂ© lâoccasion de faire le point sur lâĂ©tat dâavancement Ă mi-parcours de cette composante importante de la premiĂšre phase du chantier de la protection sociale.
ParticuliĂšrement auprĂšs de la Caisse nationale de sĂ©curitĂ© sociale (CNSS) en Ćuvre pour lâimmatriculation des travailleurs non-salariĂ©s entamĂ©e depuis 2021 mais qui opĂ©rera le basculement des ramedistes vers lâAMO dans quelques mois.
Le Directeur Général de la CNSS, Hassan Boubrik a livré à cette occasion les derniÚres données avec plus de deux millions de travailleurs non-salariés immatriculés à la Caisse, notamment 840.000 agriculteurs, 380.000 artisans, prÚs de 300.000 auto-entrepreneurs, 250.000 artisans et commerçants qui sont dans le cadre de la contribution professionnelle unique et la quasi-totalité des professions libérales et indépendantes.
Sur cette nouvelle population qui intĂšgre la CNSS, quelque 330.000 personnes ont ouvert leurs comptes sur nos portails et ont commencĂ© Ă dĂ©clarer leurs familles (conjoints et enfants) pour bĂ©nĂ©ficier effectivement de lâAssurance Maladie Obligatoire (AMO).
Cela se traduit par 2.000 dossiers par jour de lâAMO qui proviennent de ces travailleurs non-salariĂ©s.
Bien Ă©videmment une telle gĂ©nĂ©ralisation sâest accompagnĂ©e en amont dâune grande structuration des processus au sein de la CNSS, en plus de lâadaptation des organisations et des systĂšmes dâinformations de la CNSS pour suivre les dĂ©marches dâidentification, et dâimmatriculation, avec une digitalisation accĂ©lĂ©rĂ©e et un Ă©largissement du rĂ©seau physique.
Sur ce dernier point Hassan Boubrik a soulignĂ© lâouverture dâune cinquantaine dâagences cette annĂ©e et dâautres ouvertures prĂ©vues lâannĂ©e prochaine pour couvrir lâensemble du territoire national.
En outre, la CNSS a conclu des partenariats avec des rĂ©seaux de proximitĂ©, en vue de garantir la traçabilitĂ© du dossier, et augmenter la capacitĂ© de traitement des capacitĂ©s pour accompagner lâĂ©volution exponentielle de lâactivitĂ©.
Ainsi, les projections font montre que de 15.000 à 20.000 dossiers par jour, la CNSS passera à un volume de 80.000 ou 90.000 dossiers par jour, donc le volume de dossiers à traiter par jour sera multiplié par 4,5.
Actuellement le dĂ©lai de remboursement moyen sâĂ©tablit Ă 9,15 jours, un indicateur que le DG de la CNSS suit chaque semaine.
Bien Ă©videmment la digitalisation vient en renfort. En effet, en plus de la possibilitĂ© de sâinscrire et immatriculer en ligne, la CNSS va assurer Ă ses assurĂ©s une feuille de soin Ă©lectronique. Le projet est en progression qui nĂ©cessite 18 Ă 24 mois pour un dĂ©ploiement gĂ©nĂ©ral. Mais le DG de la CNSS assure quâil est dans ces les derniĂšres phases pour un basculement vers ce nouvel outil Ă partir de la mi-mars 2023.
Il sâagit dâune dĂ©matĂ©rialisation totale de la feuille de soin AMO de chez le praticien au pharmacien jusquâau traitement du dossier.
Ce qui est de nature de réduire le temps de traitement à 24 ou 48 h selon la complexité du dossier mais surtout réduire le coût de de gestion tout en garantissant la qualité de service.
Les actions dĂ©ployĂ©es par la CNSS sont cruciales en prĂ©lude Ă lâintĂ©gration des ramĂ©distes qui se fera dans les prochains mois suite Ă lâamendement de la loi 75.00 et les textes rĂ©glementaires nĂ©cessaires.
Démographie, panier de soins⊠ces risques à anticiper
Sur la question de la soutenabilité financiÚre, le DG de la CNSS a évoqué les études préliminaires sur des projections actuaires ou plutÎt des approches macro pour voir si le systÚme tient pour le volet travailleurs non-salariés et celui des personnes vulnérables.
Les rĂ©sultats finaux sur les Ă©quilibres financiers seront prĂȘts pour bientĂŽt. Mais ce nâest pas tant ça qui taraude le DG de la CNSS.
« Maintenant que nous avons les bases de donnĂ©es (prĂšs de 7 millions de personnes) et les structures dĂ©mographiques, nous avons lancĂ© une Ă©tude plus approfondieâŠÂ ».
« Maintenant que nous avons les bases de donnĂ©es (prĂšs de 7 millions de personnes) et les structures dĂ©mographiques, nous avons lancĂ© une Ă©tude plus approfondieâŠÂ ».
Si les Ă©tudes actuarielles se basent sur le comportement du passĂ©, le plus important pour Hassan Boubrik est dâapprĂ©hender les risques futurs, sachant que lâĂąge moyen des travailleurs non-salariĂ©s est de 51 ans, 51 ans de pour les ramĂ©distes contre 42 ans pour les salariĂ©s.
« Lâon sait que dans le domaine de santĂ© et la couverture maladie, les transformations futures seront extrĂȘmement importantes notamment sur lâaxe dĂ©mographique, sachant que le vieillissement entraĂźne une plus grande consommation de mĂ©dicaments. DeuxiĂšmement sur lâaxe Ă©pidĂ©miologique, on note la transformation de maladies aigues en des maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires et les cancers et alors que dâautres se dĂ©veloppent trĂšs vite comme lâasthme et le diabĂšte en raison du mode de vie actuel », explique-t-il.
De ce fait, lâapproche sur le risque maladie de court terme devient un risque de long terme Ă gĂ©rer par lâassureur parce que ces pathologies pĂšsent Ă©normĂ©ment sur le rĂ©gime dâassurance maladie.
Pour avoir une idĂ©e, les ALD (dont 80% est concentrĂ©s autour de 5 maladies) pĂšsent pour 60% de dĂ©penses de lâAMO. Adresser ces questions-lĂ en terme de prĂ©vention et de monitoring est une question rĂ©ellement cruciale, estime le DG de la CNSS.
« Ăa nous interpelle Ă la CNSS, et la data devient un Ă©lĂ©ment clĂ© pour prĂ©venir, anticiper et monitorer ces sujets. La CNSS se transforme dâune caisse qui liquide les dossiers AMO sur la base de la conformitĂ© Ă un vrai assureur maladie qui anticipe, essaye de gĂ©rer le risque et le rĂ©duire avec le reste des acteurs de lâĂ©cosystĂšme », conclut-il.
Dr Khalid Lahlou, le directeur de lâAgence nationale de lâassurance maladie (ANAM), a assurĂ© de son cĂŽtĂ© que la couverture mĂ©dicale constitue Ă la fois un engagement et un dĂ©fi, et sâinscrit dans le cadre de la mise en Ćuvre des recommandations des diffĂ©rentes institutions, notamment lâOrganisation mondiale de la santĂ© (OMS).
Il a aussi soulignĂ© que le rapport du nouveau modĂšle de dĂ©veloppement (NMD) a mis lâaccent sur la question de la santĂ©, notant que lâĂtat marocain dispose ainsi dâune visibilitĂ© en la matiĂšre vers une gĂ©nĂ©ralisation d’une ouverture mĂ©dicale universelle.
Dr Lahlou Lahlou a dĂ©taillĂ© les leviers mis en Ćuvre par l’ANAM en tant rĂ©gulateur, notamment l’accompagnement dans la gĂ©nĂ©ralisation en intĂ©grant diffĂ©rentes catĂ©gories avec en amont les Ă©tudes actuarielles nĂ©cessaires.
Il a par ailleurs soulignĂ© certaines questions importantes comme le panier de soins, en tant quâoutil de mesure de la performance de tout systĂšme dâassurance maladie. Mais Ă©galement pointĂ© certains points Ă Ă©lucider comme le reste Ă charge ou encore le cadre rĂ©glementaire Ă finaliser.