En vue de réussir le projet de la protection sociale, il faut outre les moyens techniques, ceux financiers. Et pour cause : la capacité contributive d’une large part de la population reste pour le moment faible et par conséquent, le corollaire de la généralisation de la protection sociale exige une contribution significative de l’Etat.
Le colloque international tenu sous le thème “Protection sociale : un chantier de règne deux jours durant soit les 26 et 27 juillet à Skhirate est un moment fort pour débattre des enjeux et des leviers de réussite de ce chantier titanesque.
Ce colloque se veut par ailleurs un espace de débats ouverts, de réflexion, d’échanges et de regards croisés visant à formuler des propositions pratiques pouvant contribuer à la réussite de la mise en œuvre de la réforme de la protection sociale au Maroc.
A cet égard, plusieurs questionnements interpellent et méritent d’être soulevés, et appellent une analyse objective et des réponses appropriées, qui soient à la hauteur des défis posés.
Comme l’a si bien souligné Nadia Fettah Alaoui, ministre des finances : » l’ensemble des parties prenantes sont aujourd’hui déterminées à conjuguer leurs efforts pour la réussite de cet important chantier, à l’horizon de l’année 2025, suivant un calendrier clair et précis ». L’objectif est que d’ici la fin d’année intégrer 22 millions d’individus supplémentaires qui pourront bénéficier de l’assurance maladie obligatoire, grâce à la transformation prochaine du régime d’assistance médicale en régime assurantiel et à la mise en œuvre du régime AMO des travailleurs non-salariés.
L’atteinte des objectifs escomptés relève, selon ses dires, non seulement de la responsabilité de l’État, mais également des collectivités territoriales, des établissements et entreprises publiques, du secteur privé ainsi que de la société civile et de l’ensemble des citoyens.
Cette première étape sera suivie de la généralisation des allocations familiales ainsi que la couverture retraite et l’indemnité pour perte d’emploi pour toutes les personnes occupant un emploi stable.
Ce projet initié par SM le Roi Mohammed VI constitue ainsi une véritable révolution sociétale, venue répondre aux problématiques identifiées, a affirmé le ministre de la santé Khalid Ait Taleb, qui intervenait à l’ouverture du colloque à l’initiative de l’Association des membres de l’inspection générale des finances (AMIF) et du ministère de l’Économie et des Finances.
Dans son intervention Ait Taleb a, en outre, souligné que ce chantier national majeur qui suscite l’admiration de nos partenaires internationaux occupe une position distinguée dans les discours de SM le Roi et aspire à mettre fin à la fragmentation des différents programmes de protection sociale.
“Il ne constitue pas un défi technique seulement mais requiert la création d’un environnement mobilisateur, un portage politique fort, une appropriation par tous les acteurs concernés, une ingénierie judicieuse, un processus juridique, institutionnel, technique et financier ainsi qu’une grande capacité de notre administration pour orchestrer la conduite du changement y afférent”, a-t-il fait valoir.
Par ailleurs, le ministre a rappelé dans la foulée que le Maroc a su saisir la crise du covid-19 pour lancer de larges réformes transformatrices et ambitieuses afin d’ajuster sa trajectoire de développement, et se diriger vers une économie basée sur la santé, la prévention, l’hygiène, le sport, l’agriculture, l’éducation, la recherche, l’énergie propre et le numérique.
De son côté, l’ambassadrice de France au Maroc, Hélène Le Gal, a souligné que la protection sociale est une grande réforme dans le domaine de la sécurité sociale qui engagera le Royaume dans de profondes mutations sociales et économiques.
Elle a également rappelé que ce chantier répond à l’appel de SM le Roi Mohammed VI de réformer le dispositif de protection sociale en garantissant la couverture sociale au profit de tous les Marocains.
Cette volonté a été confortée aussi dans le cadre du Nouveau modèle de développement (NMD) qui a retenu comme l’un de ses 4 axes, une stratégie de garantie d’un socle de la protection sociale qui renforce la résilience, l’inclusion et matérialise la solidarité entre les citoyens, a-t-elle noté.
La généralisation de la protection sociale nécessitera une contribution “significative” de l’Etat, compte tenu de la “faible” capacité contributive d’une large part de la population, a relevé, mardi à Skhirat, Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib (BAM).
“La capacité contributive d’une large part de la population reste pour le moment faible et par conséquent, le corollaire de la généralisation de la protection sociale est, on ne peut plus clair, une contribution significative de l’Etat”, a dit Abdellatif Jouhari, gouverneur de la Banque Centrale à l’ouverture d’un colloque international tenu sous le thème “Protection sociale : un chantier de règne”.
Ainsi, la mobilisation des ressources pour financer la protection sociale fait face à des difficultés liées à la capacité contributive de la population, a-t-il souligné, citant des chiffres de l’enquête sur les revenus des ménages réalisée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) juste avant la pandémie du covid-19.
“Les données de celle-ci indiquent que les 20% de la population les plus aisés concentrent 53,3% des revenus contre 5,6% pour les 20% les moins aisés. Cela laisse conclure qu’une large frange de la population dispose d’un revenu bien en deçà de la moyenne”, a fait remarquer A. Jouahri.
Et de poursuivre que ces résultats sont corroborés par les données du HCP issues de l’enquête nationale sur l’emploi qui font ressortir que sur les 27 millions de personnes en âge d’activité en 2021, plus de la moitié, soit 54,7%, étaient des inactifs.
“Ce taux culmine à près de 80% pour les femmes, un taux parmi les plus élevés au monde. De surcroit, et outre les 1,5 million de personnes qui sont au chômage, les 10,8 millions d’actifs occupés le sont en majorité dans des activités informelles et ne devraient pas disposer de revenus adéquats. D’ailleurs, les trois-quarts d’entre eux ne bénéficient pas de couverture médicale”, a noté le Wali de BAM.
Parallèlement, A. Jouahri a souligné qu’aujourd’hui, les autorités sont appelées à donner un contenu concret à ce chantier et à se conformer aux exigences et aux délais fixés par Sa Majesté le Roi notamment dans le discours royal de l’ouverture de la 1ère session de la 5ème année législative de la 10ème législature (octobre 2020).
“Pour cela, il faudrait une mobilisation exceptionnelle sur tous les plans pour être à la hauteur de ses attentes”, a-t-il préconisé.
Il suffit d’examiner les données de l’Organisation Internationale du Travail pour réaliser qu’un grand nombre de pays, y compris parmi les plus avancés trouvent encore des difficultés à atteindre une couverture généralisée en matière de protection sociale, a fait observer M. Jouahri.
D’après lui, les raisons sont multiples, liées en particulier à son coût élevé et à l’incapacité de l’offre en matière de soins de santé en particulier à répondre à la demande. “Cet écart, malheureusement, s’élargit même en raison notamment de facteurs démographiques liés au vieillissement de la population et à l’allongement de l’espérance de vie, des phénomènes qui ne sont pas spécifiques aux pays avancés, mais également aux pays qui connaissent une transition démographique accélérée comme le nôtre”, a-t-il ajouté.
Le Wali de BAM a, en outre, affirmé que le nombre de réformes majeures lancées ces dernières années au Maroc est impressionnant et consacre sa réputation de pays réformateur.
“Les défis aujourd’hui consistent à mobiliser les ressources humaines et financières nécessaires, mais également à assurer la cohérence et les synergies à même de permettre leur aboutissement et leur réussite”, a-t-il estimé.