L’ONEE-BE ne communique son rapport d’activité annuel qu’en Novembre de l’année suivante. En attendant, voici quelques chiffres, déjà fiables, sur l’électricité au Maroc en 2022 et leurs commentaires. En effet, en ce mois de Février 2023, il est :
- assez tôt pour être en avance sur les informations officielles de l’année 2022,
- assez tard pour que les estimations soient assez précises pour en extraire des commentaires fiables.
Pour l’essentiel :
- L’année 2022 se caractériserait par une augmentation modérée des livraisons de l’ONEE-BE (+1.1%) qui a, malgré tout, nécessité une augmentation soutenue de l’électricité nette appelée par le réseau électrique marocain (+4.1%) qui aurait été en grande partie absorbée par une augmentation significative des pertes en ligne causées par la désorganisation de la circulation géographique de l’électricité induite par l’arrêt des centrales au gaz naturel (novembre 2021 à septembre 2022) et un déficit de production dans les centrales solaires de Ouarzazate (décembre 2021 à mars 2022). Chapeau bas à l’ONEE-BE pour avoir fait face à une telle situation sans anicroche apparente !
- L’observation de l’économie à travers la lunette de la demande d’électricité indique que le rythme de la croissance économique annuelle s’est situé entre 1.4 et 1.6% en 2022.
DÉTAILS SUR LA PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ
La Figure 1 est basée sur une compilation des données mensuelles partielles de l’année 2022. Selon les cas, les données d’origine utilisées sont officielles jusqu’au mois de septembre ou de novembre 2022[1], [2], [3], [4] et la fin d’année a été complétée en tenant en compte de variations saisonnières là où elles ont lieu d’être.
Figure 1 Schéma simplifié des flux sur le réseau électrique du Maroc en 2022
Au niveau du détail de la production d’électricité, le schéma simplifié des flux d’électricité sur le réseau électrique du Maroc en 2022 montré dans la Figure 1 révèle que :
- Après avoir progressé de 2.4% par rapport à l’année précédente, la production d’électricité à partir de sources primaires thermiques fossiles (60.0% de la capacité totale de production sur fond gris : charbon, pétrole et gaz naturel) aurait atteint 33’662 GWh/an représentant 81.3% de l’électricité brute produite en 2022. Sans encore tous les détails officiels sur la décomposition de cette production d’électricité d’origine thermique fossile, on peut toutefois assurer que :
- Malgré la cessation d’approvisionnement depuis l’Algérie[5], la production d’électricité à partir de gaz naturel liquéfié puis gazéifié en Espagne avant livraison à travers le Gazoduc Maghreb Europe (livraisons d’essai en juin 2022) devrait se situer entre 1’700 et 1’800 GWh/an soit près d’un tiers de ce que devrait être la production « habituelle » des deux centrales à cycle combiné du Maroc (Tahaddart et Aïn Beni Mathar).
- L’ONEE a eu suffisamment de réserves de capacités de production thermiques fossiles (surtout à base de charbon, de fuel et, dans une moindre mesure, de gasoil) pour compenser ce déficit et répondre à la demande marocaine en électricité5 dont la pointe, contrairement aux pays européens[6], se situe en été (août pour l’été 2022).
- Après avoir reculé de 9.3% par rapport à l’année précédente, la production d’électricité à partir de sources primaires renouvelables (38.1% de la capacité totale de production sur fond vert : hydraulique conventionnelle, éolien et solaire) aurait atteint 7’087 GWh/an représentant 17.3% de l’électricité brute produite en 2022 :
- L’électricité de source primaire hydraulique aurait atteint 345 GWh/an après avoir reculé de 57.8% par rapport à l’année précédente, à cause du moindre remplissage des barrages hydroélectriques engendré par la mauvaise pluviométrie.
- L’électricité de source primaire éolienne aurait atteint 5’290 GWh/an après avoir progressé de 2.6% par rapport à l’année précédente, grâce, notamment, à la mise service du parc éolien de Taza et, dans une moindre mesure, grâce à la première année d’exploitation complète du parc éolien de Oualidia.
- L’électricité de source primaire solaire aurait atteint 1’452 GWh/an après avoir reculé de 21.3% par rapport à l’année précédente, à cause de l’anormale baisse de la production des centrales solaires de Ouarzazate durant le premier trimestre[7], toujours sans explication officielle.
- Après avoir reculé de 15.2% par rapport à l’année précédente, l’électricité produite à partir du stockage hydraulique d’énergie dans la STEP (3.9% de la capacité totale de production sur fond blanc) aurait atteint 334 GWh/an représentant 0.8% de l’électricité brute produite en 2022.
- Après avoir reculé de 3.1% par rapport à l’année précédente, les excédents que les autoproducteurs injectent dans le réseau après avoir satisfait une partie de leur propre besoin en électricité à partir de chaleur industrielle (sur fond vert foncé) auraient atteint 307 GWh/an représentant 0.7% de l’électricité brute produite en 2022.
DÉTAILS SUR LES AGRÉGATS DU SCHÉMA DES FLUX D’ÉLECTRICITÉ
Au niveau des agrégats (sur fonds noirs), le schéma simplifié des flux d’électricité sur le réseau électrique du Maroc en 2022 de la Figure 1 montre aussi que :
- Pratiquement inchangée depuis l’année précédente, la production brute d’électricité se serait maintenue à 41’390 GWh/an en 2022.
- Après avoir progressé d’à peine 0.2% par rapport à l’année précédente, la production nette locale d’électricité aurait atteint 40’877 GWh/an en 2022, après déduction des absorptions des auxiliaires (-40 GWh) et du pompage de la STEP (-473 GWh).
- Après avoir progressé de 4.1% par rapport à l’année précédente, le total de l’électricité nette appelée par le réseau électrique national aurait atteint 42’307 GWh/an en 2022, après ajout des 1’853 GWh/an d’imports et déduction des 423 GWh/an d’exports d’électricité (avec l’Espagne seule, sans l’Algérie).
- Après avoir progressé de 1.1% par rapport à l’année précédente, le total des livraisons assurées par l’ONEE[8] aurait atteint 34’870 GWh/an en 2022, ce qui aurait laissé les pertes sur son réseau à 7’437 GWh/an qui auraient elles-mêmes excessivement augmenté (+1’283 GWh/an, soit +20%), sans doute à cause :
- de l’arrêt prolongé des centrales au gaz naturel de Tahaddart et de Aïn Beni Mathar qui a imposé de transporter de plus grandes quantités d’électricité sur de plus grandes distances à destination du Nord et l’Est du Maroc,
- dans une moindre mesure, de la baisse de la production des centrales solaires de Ouarzazate durant le premier trimestre6 qui a imposé de transporter plus d’électricité sur de plus grandes distances à destination des Régions de Draa – Tafilalet.
Avec le retour à la production normale des deux centrales au gaz naturel, la mise en service de nouvelles capacités éoliennes et solaires mais surtout, celle de la STEP de Abdelmoumen, on peut penser que la satisfaction de notre demande d’électricité de 2023 sera une simple promenade de santé comparée à 2022 !
ÉVOLUTION DES LIVRAISONS ET INDICATION DE CROISSANCE ÉCONOMIQUE
La consommation d’électricité n’est pas qu’une grandeur physique mesurable. Au Maroc, sa forte corrélation à la croissance économique en fait un moyen d’estimer l’évolution du PIB que nous utilisons régulièrement. Certains chercheurs se penchent sur la causalité du nexus énergie – PIB, en essayant de savoir lequel des deux est la cause de l’autre. Là n’est pas notre propos puisque nous nous contentons du fait de l’existence d’une forte corrélation entre le PIB en valeur constante et l’énergie finale consommée dans le pays, comme confirmé par les ronds et la courbe bleue de la Figure 2 qui montrent comment le PIB annuel des quarante dernières années (en Dh constants de 2007) est à 99.77% corrélé, par un polynôme, aux livraisons annuelles d’électricité de l’ONEE-BE avec des erreurs conjoncturelles n’atteignant pas 5%.
L’électricité nette appelée annuellement n’est pas la meilleure approximation de la consommation finale d’énergie électrique car elle dépend trop de l’évolution des rendements de transport et de distribution[9] (comme, justement l’année 2022 d’ailleurs). Par contre, les livraisons d’électricité assurées annuellement par l’ONEE-BE représentent un meilleur Proxy de cette consommation finale d’énergie électrique puisque la surestimation n’est faite qu’aux pertes dans les réseaux des autres distributeurs d’électricité (eux-mêmes globalement supérieurs à 92% tout en ne représentant qu’un peu moins de la moitié du marché).
Figure 2 Corrélation entre l’électricité livrée et le PIB en Dh constants de 2007
Du point de vue structurel, la forme en « U » de la courbe rouge de la Figure 2 (qui se réfère à l’échelle de droite) montre qu’à l’égard de la consommation d’électricité, on peut départager le comportement de l’économie marocaine en deux phases :
- durant une première phase, avant que les livraisons de l’ONEE-BE n’atteignent 19’000 GWh/an/an (soit avant 2006), le revenu augmentait plus lentement que la consommation d’électricité,
- durant une deuxième phase, quand les livraisons de l’ONEE-BE ont dépassé 19’000 GWh/an/an (soit après 2006), le revenu s’est mis à croître plus rapidement que la consommation d’électricité. En soi ceci est une excellente nouvelle dans la mesure où l’on serait dans une phase d’amélioration de l’efficacité électrique du pays (aptitude à générer plus de revenu pour chaque kWh livré).
Du point de vue conjoncturel, on peut voir que même les données de 2020, année somme toute atypique, ne s’écartent pas du comportement global de la corrélation polynomiale représentée par la courbe en bleu.
Pour 12 mois glissants durant les 11 dernières années, la Figure 3 montre l’évolution du PIB (MDh constants de 2007) des 12 mois précédents (carrés verts) calculée avec la corrélation établie dans la Figure 2 mais sur la base des livraisons d’électricité de l’ONEE-BE durant les 12 mois précédents (et non l’année civile). Calculé pour chaque 12 mois précédents, le rythme de la croissance annuelle glissante du PIB est représenté par les cercles rouges sur cette même Figure 3 et se rapporte à l’échelle de droite.
Figure 3 Evolution du PIB des 12 derniers mois calculé par corrélation (gauche) et sa croissance (droite)
Malgré les erreurs intrinsèques à la méthode d’observation utilisée et malgré l’incertitude sur les données extrapolées, l’analyse de la demande d’électricité du Maroc (livraisons ONEE) indique :
- qu’une inversion de signe du rythme annuel de croissance économique se serait produit entre avril et mai 2020 (« début d’effet » COVID),
- que cette inversion de signe du rythme annuel de croissance économique a été rattrapée dans l’autre sens entre mars et avril 2021 (« fin d’effet » COVID),
- qu’un maximum du rythme annuel de croissance économique se serait produit en mars 2022 autour de +6.5%,
- qu’à fin 2022, le rythme annuel de croissance économique se situerait sans doute entre 1.4 et 1.6%, compatible avec les plus récents calculs du HCP à 1.4% dans sa Note de Conjoncture[10],
- qu’à la fin avant de 2022, le PIB aurait eu du mal à dépasser 1’000 milliards de Dh de 2007.
Ces résultats à fin 2022 sont plus fiables que les précédents[11] grâce à la plus grande fiabilité des données électriques de la fin de l’année.
Quels sont les éléments pouvant causer des erreurs sur cette méthode d’observation de l’économie ?
D’abord : extraire une corrélation du structurel (comportement sur 20 ans) et l’utiliser sur le conjoncturel (douze mois glissants) est source d’erreur. Ensuite, , même s’il est vrai que tout ceci se fait avec une certaine inertie, ce conjoncturel contient lui-même des fluctuations d’éléments inter annuels qui perturbent la structure (primaire, secondaire, tertiaire) du PIB qui elle-même influence la consommation d’électricité. D’ailleurs, les fluctuations des données réelles par rapport à la corrélation ainsi que la fluctuation du calcul du PIB pour des 12 mois glissants sont toutes deux surtout dues à la fluctuation dans le temps de composantes dont l’intensité énergétique est différente… donc à l’efficacité énergétique résultante de celles des différents secteurs. A l’instar de toute « l’imagerie médicale », l’observation de l’économie par le biais de l’énergie consommée n’est pas aussi ridicule que l’on pourrait le penser car, l’inertie de l’économie est telle que finalement seules les fluctuations excessives du PIB agricole sont vraiment très gênantes. Et puis, combien de fois n’a-t-on pas révisé les prospectives, ou même les rétrospectives, de la croissance économique ?
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
[1] Royaume du Maroc, Ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement, Portail des statistiques de l’Observatoire Marocain de l’Energie (OME), site web aujourd’hui d’information disparu et toujours non remplacé, https://www.observatoirenergie.ma/data/
[2] Royaume du Maroc, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Réforme de l’Administration, Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF), Notes de Conjoncture, http://depf.finances.gov.ma/etudes-et-publications/note-de-conjoncture/
[3] Royaume du Maroc, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Réforme de l’Administration, Direction du Trésor et des Finances Extérieures (DTFE), Notes de Conjoncture, https://www.finances.gov.ma/fr/Nos-metiers/Pages/notes-conjoncture.aspx
[4] Royaume du Maroc, Bank Almaghrib, Revue de la Conjoncture Economique, http://www.bkam.ma/Publications-statistiques-et-recherche/Documents-d-analyse-et-de-reference/Revue-de-la-conjoncture-economique
[5]Amin Bennouna, « Pas de gaz naturel algérien ? – Pas de problème, le Maroc continue à exporter de l’électricité !« , EcoActu, 03 Février 2022, https://www.ecoactu.ma/gaz-naturel-algerien-maroc-ectricite/
[6] A. Bennouna, « Electricité au Maroc durant le troisième trimestre 2022 et état de la satisfaction de la demande« , EcoActu, 26 Décembre 2022, https://www.ecoactu.ma/electricite-maroc-durant-3e-trimestre-2022/
[7] Amin Bennouna, « Demande et production réelles d’énergie et d’électricité à fin 2021 et au premier trimestre 2022« , EcoActu, 7 Juin 2022, https://www.ecoactu.ma/demande-et-production-reelles-denergie-delectricite-a-fin-2021-et-au-premier-trimestre-2022/
[8] Somme des livraisons d’électricité assurées annuellement par l’ONEE-BE incluant les ventes directes à ses propres clients ainsi qu’aux autres distributeurs d’électricité mais aussi les livraisons effectuées pour le compte des producteurs d’électricité indépendants agissant dans le cadre de la Loi 13/09 sur les énergies renouvelables (calculées avec une perte estimée à 4%).
[9] Amin BENNOUNA, « Les ‘pertes non-techniques’ dans le réseau électrique de l’ONEE engloutissent plus que l’électricité solaire produite à Ouarzazate !« , Webmagazine EcoActu, 28 février 2020, https://DOI.ORG/10.13140/RG.2.2.34602.98248
[10] Haut Commissariat au Plan, « Point de conjoncture du quatrième trimestre 2022 et perspectives pour le premier trimestre 2023« , https://www.hcp.ma/attachment/2400634/
[11] A. Bennouna, « Que dit la demande d’électricité de notre croissance économique de 2022 ?« , EcoActu, 05 Décembre 2022, https://www.ecoactu.ma/que-dit-la-demande-delectricite-de-notre-croissance-economique-de-2022/