Il y au moins deux, sinon trois, définitions de l’efficacité énergétique[vii] :
- La première définition ne relève que des sciences de l’ingénieur (ou de la physique) et traduit la capacité d’un dispositif à réaliser efficacement la conversion en énergie de sortie qu’il produit par rapport à l’énergie qu’il consomme à l’entrée. Il est vrai que « rien ne se perd et rien ne se créé mais tout se transforme« , que toute conversion se fait avec des pertes, et, qu’en conséquence, l’efficacité énergétique technique devrait toujours être inférieure à l’unité. Toutefois, dans trois cas particuliers, les sciences de l’ingénier ont concédé à ignorer (tout en les sachant non négligeables) certaines énergies entrantes, parce qu’elles ne coûtent rien : il existe donc trois cas où l’efficacité énergétique technique peut être, conventionnellement, supérieure à l’unité. Nous en resteront là et ne nous attarderons pas plus sur cette définition.
- La deuxième définition relève des sciences économiques et traduisent la capacité d’un système micro ou macroéconomique à réaliser efficacement la conversion de l’énergie d’entrée qu’il consomme en valeur ajoutée économique. Elle s’exprime alors en Dh par unité d’énergie et dépend très fortement de la structure du PIB et même de la climatologie. C’est à cette définition économique de l’efficacité énergétique économique que se rapportera cet article. L’étude d’une évolution dans le temps exige l’utilisation de Dh constants et lorsqu’on doit comparer plusieurs pays, il faut faire appel à une unité de valeur conservant la parité de pouvoir d’achat.
- En plus des éléments ci-dessus, la troisième définition de l’efficacité énergétique fait intervenir le coût de l’énergie entrante dans le système économique de sorte que l’on se trouve avec un rapport sans dimension qui doit, bien évidemment être supérieur à l’unité puisqu’un système économique qui produit moins de valeur ajoutée que ne lui coûte l’énergie qu’il consomme est mort-né. Il s’agit alors de l’inverse du poids de la facture énergétique rapportée au PIB.
Il est aisé d’affirmer sans ambiguïté que l’efficacité énergétique d’un pays augmente :
- si son PIB augmentait sans augmentation significative de la consommation d’énergie,
- ou bien si, à l’inverse, sa consommation d’énergie baissait sans baisse significative de son PIB.
Mais que devient la course entre le PIB et l’énergie lorsque tous deux augmentent, comme au Maroc ?
ÉVOLUTION DE L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE ÉCONOMIQUE DU MAROC
Dans la Figure 1, les cercles bleus (○) montrent l’évolution de l’efficacité énergétique globale du Maroc, obtenue par la division du PIB du pays (en Dh constant de 2007 par an) divisé par l’énergie finale qui y est consommée (en tep/an, tonnes d’équivalent pétrole annuelles). Si la courbe bleue de la Figure 1 ajuste correctement l’évolution de l’efficacité énergétique, alors son accroissement annuel suit tendanciellement la courbe rouge rapportée à l’échelle de droite. Le passage par ces courbes moyennes évite les fluctuations conjoncturelles qui sont loin d’être invisibles.
Ainsi donc, même si l’efficacité énergétique de 2021 (environ 46 MDh de 2007 par tep) n’a pas encore retrouvé les valeurs maximales de la décennie 1985-1995 (autour de 50), l’observation de l’accroissement tendanciel moyen annuel de l’efficacité énergétique du pays (courbe rouge) permet d’affirmer sans équivoque que le Maroc est structurellement en train de regagner en efficacité énergétique depuis 2015 après qu’elle se soit régulièrement érodée entre 1995 et 2014.
Figure 1 Evolution de l’efficacité énergétique globale et de la croissance de son évolution moyenne
Trop de néophytes confondent encore une amélioration de 12% ou de 20% de l’efficacité énergétique avec une baisse de la consommation d’énergie du même pourcentage. Or, ces deux pourcentages sont deux objectifs d’étape pour l’amélioration de l’efficacité énergétique prévus respectivement pour 2020 et pour 2030 dans la Stratégie Energétique Nationale de 2008, année où sa valeur tendancielle était voisine de 45.6 MDh 2007 / tep pour une consommation d’énergie à 14.85 Mtep. Ainsi donc, entre 2008 et 2020, la consommation d’énergie s’est multipliée par 1,5 à 22.5 Mtep alors que l’efficacité énergétique tendancielle s’est retrouvée à la même valeur que douze ans auparavant. Avec de tels chiffres, l’objectif de -12% n’a certes pas été atteint en 2020, mais nous allons voir pourquoi, depuis que l’efficacité énergétique augmente, il y a matière à être optimiste.
Pour mémoire, l’électricité représente environ 40% de l’énergie finale consommée dans le pays en 2020. Si l’on décompose l’énergie consommée en deux parties :
- électricité nette appelée annuellement (en kWh),
- le reste des autres types d’énergie finale non-électrique consommée (en tep),
on peut alors calculer séparément l’efficacité énergétique partielle de l’électricité et de l’énergie non-électrique, c’est-à-dire leur aptitude à générer de la valeur ajoutée. L’évolution de ces deux efficacités énergétiques partielles est montrée dans la Figure 2 où les ronds bleus (●) représentent l’efficacité énergétique partielle de l’énergie non-électrique alors que les carrés rouges (■) représentent ceux de l’électricité et se rapportent à l’échelle de droite.
Figure 2 Evolutions des composantes électrique et non-électrique de l’efficacité énergétique
On voit que :
- l’efficacité énergétique de l’électricité (■) a perdu plus que celle de l’énergie finale non-électrique (),
- l’efficacité énergétique de l’électricité (■) a cessé de s’éroder au moment où celle de l’énergie finale non-électrique () a amorcé une légère croissance en influençant favorablement l’efficacité énergétique globale du pays.
EXPLICATIONS
Il ne reste plus qu’à donner quelques unes des causes qui ont mené à de telles évolutions.
Electrification rurale : Les programmes successifs d’électrification rurale (d’abord le PNER entre 1978 et 1995 mais surtout le PERG après 1996) ont eu d’abord pour effet d’apporter de la consommation d’électricité domestique sans que celle-ci ne soit significativement contrebalancée par une génération de revenus, ce qui a nettement contribué à la dégradation de l’efficacité électrique et, donc, à l’efficacité énergétique globale du pays. Ce n’est que vers la fin de la décade 2000-2010 que la valorisation de l’électrification rurale va se traduire par une substantielle dissémination d’activités génératrices de revenus (AGR) en zone rurale qui va rétablir la balance de la dégradation de l’efficacité électrique. En dehors des impacts sociaux, cette dissémination d’AGR a représenté un des grands impacts du PERG puisqu’elle aurait pesé jusqu’à 4% du PIB[viii].
Autoproduction de chaleur : Au niveau de l’autoproduction, le parc de chauffe-eau solaires du Maroc[ix] augmente certes lentement mais plus rapidement que le PIB en modérant l’appel au gaz butane et à l’électricité pour le chauffage d’eau sanitaire et, de ce fait, améliore l’efficacité énergétique du pays.
Autoproduction d’électricité : Toujours au niveau de l’autoproduction, le parc de production d’électricité solaire photovoltaïque décentralisée du Maroc9 augmente plus rapidement que le PIB et améliore aussi l’efficacité électrique du pays, que ladite électricité soit dédiée à l’adduction d’eau d’irrigation ou à l’autoconsommation. La récente Loi 82/21 relative à l’autoproduction d’électricité vise à réglementer celle-ci et n’a aucune vocation à l’accélérer mais l’autoconsommation devrait continuer son avancée. L’autoproduction du Maroc, peut dire merci à son soleil radieux ainsi qu’à ses entreprises du secteur solaire qui assurent des prix compétitifs en se livrant une saine concurrence.
Efficacité énergétique technique : Au niveau de la demande d’électricité : des dizaines de millions de lampes conventionnelles à incandescence sont, avec ou sans aide des distributeurs d’électricité, désormais remplacées par des luminaires cinq à six fois plus efficaces (des fluorescents d’abord, des fluocompacts ensuite et des LED en dernier), les appareils électroménagers consommant moins d’énergie sont devenus accessibles (choix, disponibilité, prix et financement) et la mise en service d’équipements efficaces sur le plan technique est de plus en plus courante dans les secteurs secondaire et tertiaire. Il résulte de tout cela que la croissance de la consommation électrique est ralentie, comme montré dans les deux graphiques de la Figure 3. Mais il n’est pas nécessaire que la consommation baisse pour améliorer l’efficacité énergétique puisqu’il suffit que la croissance de l’électricité s’installe durablement en dessous de la croissance du PIB pour que l’efficacité électrique structurelle du pays s’en ressente favorablement.
Figure 3 Evolution et accroissement de l’électricité nette appelée (gauche) et de la puissance maximale annuelle (droite)
En attendant, si l’efficacité électrique moyenne de la période 2005-2015 s’était maintenue :
- l’électricité nette appelée aurait été voisine de 43’000 GWh en 2021 au lieu de 40’500,
- la puissance maximale appelée aurait été voisine de 7’300 MW en 2021 au lieu 6’710.
Indépendamment, il est utile de noter que le ratio de l’électricité nette appelée à la puissance maximale a subi une croissance structurellement soutenue de 20% entre 1980 et 2021, signe que la courbe de charge moyenne annuelle s’aplatit progressivement (le rapport entre le maximum et le minimum horaires moyens de demande en puissance électrique se réduit progressivement).
Transports : Au Maroc, le nombre de véhicules par habitant (insert vert dans la Figure 4) augmente, de même que la consommation d’énergie de transport par habitant (triangles D et courbe bleus dans la Figure 3). Et pourtant, d’abord grâce à l’interdiction de l’importation de véhicules usagés de plus de 5 ans puis à l’accessibilité à des véhicules neufs moins gourmands, le rajeunissement du parc automobile a fait que la consommation spécifique des véhicules automobiles en circulation au Maroc baisse de 0.92% par an depuis près d’un quart de siècle, comme montré dans la Figure 4. Les deux « voitures économiques » ainsi que la récente prime de mise à la casse des vieux taxis participent aussi à ce rajeunissement du parc automobile qui contribue, à son tour, à améliorer l’efficacité énergétique globale du pays.
Figure 4 Evolution de la densité des véhicules (vert), de l’énergie des transports par habitant (bleu) et par véhicule (rouge)
Rendement du réseau électrique : Au Maroc, l’ONEE livre actuellement de l’électricité à trois groupes distincts qui sont : (i) ses propres clients directs (~50%), (ii) les autres distributeurs (~40%) et (iii) les clients des producteurs d’électricité agissant dans le cadre de la Loi 13/09 (~10%). Le « rendement des livraisons de l’ONEE », défini par le rapport du total des livraisons à l’électricité nette appelée[x], est montré dans la Figure 5. Durant la période 2009-2021, ce rendement a structurellement a subi une décroissance structurelle qui s’accélère avec le temps (autour de -0.25% en 2009 à -0.55% par an en 2021). Contrairement aux effets favorables des paragraphes précédents, cette décroissance dégrade d’autant l’efficacité électrique du pays et de -0.22% l’efficacité énergétique globale du pays en 2021 (à cause du poids de 40% de l’électricité dans l’énergie finale).
Figure 5 Evolution du rendement des livraisons assurées par l’ONEE et de son accroissement annuel
CONCLUSIONS
L’électrification rurale ne contribue plus à la dégradation de l’efficacité énergétique, au contraire. L’amélioration de l’efficacité énergétique du Maroc est aussi soutenue par la croissance plus rapide que le PIB de l’autoproduction solaire décentralisée de chaleur et d’électricité, mais elle est aussi supportée par la dissémination d’équipements et de véhicules moins énergivores. Toutefois, il reste encore à arrêter la dégradation du rendement technique du réseau électrique de l’ONEE, même sans nécessairement avoir à l’améliorer, mais cela ne se fera pas sans allocation de ressources.
L’inertie du domaine de l’énergie est énorme. L’amélioration de l’efficacité énergétique exige de prendre des (bonnes) décisions de long terme et de laisser s’écouler suffisamment de temps avant d’en constater les effets sur le terrain, les déclarations intempestives sur les aspects conjoncturels ne servent à rien.
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
[i] Banque Mondiale, https://donnees.banquemondiale.org/pays/maroc?view=chart
[ii] Royaume du Maroc, Ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement, Portail des statistiques de l’Observatoire Marocain de l’Energie (OME), https://www.observatoirenergie.ma/data/
[iii] Royaume du Maroc, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Réforme de l’Administration, Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF), Notes de Conjoncture, http://depf.finances.gov.ma/etudes-et-publications/note-de-conjoncture/
[iv] Royaume du Maroc, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Réforme de l’Administration, Direction du Trésor et des Finances Extérieures (DTFE), Notes de Conjoncture, https://www.finances.gov.ma/fr/Nos-metiers/Pages/notes-conjoncture.aspx
[v] Royaume du Maroc, Bank Almaghrib, Revue de la Conjoncture Economique, http://www.bkam.ma/Publications-statistiques-et-recherche/Documents-d-analyse-et-de-reference/Revue-de-la-conjoncture-economique
[vi] Haut Commissariat au Plan, Annuaire Statistique du Maroc, Version électronique après 2013 https://www.hcp.ma/downloads/Annuaire-statistique-du-Maroc-version-PDF_t11888.html, Version papier ou scannées avant 2013 https://cnd.hcp.ma/
[vii] Amin Bennouna, Cours de « Conversion – ressources – efficacité et émissions de gaz à effet de serre par l’énergie (CREE énergie)« , https://DOI.ORG/10.13140/RG.2.2.35083.03365
[viii] M. Aboufirass, A. Bennouna, « Etude des impacts économiques du PERG , Programme d’Electrification Rural Global du Maroc », Commande de l’Office National de l’Electricité (2008), Document non public.
[ix] Amin Bennouna, « The increasingly important role of decentralized solar energy in Morocco« , Applied Journal of Environmental Engineering Science (ISSN: 2509-2065), 7-1 (2021) Pages 18-41, https://DOI.ORG/10.48422/IMIST.PRSM/ajees-v7i1.24354
[x] A. Bennouna, « Les “pertes non-techniques” dans le réseau électrique de l’ONEE engloutissent plus que l’électricité solaire produite à Ouarzazate !« , EcoActu, 28 Février 2020, https://www.ecoactu.ma/les-pertes-non-techniques-dans-le-reseau-electrique-de-lonee-engloutissent-plus-que-lelectricite-solaire-produite-a-ouarzazate/
Sauf quand spécifiquement mentionné, nous nous référons à des sources de départ officielles : internationales pour les revenus[i], nationales pour les données énergétiques[ii], [iii], [iv], [v], [vi].