Ecrit par S. Es-Siari |
La relance économique ne peut se faire au prix de la réduction des recettes publiques. Il est temps que l’équipe au pouvoir active les recommandations des 3èmes Assises sur la fiscalité tenues en 2019. Autrement, c’est comme un coup d’épée dans l’eau.
Le dernier rapport de Oxfam a mis en exergue le renforcement des inégalités pendant cette période de crise. D’ailleurs pour y remédier, l’ONG appelle de tous ses vœux à taxer la richesse, afin de combattre le « virus des inégalités » bien persistant. Cette situation n’est pas étrangère au Maroc qui a vu le fossé entre les riches et les pauvres s’élargir davantage tout au long de la pandémie.
Il suffit d’éplucher les enquêtes du HCP sur l’impact du Covid19 sur l’activité des entreprises pour se rendre compte que les grandes entreprises ont bien pu résister à la crise.
Rien que pour les anticipations en matière d’investissements, les statistiques fournies par le HCP montrent que 10.9% des Grandes Entreprises (GE) sont optimistes et anticipent une augmentation du niveau d’investissement en 2021. Cette proportion est de 8.3% chez les PME et 5.4% pour les TPE.
Dans certains secteurs tels que l’agroalimentaire, les industries extractives, la Chimie-parachimie, la santé…, la crise n’a pas pu les vaincre et les fondamentaux sont presque tous au vert.
La fiscalité, ce fameux goulet
Tel un serpent de mer, à l’occasion de chaque crise, la fiscalité ou plus précisément la pression fiscale est souvent pointée du doigt comme facteur de blocage de compétitivité et d’accentuation de l’iniquité.
Or, l’une des recommandations phares des assises nationales sur la fiscalité tenues en mai 2019 est la réduction de cette pression qui pèse de tout son poids sur l’attractivité de l’économie. Elle y figure en bonne position.
D’aucuns considèrent que la pression fiscale marocaine, située autour de 20% du PIB, est conforme aux moyennes internationales.
Mais ils reconnaissent tout de même que ce taux cache une pression fiscale beaucoup plus élevée sur les contributeurs effectifs. Il s’agit essentiellement des classes moyennes salariées pour l’IR et des entreprises du secteur formel pour l’IS et la TVA. C’est là où le bât blesse.
Cette situation n’est bien entendu que la résultante de l’étroitesse de la base fiscale : 300 entreprises réalisent 50% de la fiscalité IS/IR/TVA. Les dépenses fiscales représentent 3% à 4% du PIB.
À cela s’ajoute une fiscalité locale complexe qui manque de cohérence, d’efficience, d’équité et de lisibilité.
Pis encore, en dépit des défis environnementaux, le pays manque d’un dispositif complet de fiscalité environnementale et énergétique. Bref, il s’agit d’une alchimie de maux qui font de notre système fiscal actuel ce qu’il est aujourd’hui. Un système nécessitant un vrai lifting comme ne cessent de le proclamer souvent les opérateurs.
Régulièrement décrié par la communauté d’affaires, le système fiscal marocain est au centre de la conversation nationale depuis plusieurs décennies et a fait l’objet de nombreux débats réunissant l’ensemble des protagonistes. Effectivement le point d’orgue de ces échanges s’est déroulé lors des très attendues assises sur la fiscalité, organisées le 4 mai 2019.
Lesdites assises ont donné lieu à un ensemble de recommandations et à des échanges parfois vifs entre pouvoirs publics et opérateurs s’estimant injustement visés par des campagnes de redressement fiscal. Des campagnes qu’ils jugent trop brutales.
Bientôt deux ans se sont écoulés depuis ces assises, et bien que globalement cohérentes, ses recommandations n’ont été suivies que partiellement par le département des finances.
« Ledit département a refusé d’abandonner certains « totems » tels que la cotisation minimale ou le droit de détachement des dividendes, pourtant abandonnés dans la plupart des économies internationales », tiennent à rappeler les analystes de l’IMIS* dans une récente étude.
Et pourtant, sous la pression de l’OCDE et de l’Union européenne, la Loi de Finances 2020 a connu des évolutions substantielles en matière d’harmonisation des régimes fiscaux afin de prémunir le Maroc du risque de classement en « liste noire » de l’UE.
Autrement dit, les opérateurs nationaux n’ont pas fait le poids pour faire aboutir leurs requêtes qui datent depuis belle lurette. En 2021, la Loi de Finances est claire comme de l’eau de roche à ce sujet. Hormis quelques mesurettes, rien n’a quasiment changé en faveur d’une équité fiscale. On ne s’y attendait pas d’ailleurs face à un tarissement des recettes et fiscales et à la persistance voire l’envolée des dépenses.
Une chose est sûre : le Maroc ne peut assurer la relance économique tant attendue faisant fi de la fiscalité. Il est appelé à revoir son système fiscal au service de la réduction des inégalités trop criardes et de financement de politiques publiques plus justes ambitieuses et redistributives. La relance doit se faire sur la base d’une assiette plus large et d’une fiscalité progressive.
Vaille que vaille, la relance économique ne peut se faire au prix de la réduction des recettes publiques. Il est temps que l’équipe au pouvoir active les recommandations des assises sur la fiscalité. Autrement, assurer la relance restera un vœu pieux.
*Les recommandations clés de l’IMIS à retenir pour faire de la fiscalité un levier du développement économique sont les suivantes :
Aller progressivement vers un taux d’imposition unifié sur les sociétés de 15% en supprimant les distinctions offshore/onshore couplé à une réforme et simplification de l’impôt forfaitaire unique à un taux de 10% pour les TPME en incluant IS, cotisations sociales et impôts locaux et mettre fin aux changements fréquents des règles fiscales à l’occasion de chaque loi de finances.
▪ Supprimer la cotisation minimale et autres taxes et impôts contre-productifs ;
▪ Rationaliser les bases de la taxe d’habitation et autres taxes à base foncière et introduire une forme de taxation progressive sur le patrimoine pour donner corps à la solidarité nationale.
▪ Restructurer les strates d’imposition à l’IR sur une base de contribution des ménages et en défiscalisant les dépenses de scolarité des enfants et les pensions de retraite ;
▪ Fiscaliser la couverture du risque santé pour accélérer la mise en place de la couverture universelle. Une part importante des dépenses de santé est dans les faits déjà couverte par la fiscalité (via le RAMED en particulier) ;
▪ Parallèlement à cela, mettre en place un système attractif d’assurance retraite pour les travailleurs indépendants, avec un pilier par répartition et un pilier par capitalisation qui pourra contribuer au financement de l’économie, à travers les véhicules d’épargne collective / fonds mutuels / assurance-vie ;
▪ Associer la réforme de la fiscalité à une amnistie fiscale d’ampleur destinée à régulariser la situation de contribuables qui voudraient sortir de l’informalité. Coupler l’amnistie avec des facilités pour acheter des droits à la retraite.
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