L’entreprise et plus globalement le secteur privé sont un relais de croissance et de développement de tout pays. Au Maroc, la situation est très contrastée : d’aucuns savent que point de développement ni de croissance sans un secteur privé fort et des entreprises en bonne santé. Pourtant, le secteur traîne des boulets qui l’empêchent un fort essor du royaume. Le plus gros frein au développement du secteur privé n’est nullement le financement comme on pourrait le croire mais plutôt l’iniquité entre opérateurs qui mine le principe de libre concurrence dans le pays et décrédibilise les efforts entrepris envers ce secteur particulièrement les petites et moyennes entreprises.
D’ailleurs dans son dernier document sur la création des marchés au Maroc, la Banque mondiale ne manque pas de souligner que « en termes de politique de concurrence sur le marché, le Maroc est perçu comme étant à la traîne par rapport à ses pairs régionaux et aux pays de comparaison. Cet écart a un impact sur la perception des risques par le secteur privé, compte tenu notamment de l’existence d’intérêts particuliers et de pratiques clientélistes ».
Pour l’institution de Brettons Woods, la concurrence limitée sur certains marchés marocains peut provenir d’une combinaison de réglementations restrictives ou de l’application discrétionnaire du cadre réglementaire qui rendent l’entrée et l’exploitation de nouvelles entreprises difficiles ; de distorsions du marché dues à un traitement inégal de certains opérateurs ; et d’une mise en œuvre inefficace de la politique de concurrence.
Une autre institution appelle au renforcement de la concurrence, cette fois-ci marocaine. En effet, le Centre Marocain de Conjoncture révèle dans sa dernière publication mensuelle « Maroc Conjoncture » que « La hausse des prix des carburants sur le marché intérieur ne cesse de susciter des interrogations quant à l’efficacité des mécanismes de concurrence sur ce marché. L’écart des variations des prix depuis l’importation jusqu’au consommateur final laisse penser que les opérateurs du secteur, profitant de la libéralisation récente des prix, ont tendance à surévaluer les coûts d’approvisionnement, de stockage et de distribution des produits et fixer, en conséquence, leurs marges bénéficiaires à des niveaux de plus en plus élevés ».
Face à cette situation on se rappelle encore de la volonté de Lahcen Daoudi, ministre délégué auprès du chef de gouvernement chargé des affaires générales et de la gouvernance concernant la réglementation des prix des carburants liquides. Une option déboutée pour le conseil de la concurrence mais ce dernier n’a toujours pas livré son travail d’enquête sur d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles par certains opérateurs du marché. Pour le CMC, sur ce secteur l’action des pouvoirs publics devrait s’orienter vers le renforcement de la concurrence, l’ouverture du secteur à de nouveaux acteurs et la reprise de l’activité de raffinage.
Pour que les marchés fonctionnent mieux, la Banque mondiale estime qu’il est nécessaire de s’attaquer aux réglementations et pratiques gouvernementales qui restreignent la concurrence sur le marché ou affaiblissent l’application des politiques de concurrence. La mise en œuvre effective des règles de concurrence et des instruments réglementaires connexes comme le cadre des marchés publics est tout aussi importante. À cette fin, il est essentiel de coordonner les efforts politiques des organismes publics et privés pour créer un environnement commercial compétitif et promouvoir des marchés ouverts et contestables, afin de créer des incitations à l’entrepreneuriat et d’accroître les pressions pour innover.
Un secteur particulier a montré l’importance de la concurrence aussi bien sur la qualité des produits que de prix au grand bonheur du client final. Il s’agit du cas typique des télécommunications avec un régulateur, l’ANRT, qui veille au grain.
Par contre d’autres secteurs sont à la traîne, notamment l’électricité, l’Autorité nationale de régulation de l’électricité (ANRE), chargée notamment d’assurer l’accès et la régulation des tarifs, n’a pas encore été créée malgré l’adoption d’une loi en ce sens en 2016. Aujourd’hui, les tarifs d’accès sont fixés par une commission interministérielle qui supervise les activités des prestataires privés et applique la réglementation en cas de conflit.
Si la Banque mondiale estime que le contrôle des prix sur un certain nombre de marchés réglementés et non réglementés peut fausser davantage les incitations des entreprises privées à participer à ces marchés et à fournir des biens et services de qualité. Le cas des hydrocarbures révèle que les opérateurs également doivent jouer le jeu.
L’autre élément sujet à débat est la concurrence entre entreprise publique et entreprise privée. Plus de la moitié des secteurs dans lesquels des entreprises publiques sont présentes (12 sur 23) sont des secteurs non liés aux infrastructures. Il s’agit de secteurs qui peuvent généralement être desservis par des exploitants privés, notamment la fabrication (produits pétroliers raffinés, métaux de base, produits du travail des métaux), le commerce de gros, les restaurants et les hôtels, souligne la Banque mondiale. Pour autant, cela ne doit déranger en rien si le principe de neutralité concurrentielle est appliquée à toutes les entreprises ! Et neutralité fiscale également, lorsqu’on sait que si les entreprises publiques sont assujetties à la TVA, certaines sont exonérées de l’impôt sur les sociétés et peuvent bénéficier de recettes parafiscales instituées à leur profit.
La Constitution de 2011 protège à la fois le droit à des marchés concurrentiels (articles 35 et 36) et le rôle du Conseil de la concurrence en tant qu’institution indépendante (article 166), tandis que l’obligation pour les entreprises publiques et les opérateurs des marchés réglementés d’agir dans un esprit propice à la concurrence est consacrée par plusieurs lois. Cependant, certains aspects de la loi sur la concurrence soulèvent également des préoccupations en termes de concurrence. La Banque Mondiale souligne ainsi la portée des exemptions potentielles qui risquent de compromettre l’efficacité de la loi. « Bien que le Conseil de la concurrence n’ait pas fonctionné entre 2014 et 2018, l’approbation de fusions susceptibles d’avoir une incidence anticoncurrentielle sur le marché a été donnée par le Cabinet du Premier ministre. Des facteurs non techniques et des intérêts politiques peuvent ainsi influer sur l’examen et les parties à la fusion doivent supporter des coûts importants (honoraires, conseils juridiques et autres exigences liées à la notification des fusions), même si aucune évaluation en termes de concurrence, ni mesures de correction pour limiter les effets négatifs pour la concurrence n’ont été proposées», note le rapport de la Banque mondiale.
Le plus important dans tout ce portrait dressé est que l’Etat dit être en mesure de faire respecter la loi et sanctionner tout opérateur qui ne la respecte pas aussi important soit-il.