Ecrit par Imane Bouhrara |
La problématique de la sécurité alimentaire est récurrente en Afrique, continent pourtant riche par ses ressources naturelles. Une question exacerbée à l’aune de chaque crise qui interpelle à une prise de conscience de la valeur ajoutée de la recherche scientifique pour tirer profit et performance de ces atouts naturels. Les Tables Rondes de l’Arbois organisée à l’UM6P ont été également l’occasion d’attirer l’attention sur l’importance de changer la mesure de la performance sociale à la base de notre système économique.
Les crises se suivent et se ressemblent rendant à l’évidence les limites de la doctrine néo-libérale et l’intégration au marché mondial en matière de sécurité alimentaire. L’Afrique en connait un rayon dans ce sens, lorsque les prix des denrées alimentaires s’affolent provoquant une hausse des prix intérieurs hors de portée des bourses des ménages.
Encore une fois la crise du Covid-19 et celle de l’Ukraine ont fait voler en éclat le principe de solidarité acculant les pays dépendants au marché mondial à approvisionner au prix fort avec toutes les conséquences sur la balance des paiements, les réserves de change, le pouvoir d’achat de la population. Un scénario appelé à se répéter indéfiniment si les paradigmes ne changent pas.
D’où l’intérêt accordé à cette question par la 12ème édition des Tables Rondes de l’Arbois, organisée par l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), avec le soutien de l’OCP, les 9 et 10 Mars 2022 à Benguerir sous le thème « Nourrir le Monde : les enjeux, les limites ».
« Jusqu’à présent, nous avons donné trop d’intérêt à l’économie, au PIB né il y a 90 ans à la suite de la crise de 1929… or si l’on compare l’augmentation du PIB, il est en parfaite corrélation avec l’augmentation de la consommation de l’énergie fossile, cela veut dire que c’est ce modèle économique qui a entraîné la dégradation de toutes nos valeurs naturelles, de toutes les richesses naturelles qui sont des biens communs et qui n’étaient pas mesurables. Donc il faut changer la mesure de la performance sociale à la base de notre système économique. Il faut donner un véritable prix à la nourriture et pour ça il faut donner un prix à l’eau, un prix à la qualité de l’air, un prix au sol, un prix aux forêts et les introduire dans le calcul du PIB. C’est le seul moyen qui nous permettra de partir sur des bases saines et d’arriver à un nouveau modèle économique pour les 20 ans à venir », explique Daniel NAHON, Professeur émérite Aix Marseille Université, Institut Universitaire de France.
L’intérêt de cet événement qui se tient pour la première fois hors France, est de réunir une quarantaine de sommités scientifiques pour débattre des thématiques qui concernent la valorisation de la culture scientifique autour de ce sujet d’intérêt général, tout en assurant l’accessibilité et la compréhension de son apport scientifique.
« La thématique est liée à la nourriture, les enjeux et les limites. Comme vous le savez, le continent africain dispose des terres arables non encore utilisées les plus importantes au niveau mondiale. L’Afrique sera la solution d’avenir à la question de la sécurité alimentaire. Pour pouvoir y arriver, nous devons dès à présent intégrer les résultats de résultats de la recherche, innovation et développement afin de pouvoir améliorer la productivité des sols africains tout en respectant les enjeux du développement durable et tout en intégrant les questions liées au changement climatique. Pour ce faire, les thématiques discutées durant cette édition sont liées à l’utilisation durable des nutriments au sol, à la gestion des parcelles en intégrant les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle et l’irrigation raisonnée », soutient Hicham El Habti, Président de l’UM6P.
Il démontre également comment la recherche scientifique doit être mise au profit du bien commun et peut contribuer à l’objectif tout compte fait légitime de l’indépendance alimentaire pour les pays africains dont le Maroc.
« Ici à l’UM6P, la thématique de l’agriculture est très importante à laquelle nous consacrons beaucoup de ressources. Nous avons des fermes expérimentales qui permettent à nos chercheurs d’expérimenter de nouvelles variétés de semences, de nouvelles pratiques agricoles que nous partageons par la suite avec les fermiers et les agriculteurs aussi bien au Maroc qu’en Afrique subsaharienne », ajoute-t-il.
Pour Daniel Nahon, « Il ne peut pas y avoir aujourd’hui une recherche scientifique qui ne soit admise par la population. Ça me semble très clair. Il y a une distance entre la recherche scientifique et l’innovation et l’acceptation par la société de ces innovations. Au 21e siècle, nous devons travailler ensemble pour qu’il y ait automatiquement une connaissance par la population d’une manière simple de ce qui est fait au niveau scientifique et des applications qui en sortent. Les Tables Rondes de l’Arbois ont été créées il y a plus de 12 ans dans le but d’inviter l’opinion publique à écouter les plus grands scientifiques même si cela dérange et surtout si cela dérange. A partir de là, on pourra avec la population trouver des solutions aux grands problèmes de la société ».
Aujourd’hui encore, la nutrition durable demeure un objectif majeur de développement en Afrique. Cette édition cherche à renforcer la communication entre la communauté scientifique et un public en quête perpétuelle de réponses basées sur la science exacte. Après c’est autour des décideurs de saisir les enjeux et de tenir compte des enseignements à tirer pour œuvrer en faveur de la sécurité alimentaire avant qu’une nouvelle crise ne survienne.