Face aux nouvelles aspirations de l’Exécutif notamment la substitution aux importations, ne serait-il pas opportun de réviser à la baisse le seuil des 5 mois de réserves de change, niveau jugé adéquat selon la Banque Centrale, et réinjecter le différentiel dans le circuit économique ? D’autant que ce matelas de devises coûte cher ! Décryptage.
De cette crise sanitaire profonde et inédite, bien des enseignements ont été tirés et de leçons assimilées. La crise sanitaire liée à la Covid-19 n’est certainement ni la première ni la dernière pandémie, d’autres risquent de pointer du nez à tout moment.
Elle a suscité chez les économies même les plus récalcitrantes l’intérêt pour le protectionnisme. Effectivement, depuis la crise financière de 2008, les échanges internationaux sont au ralenti. Protectionnisme américain, guerre commerciale, Brexit et aujourd’hui le Coronavirus… autant d’évènements perturbateurs du commerce mondial et de son organisation multilatérale de plus en plus déstabilisée.
En pleine période de crise sanitaire, les économies toutes catégories confondues ont mis en place des mesures draconiennes à même de protéger leur tissu économique contre les différents aléas et pour sortir indemne de cette crise. Même les pays les plus attachés à l’orthodoxie budgétaire.
Pour sa part, le Maroc a pioché çà et là pour riposter autant que faire ce peu aux premiers impacts de la crise, notamment l’utilisation de l’instrument budgétaire et de la politique monétaire… du moins jusqu’à la limite tracée par son Wali Abdellatif Jouahri, tel un gardien du temple.
En effet, dans cette équation de la gestion macroéconomique une contrainte persiste : la Banque centrale garde toujours un œil sur les niveaux de réserves de change et ses décisions sont extrêmement sensibles à l’évolution de ces dernières à telle enseigne que l’on puisse qualifier cela d’obsession.
Dans sa politique monétaire, Bank Al-Maghrib appréhende que toute réduction du taux directeur puisse booster la demande agrégée dont une partie peut être vouée à l’achat de produits étrangers. Lors du dernier conseil de BAM, Abdellatif Jouahri table sur 289 Mds de DH de réserves à fin 2021, soit une couverture autour de 6 mois et 20 jours d’importations de biens et services. Qu’à cela ne tienne !
Les produits made in morocco et substitution… il faut du temps que nous n’avons pas
Il sied de rappeler tout de même que le Maroc importe plus que ce qu’il exporte comme en atteste le déficit structurel de sa balance commerciale et, par ricochet, met en péril la viabilité de notre régime de change.
Maintenant avec cette crise économique, les pouvoirs publics ont pris la pleine mesure de l’importance de réduire la dépendance du Maroc du marché international. Pour ce faire des mesures ont été préconisées notamment la préférence nationale et la promotion des produits marocains.
Ajoutons à cela, la substitution aux importations que se fixe le nouveau PAI 2021-2023 et dont le but est justement de réduire le déficit de la balance commerciale. L’Exécutif vise une économie de 34 Mds de DH.
C’est pour dire que la crise a significativement chamboulé les dogmes économiques et les pouvoirs publics sont de plus en plus conscients de l’enjeu et des fortes attentes en ce qui concerne l’autonomie voire la résilience de l’économie.
Face à cette nouvelle politique, n’est-il pas temps de changer de paradigme et ne pas continuer à être obsédé par la nécessité de disposer d’avoirs étrangers dépassant les 5 mois d’importations ?
Plus précisément n’est-il pas judicieux de réviser à la baisse ce seuil des 5 mois d’importations des avoirs extérieurs, niveau adéquat selon la Banque Centrale, et réinjecter le différentiel dans le circuit économique ?
Interrogé sur la question, l’économiste et universitaire, Najib Akesbi s’est arrêté longuement sur ce que nous qualifions de niveau adéquat.
« Tout d’abord en ce qui concerne le niveau adéquat, il faut savoir que lier le niveau des réserves de change simplement aux importations de biens est très insuffisant. Parce que nous sommes amenés à faire face à des engagements multiples pour ne citer que le service de la dette extérieure. Autrement dit, les engagements du Maroc vis-à-vis de l’extérieur ne se limitent pas uniquement aux biens mais également aux services et aux transferts de devises liés au service de la dette extérieure », précise Najib Akesbi. « En toute rigueur, l’équation est biaisée. Même le FMI lorsqu’il veut faire pression sur un pays, il compte l’ensemble des engagements mais quand il se veut conciliant et indulgent, il ferme les yeux et se limite aux importations de biens».
Mieux encore, on ne trouve aucune étude scientifique ou académique qui dicte de se limiter à trois, quatre, cinq mois d’importations ou plus. Tout simplement parce ce que nous évoluons dans un environnement extrêmement instable.
Pour le cas du Maroc, compte tenu de nos importations et du poids des biens à cours volatils (pétrole, blé, sucre…), il est évident que le volume de devises nécessaire pour acquérir la même quantité de blé ou de pétrole va être très variable dans le temps. Donc se fixer dans l’absolu un volume équivalent à tant de mois d’importations n’est pas pertinent. Tout au plus peut-on se faire une idée en dynamique (non en statique), lorsqu’on dispose d’une évolution sur un laps de temps suffisamment long, il est alors possible de se faire une idée, non sur le niveau, mais sur le trend, la tendance vers le renforcement ou l’affaiblissement des réserves de changes du pays.
Un autre économiste partage l’idée que la Banque Centrale est effectivement obsédée par ce niveau qu’elle juge adéquat des avoirs à l’étranger. « Au moment où le FMI fixe la barre à trois ou à quatre mois d’importations, elle s’obstine à détenir 6 mois d’importations ». Et d’enchaîner : « Autrement dit, la Banque Centrale surestime le risque ».
Mais, l’économiste reste tout de même convaincu que les réserves de change ne doivent pas baisser au-delà d’un certain seuil afin que le Maroc puisse continuer à financer les importations incompressibles (biens d’équipement, énergie, blé…).
Que ce soit la préférence nationale ou la substitution aux importations, ce sont des politiques qu’il faut prendre avec prudence parce que la tâche ne sera pas du tout aisée et s’étalera bien dans le temps.
Sinon qu’est ce qui nous a empêchés, il y a quelques années de cela, de recourir à la substitution aux importations ? Tout simplement parce que les opérateurs marocains ne sont pas compétitifs. Or, si on souhaite limiter les importations, il faut agir sur la qualité plus que les prix.
Même son de cloche chez l’éminent économiste Najib Akesbi qui se veut être très réaliste. « Oui mais lorsque nous parlons de préférence nationale ou de substitution à l’importation, cela veut dire que nous sommes en mesure d’avoir une production en substitution. La première hypothèse qui sous-tend cette aspiration est d’avoir un tissu productif local à même de le faire », tient-il à rappeler.
Nous sommes dans une sorte de décalage temporel entre les deux phénomènes. Il est facile d’arrêter l’importation d’un produit donné mais si vous n’avez pas la production de substitution pour satisfaire la demande, il faut attendre un certain temps, si ce n’est un temps certain…
C’est là d’ailleurs le rôle du gouvernement qui doit agir dans le sens de la cohérence entre la substitution à l’importation et la robustesse du tissu économique national.
Et Akesbi d’ajouter : « Il faut aller chercher la substitution dans les branches industrielles où le taux d’utilisation des capacités de production n’est pas pleinement utilisé. C’est là où il faut trouver les niches d’import substitution pour gagner des devises ».
Toutes choses étant égales par ailleurs, l’abaissement de l’exigence du niveau des réserves ne peut pas aller au-delà de ce gain de devises liées à l’import substitution. Sinon on risque de se retrouver face à un sérieux problème pour le financement des biens incompressibles.
Il faut aussi reconnaître que indépendamment même de la volatilité des cours des produits importés, le Maroc souffre d’un réel problème de sècheresse. Année de tous les records, en 2020, nous avons importé plus de 70 millions de quintaux de céréales. Une inconnue ou un aléa qui plaide en faveur du maintien d’un matelas raisonnable de devises.
Oui pour des avoirs à l’étranger qui équivalent à 6 mois d’importation. Mais à quel prix ?
A rappeler que pour assurer un tel niveau, le Maroc s’endette à tour de bras. Rien qu’en mars dernier, avec l’éclatement de la pandémie de la Covid-19, le Maroc a procédé le 07 avril 2020 au tirage de la totalité de la 4ème ligne de Précaution et de liquidité (LPL) pour un montant équivalent à 3 Mds de dollars.
Le recours à cette ligne de précaution permettrait de maintenir les réserves de change à un niveau confortable (mais à quel prix) à même d’assurer la stabilité du marché de changes.
Dans le même ordre d’idées, compte tenu de la crise sanitaire, le décret-loi 2-20-320 a autorisé le gouvernement à dépasser le plafond des financements extérieurs déjà fixé pour l’année budgétaire 2020. Le potentiel des mobilisations extérieures pour cette année a été augmenté de près de 30 Mds de DH.
Le but escompté est le maintien du stock des avoirs extérieurs à des niveaux toujours adéquats étant donné que des secteurs d’activité, générateurs de recettes en devises étrangères, ont été impactés profondément par les mesures d’état d’urgence sanitaire.
L’Etat utilise les quelques moyens qu’il peut encore actionner, principalement à court terme, particulièrement le recours massif à l’emprunt. Mais, si la relance n’est pas au rendez-vous, si les plans de relance ne sont pas suivis des effets escomptés et si le Maroc est frappé d’une autre année de sècheresse, une telle solution, c’est-à-dire l’emprunt, n’est pas viable sur le long terme.
L’Etat ne peut pas emprunter en permanence. Sinon sa souveraineté serait bafouée par l’immixtion des bailleurs de fonds dans les affaires économiques et sociales du pays.
Voir également : [HIWAR] PLF2021, SUBSTITUTION, RÉVISION ALE, CODE DES DOUANES… HAKIM MARRAKCHI DIT TOUT