Ecrit par Soubha Es-Siari |
L’utilisation de ressources non conventionnelles permettrait de limiter ou réduire la pression sur les ressources conventionnelles. Sont appelées ressources non conventionnelles les eaux pluviales, les eaux provenant du dessalement d’eaux de mer ou saumâtres et la réutilisation d’eaux usées traitées. Elles présentent chacune des avantages et des inconvénients quant à leur gestion et leurs usages.
La problématique du stress hydrique pèse de plus en plus sur les orientations économiques de certains pays notamment du continent africain à telle enseigne que l’on se pose la question s’il est possible de parler dans les conditions qui prévalent actuellement d’une guerre de l’eau. Ladite question a été posée lors du Webinaire organisé ce mardi 18 mai par l’Institut CDG sous le thème : « La mobilisation des eaux non conventionnelles au cœur du dispositif national de sécurité hydrique ».
Etaient présents à ce webinaire, Rémi Bourgarel, fondateur et président de services pour Environnement, Patrice Fonlladosa, président du Think Thank (Re)Sources, Rajae Elksabi, expert gestion des risques inondations à Novec et Rajae Elksabi, expert gestion des risques inondations à Novec.
Ils ont pris part à cette rencontre virtuelle pour faire part de leur savoir et expérience dans un domaine de plus en plus compliqué où la denrée eau devient complexe voire problématique.
Fort heureusement, bien que l’eau soit une source vitale, la guerre de l’eau n’est pas déclenchée. Les intervenants sont tous d’accord que valeur aujourd’hui, on ne peut parler d’hostilités entre pays liées à l’eau. Ils espèrent que la sagesse prévaudra toujours.
Mais cela n’empêche pas de dire que la guerre consistant à mobiliser des ressources en interne dans les pays concernés et même au plan mondial pour garantir cette denrée de plus en plus rare a bel et bien commencé. Et pour cause, si l’on prend le cas du Maroc, des secteurs aussi névralgiques pour l’économie tels que l’agriculture, l’industrie, le tourisme, des secteurs boulimiques en consommation d’eau sont menacés par le stress hydrique. D’où la nécessité qu’ils s’adaptent à ce nouveau contexte.
Rémi Bourgarel, fondateur et président de services pour Environnement a bien parlé de guerre. Mais d’après lui, cette guerre a réellement commencé en matière de compétence et de dotation de technologies pour être compétitif en la matière. « La compétition a commencé entre l’usage agricole, l’usage domestique, l’usage industriel », explique-t-il.
Face à l’explosion de la demande, la voix de salut est d’être compétent dans la maîtrise des technologies pour se ressourcer par le biais des eaux non conventionnelles.
Aussi, en terme de budget, Rémi Bourgarel annonce qu’il faut s’attendre à des dépenses en eau supérieures aux dépenses d’ordre militaire.
Patrice Fonlladosa, président du Think Thank (Re)Sources rappelle dans son intervention que le besoin en eau répond à une demande dont il faut bien définir les caractéristiques. La première caractéristique c’est l’augmentation de la population à desservir qui, dans le cas du Maroc, a bondi à 37 millions en 2020 (contre 20 millions en 1980).
La seconde caractéristique concerne la concentration urbaine qui caractérisera la demande dans les années à venir.
La troisième caractéristique n’est que le changement climatique qui est très visible et de plus en plus marqué par les sècheresses récurrentes et les inondations.
Aujourd’hui les besoins estimés qui sont évalués aussi bien par les Nations Unies que par un certain nombre d’observateurs y compris des cabinets conseils sont de l’ordre de 510 Mds de dollars par an sont nécessaires pour répondre aux besoins de la demande mondiale dont 25 à 27 Mds de $ par an en Afrique. L’enjeu est important pour un continent qui n’est pas à l’abri des rafales du changement climatique.
A noter que les chiffres précités concernent uniquement les investissements sans les coûts de fonctionnement et de renouvellement qui sont récurrents et qui sont également onéreux.
La question qui se pose d’emblée : c’est comment faire face à ces défis ?
Le premier axe des défis concerne la tarification de l’eau dans la mesure où le tarif doit être socialement acceptable.
Le second est relatif à l’efficacité opérationnelle. Aujourd’hui au Maroc, le rendement de l’eau des régies se situe à 65%. Ce qui n’est pas préoccupant. Mais il y a encore du chemin à faire.
Le troisième point important est d’avoir un esprit libre en matière de mutualisation. Autrement dit, quand l’eau ne peut pas s’auto-payer, il faut avoir les capacités de mixer les flux dans un seul compte de résultat. Il s’agit de subventionner les tarifs de l’eau par ceux de l’énergie. C’est un choix politique fondamental et c’est vraiment l’épine dorsale des deux autres points.
A son tour Taoufik Merzouki Zerouli, DG de Novec rappelle que le Maroc est soumis à un régime hydro-climatique vulnérable, il dispose de ressources en eau limitées variables dans le temps et inégalement réparties dans l’espace. Pour éviter les confusions, l’indicateur à retenir pour évaluer la capacité de stockage aménagée par habitant doit inclure l’eau contenue dans les barrages. A ce titre, force est de constater que cette capacité a connu une réelle augmentation passant de 155 m3 par an par habitant en 1960 à 560 m3 par an par habitant aujourd’hui.
Selon Merzouki, il ne faut pas négliger les efforts déployés par les pouvoirs publics en ce qui concerne la politique de l’eau et le taux d’accès de la population à l’eau potable qui est passé de 20% à plus de 95% aujourd’hui. Seuls 5% de la population n’ont pas accès à l’eau potable. « Le Maroc a évolué d’un pays dépendant de la coopération avec certains partenaires à un pays autonome avec un réel écosystème. Via les plans directeurs, les plans d’aménagement de l’eau… le Maroc est doté de projections à l’horizon 2050 », précise Merzouki.
Mobilisation des eaux non conventionnelles : est-ce la panacée ?
« Dans un pareil contexte, la mobilisation des eaux non conventionnelles est incontournable », insiste Rajae Elksabi, expert gestion des risques inondations à Novec. Pour la réutilisation eaux usées, le programme national de l’eau (PNE) a cité à l’horizon actuel un potentiel de 700 millions de m3. Le programme national d’assainissement actualisé a prévu un objectif d’utilisation des eaux usées de 55%. Par contre, le PNE qui a suivi a été plus prudent limitant cet objectif à 30% parce que l’utilisation de cette eau par les usagers présente de nombreuses contraintes d’ordre technique, réglementaire mais aussi en termes de coûts de mobilisation.
Sur le plan réglementaire, les lois régissant l’utilisation des eaux usées ne sont pas encore sorties. Face à ce vide réglementaire, on assiste à une faible adhésion des agriculteurs pour exploiter cette eau.
Sur le plan technique, ces projets sont conçus indépendamment des projets d’épuration. Ce qui se traduit par des surcoûts lors de l’exploitation et donc un renchérissement de la solution globale.
Il faut ainsi prévoir selon Rajae Elksabi dès le départ des réseaux dédiés à la réutilisation des eaux usées pour les espaces verts, les golfs… Aussi, des mécanismes financiers doivent-ils être mis en œuvre pour encourager les aménageurs à relever le défi et mobiliser les ressources non conventionnelles.
Pour ce qui est de la collecte des eaux pluviales, c’est une pratique ancestrale au Maroc notamment dans les régions qui connaissent un déficit hydrique. Le PNE est resté assez prudent limitant les objectifs à 300 millions de m3 par an pour réduire la pression sur la demande en eau potable et répondre à un certain nombre de besoins (jardinage, nettoyage de la voierie, arrosage…).
Face à la demande croissante en eau potable, les pistes d’action ou les bonnes questions à se poser sont : comment limiter cette demande ? comment améliorer les taux de rendement des régies ? L’enjeu aujourd’hui est de changer de paradigme pour faire face aussi bien à une forte demande qu’au changement climatique.
La technologie existe pour améliorer la maitrise des opérations de production de l’eau et limiter les pertes.
Pour ce qui est de la demande, il faut se pencher sur les actions à même de limiter la consommation. Il faut revisiter les process en matière d’industrie, d’agriculture… pour parvenir à la réduire où tout simplement à la rationaliser.
Ceci étant, il ne faut pas omettre que l’utilisation des eaux non conventionnelles souffre de certaines limites :
Le premier facteur handicapant est son coût et ce dépit des progrès technologiques considérables. La maîtrise des technologies, qui ne sont pas répandues de par le monde, a un coût. Elles doivent faire l’objet d’une stratégie ou de planification auprès des Etats.
La deuxième limite est l’impact sur l’environnement à cause de la consommation d’énergie. A ce titre, il est impératif d’utiliser les énergies renouvelables pour éviter les émissions de CO2.
La troisième limite c’est le rejet qui est très important. Par exemple dans le dessalement de l’eau de mer, les déperditions d’eau sont importantes.
Last but not least sont les freins sociétaux notamment pour la réutilisation des eaux usées et même pour le dessalement. Un gros travail est à effectuer auprès des usagers pour les convaincre de la qualité de l’eau qu’ils vont consommer.
Une chose est donc sûre : les développements économiques et démographiques entrainent de fait une croissance continue des besoins en eaux. De plus, quelque soit l’endroit où l’on se trouve, les ressources conventionnelles (lacs, rivières, nappes phréatiques) sont limitées, d’un point de vue quantitatif, à des niveaux extrêmement différents. Il est important donc pour les pouvoirs publics, à différentes échelles et selon les endroits, de pouvoir mettre en place des stratégies de gestion optimisées des ressources en eau. C’est tout le mal qu’on leur souhaite.